CinémaHorreur

Massacre à la tronçonneuse : le commencement – Jonathan Liebesman

The Texas Chainsaw Massacre: The Beginning. 2006

Origine : États-Unis
Genre : Préquelle de remake
Réalisation : Jonathan Liebesman
Avec : Andrew Bryniarski, Jordana Brewster, R. Lee Ermey, Taylor Handley…

Historique ! Le remake de Massacre à la tronçonneuse par Marcus Nispel fut rien moins qu’historique. Non pas par sa qualité, du moins sur ce point tout un chacun en jugera en son âme et conscience, mais plutôt par l’orientation durable qu’il fit prendre au cinéma d’horreur. Alors que la vague des slashers post-Scream touchait à sa fin, la production Michael Bay est venu renouveler le genre. Sans pour autant le révolutionner : avec son étude des codes d’un genre précis, la trilogie de Craven s’enracinait déjà dans le passé du cinéma d’horreur. Mais la forme était bien plus réflexive que ne le seraient les films découlant du succès du Massacre à la tronçonneuse XXIème siècle. Celui-ci a imposé une forme davantage axée sur les tripes, au sens littéral et au sens instinctif du terme. Le gore fit son grand retour au premier plan, et avec lui la volonté de paraître généralement crade, voire de choquer. Eli Roth, son Cabin Fever et ses Hostel, puis les Saw s’insérèrent dans la brèche. Le “torture porn”, le survival et autres sous-genres compatibles avec cette radicalité redécouverte revinrent en grâce. Une nouvelle génération de cinéastes était en train d’émerger, apportant avec elle des références revendiquées haut et fort (à l’instar de ce que faisait déjà Tarantino, qui servit d’ailleurs de parrain à quelques-unes de ces nouvelles pousses). Des références partagées par une frange non négligeable du public, biberonnée aux films d’horreur à l’ancienne. Quant aux plus jeunes qui n’avaient pas été exposés aux classiques d’antan (généralement des années 70 et 80), la mention d’un titre dont ils avaient peut-être déjà entendu parler pouvait aussi les pousser dans les salles. A défaut, une bonne communication ferait l’affaire. Pinacle de l’honneur pour ces réalisateurs nouvelle génération : reprendre en main des films ou sagas plus ou moins au point mort. De là, le succès connu par le Massacre à la tronçonneuse de Nispel allait engendrer une mode qui, vingt ans après, ne s’est pas tarie et déborde largement du seul cadre horrifique. Le vice fut poussé jusqu’à faire émerger des concepts comme la préquelle, le reboot, la séquelle de reboot, la préquelle du reboot et, plus tardivement, les séquelles embrayant là où tel ou tel classique s’était arrêté. Le phénomène fut exponentiel, tant à Hollywood que dans les studios indépendants ! Toutefois, si le film de Nispel marqua le véritable coup d’envoi de cette tendance, il ne faut pas croire que la saga Massacre à la tronçonneuse maintenant relancée allait dominer les débats. Une fois passé le film de 2003, les séquelles qui ne tardèrent pas à apparaître ne sortirent pas de la masse (à l’heure où ces lignes sont écrites, il y en a eu 4), tombant dans l’oubli comme les séquelles du film de 1974 avant elles … Sauf que cette fois, l’original apparaissant lui-même comme une extrapolation du film de Hooper, il reste lui-même dans l’ombre de celui-ci et son importance tient moins à sa qualité qu’à la mode qu’il a entraîné. Vingt ans après, les nouveaux reboots de Massacre à la tronçonneuse ne font pas référence au film de Nispel, mais encore et toujours à celui de Hooper. Il en va d’ailleurs de même pour les autres sagas ré-exploitées à outrance, comme Halloween. Pour tout dire, l’épreuve du remake est certes peut-être gratifiante pour les réalisateurs impliqués et peut faire illusion auprès du public, mais en bout de course les franchises qui resteront le plus dans les mémoires sont encore celles qui ne se réfèrent pas (ouvertement) à une référence précise : les Saw, l’univers Conjuring, les Paranormal Activity, les Destination finale (dont les deux premiers opus sont sortis avant le remake de Massacre à la tronçonneuse), les [Rec], les Ring… Sans qu’il ne s’agisse forcément de bons films. Mais du moins reconnaissons leur une certaine force créatrice, là où les remakes ne font que courir après “l’esprit” de leurs modèles…

