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Six femmes pour l’assassin – Mario Bava

sixfemmespourlassassin

Sei donne per l’assassino. 1964

Origine : Italie / France / R.F.A. 
Genre : Giallo 
Réalisation : Mario Bava 
Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner, Mary Arden…

Haut lieu de la haute couture, la villa Christian gérée par la veuve Cristina Como (Eva Bartok) et son amant Max Morlachi (Cameron Mitchell) est le théâtre du meurtre d’Isabelle, une des nombreuses mannequins qui y travaillent. Pendant que l’inspecteur Silvestri enquête, le travail continue. Chargée de porter la robe attribuée à la défunte en vue d’un défilé, Nicole est amenée à fouiller dans les affaires d’Isabelle et y trouve son journal intime. Elle se propose de l’amener elle-même à la police. Aïe. C’est que beaucoup de monde à la villa était en affaire avec Isabelle. Certains faisaient du trafic de drogue, une autre cherchait à cacher sa grossesse, et puis il y avait aussi les histoires de fesses. Pour tous ces gens, le journal intime est compromettant et peut leur valoir des ennuis avec l’inspecteur Silvestri. Il ne faudra pas longtemps pour que Nicole soit assassinée à son tour. N’ayant pas retrouver le précieux bouquin et suspectant les amies de Nicole, le tueur va continuer ses basses besognes…

Grande question : Six femmes pour l’assassin est-il le premier, le deuxième ou le troisième giallo de l’Histoire ? Ses deux rivaux se nomment La Fille qui en savait trop et “le téléphone”, ce dernier étant l’un des sketchs constitutifs des Trois visages de la peur. Attribuer la paternité d’un genre à un seul film n’est pas chose aisée, surtout quand aucun des postulants n’a connu à proprement parler de carton planétaire justifiant à lui seul toute une mode cinématographique. Dans ce genre de situations, que l’on retrouve bien souvent dans toutes les formes du thriller (le débat se pose aussi pour le slasher : Psychose, Black Christmas ou Halloween ? et pourrait tout aussi bien concerner les krimis allemands), le mieux est encore d’adopter le point de vue matérialiste. Pas plus que le slasher ou que les krimis le giallo n’est tombé du ciel. Comme chacun sait, il découle d’une littérature populaire propre à l’Italie (vendue avec des couvertures jaunes, d’où le terme “giallo”) découlant elle-même de la longue histoire du roman policier. Le cinéma n’étant pas tout à fait la littérature, l’envol du giallo sur les grands écrans s’est d’abord effectué timidement via le thriller hitchcockien avant d’intégrer les spécificités des gialli écrits jusqu’à définir une base propre à tous les thrillers italiens. Cela ne marqua pas l’arrêt de l’évolution du giallo, puisqu’au fil du temps d’autres apports ont été assimilés, notamment le gore et l’érotisme (voire la pornographie) dans les années 70. Situer précisément la naissance du giallo relève donc de la gageure. Une chose est sûre en tout cas : quel que soit le film (ou le sketch) considéré comme le premier giallo, Mario Bava en est bien l’initiateur. La Fille qui en savait trop, “le téléphone” et Six femmes pour l’assassin marquent trois étapes importantes dans l’évolution du giallo, et c’est donc fort logiquement que le dernier cité est celui qui affirme le plus les codes -pas forcément immuables- du giallo. On y trouve pèle-mêle le maniérisme de la mise en scène, la sophistication des décors et de la photographie, le tueur ganté tout de cuir vêtu, les victimes féminines forcément sexy, la police inefficace, les secrets douteux et même l’univers BCBG de la mode, à la fois apte à styliser l’image et à employer une ribambelle de femmes fatales ou de demoiselles en détresse. L’évolution du récit se pose en modèle du genre, puisque pratiquement tous les personnages masculins sont des meurtriers potentiels agissant soit pour leur compte soit pour celui d’une femme cachant son jeu. Bava entretient méticuleusement tous les petits secrets de ses protagonistes, orientant le spectateur sur des pistes que l’amateur chevronné de gialli devinera facilement être fausses. Car après vingt ans de gialli, le spectateur sait que le coupable a de fortes chances d’être le protagoniste qui se montre le plus discret, et que son mobile n’est pas un de ceux étudiés par la police (le trafic de drogue, la femme enceinte, les relations amoureuses). Ce procédé deviendra récurrent, ce qui ne veut pas dire qu’il n’était pas surprenant au moment de la sortie du film. C’est en quelque sorte la rançon de la gloire. Si cela ternit quelque peu la vision du film, on ne saurait le reprocher à Bava.

Tout Six femmes pour l’assassin n’a de toute façon pas été totalement dilué dans les poncifs. Certaines choses apparaissent même comme de grands signes d’audaces, peu de réalisateurs ayant imité Bava par exemple lorsqu’il fait assassiner tous les personnages qui semblaient être les personnages principaux. Il n’y a pas de héros qui se dégage de son film : tout le monde se vaut, et si on peut facilement deviner l’identité de l’assassin il est bien plus difficile de savoir comment il sera démasqué et qui survivra à ses méfaits. Ces deux interrogations de taille sont résolues de manière pour le moins surprenantes. Ainsi le film n’aura jamais totalement rompu avec l’angoisse, qui au début du giallo était encore une des motivations majeures et que Bava s’évertue à garder comme telle. Pour ce faire, il utilise de son arme fatale : ses talents de directeur de la photographie, qui lui ont appris non seulement à concevoir des films magnifiques mais aussi en temps que réalisateur à savoir placer idéalement sa caméra. Malgré les efforts faits sur le scénario, la principale qualité de Six femmes pour l’assassin est bien son esthétique qui n’eut pas d’équivalent dans le cinéma italien jusqu’à ce que Dario Argento oriente sa carrière vers le baroque avec Suspiria et Inferno, deux films s’inscrivant dans le prolongement de Six Femmes pour l’assassin (avec des scénarii habiles mais dominés par la virtuosité de leur réalisateur). Profitant des nombreux accessoires de mode truffant la villa, Bava joue énormément sur les trompes l’œil, faussant les perspectives et créant un monde surréaliste où les nombreuses couleurs chaudes et inquiétantes (rouge, violet, bleu) contrastent violemment avec les recoins d’un noir absolu et où la musique très emphatique met mal à l’aise. Nous sommes à la lisière du cinéma fantastique, et les persécutions du tueur sur ses victimes n’en sont que plus inquiétantes. Le réalisateur joue aussi sur l’architecture : que ce soit la villa ou les appartements des mannequins, tous les lieux visités sont d’un style pompier que le réalisateur magnifie pour en faire de sinistres théâtres où la mort des occupantes sera mise en scène. A plusieurs reprises il se rapproche également du cinéma d’épouvante (qu’il connait bien pour l’avoir également popularisé et stylisé via Le Masque du démon) pour remplacer l’imagerie baroque par celle, plus froide, du gothique. L’expression “théâtre du crime” prend ici tout son sens : loin de toute présence humaine, mises en alertes par les meurtres déjà commis, les mannequins se retrouvent dans un monde de peur où l’assassin peut débarquer n’importe quand. Bava donne corps à leurs frayeurs et à leur isolement en créant ces atmosphères surréalistes où il orchestre des mises à mort alliant gore et érotisme d’une façon très osée pour cette année 1964 où la libération des mœurs n’était encore qu’en gestation.

Si le scénario de Six femmes pour l’assassin a résisté au passage du temps et des innombrables autres gialli en mal d’inspiration qui sont passés derrière lui, il reste néanmoins bien léger pour une mise en scène aussi brillante, qui marque enfin la maîtrise absolue du réalisateur sur un genre dont il a accouché en plusieurs phases et qui comme ici se fera davantage remarquer pour ses images que pour ses intrigues. On peut en déduire que mêmes les défauts de Bava furent influents… Six femmes pour l’assassin est le plus mémorable des gialli du réalisateur, et sa portée dépassera le cadre du giallo, comme le démontrent les films de Dario Argento mentionnés plus haut. Alors oui, il n’est pas étonnant que la paternité du genre soit attribuée au présent film.

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