Dans les années 30, l’employée d’un infâme abattoir texan meurt en couches sur son lieu de travail. Quant à son bébé, le patron le met à la benne ! Il en est ressorti par Luda Mae Hewitt, qui le nomme Thomas, l’intègre à sa famille et l’élève comme son propre enfant. Difforme, le bambin grandit pour devenir un malabar masqué officiant dans l’abattoir de sa naissance… jusqu’à ce que le patron mette la clef sous la porte. N’étant pas du genre à se laisser faire, les Hewitt décident envers et contre tout de rester dans leur recoin texan, là où toute la communauté dépendante de l’abattoir a quitté les lieux. Pour survivre tout en demeurant des artisans de la barbaque, la tribu se met donc à charcuter les quidams de passage. Tremblez donc, les frangins Dean et Eric, qui accompagnés de Chrissie et Bailey, leurs nanas respectives, sont en route vers la caserne la plus proche. C’est qu’ils doivent s’enrôler pour combattre au Vietnam… Mais encore faut-ils qu’ils survivent aux dégénérés du Texas qui s’emparent d’eux suite à un accident de la route provoqué par une Hell’s Angel…

Massacre à la tronçonneuse : le commencement. Rien que le titre annonce la couleur : Leatherface et sa famille étant devenus des symboles du cinéma d’horreur, il fallait absolument retracer leur passé. Les séquelles du film d’origine ne l’ont jamais vraiment fait, et pour cause : elles n’étaient pas des films référentiels et se contentaient de miser sur un titre connu. Mais dans une ère où les fans ont pris le pouvoir, découvrir les arcanes du récit originel -ici celui de Nispel- peut paraître tentant. Après tout, les comics ont déjà largement exploité cette tendance et se sont fait une spécialité d’imaginer tel ou tel fantasme de fan. Et donc l’origine de Leatherface… Qui ne s’est jamais posé la question ? Et bien à vrai dire, l’auteur de ces lignes. Massacre à la tronçonneuse, l’original, ne saurait se réduire au seul Leatherface. Celui-ci n’intrigue pas par lui-même : le concept du film de Hooper tient dans sa globalité, dans sa sécheresse de forme et de fond, et peu importe ce qui a pu arriver avant ou après la mésaventure de Sally Hardesty, seule survivante de cette quelconque bande de jeunes transitant par le Texas profond. Mais le film de Hooper ayant atteint la postérité et le remake de Nispel étant venu confirmer son potentiel, les producteurs se sont mis à exploiter un mythe, décliné ad vitam jusqu’à ce jour. La force cinématographique importe moins que le marché que cette renommée a ouvert. Redécouvert en 2003, Leatherface s’est imposé comme une icone du cinéma d’horreur, et à ce titre cette époque “méta” (terme qui était alors inconnu) ne pouvait faire autrement que de disserter à son propos. D’où la séquelle-préquelle du remake, censée expliquer le passif de cette icône (les reboots qui viendraient par la suite feront d’ailleurs de même). Plus encore, il propose de se pencher sur la famille à laquelle appartient Leatherface, à commencer par le personnage de patriarche campé par R. Lee Ermey. Scénarisé par le génie qui a déjà écrit un désastreux remake de Amityville excessivement axé sur le spectaculaire, ce “commencement” nous montre ainsi dans ses premières minutes la naissance de Thomas Hewitt, vrai nom de Leatherface, comment il a grandi, comment il a fait ses armes à l’abattoir, et pourquoi sa famille est devenue ce qu’elle est. Bref Liebesmann veut expliquer le pourquoi du comment. Mais ce faisant, à force de mettre en image ce que l’on imaginait déjà (l’abattoir et sa fermeture, les racines de Leatherface) et qui gagnait à rester dans l’ombre, il ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes, contribuant en fait à démythifier une figure dont la force -ainsi que celle de sa famille- était justement de surgir de nulle part et de retourner dans l’ombre au terme de leur prestation. Aussi percutant soit un titre comme “Massacre à la tronçonneuse”, cette part d’ombre demeure nécessaire. Mais à l’ère du fan tout-puissant, du torture porn naissant et de l’essor de la série TV feuilletonesque, une production Michael Bay ne saurait s’en soucier. Et surtout, elle ne doit pas s’éloigner de ce que l’on imaginait déjà sous peine d’abîmer le doudou du public visé. Ainsi, Liebesman n’a finalement pas grand chose à dire, se concentre uniquement sur Leatherface et sur le shériff Hoyt joué par Lee Ermey et ses explications présentent tellement peu d’intérêt que la préquelle a vite fait de tourner (et en un sens c’est heureux) en une nouvelle histoire très semblable à celle du film de Nispel et à celles des films antérieurs : le coup de la bande de jeunes tombant dans la gueule du loup. Tant et si bien que les origines apparaissent comme une étape superflue d’un film qui entretient un mythe plutôt que de le développer.

Même si cela n’apporte aucune plus-value, rien n’est donc caché dans ces nouveaux Massacre à la tronçonneuse. Pas plus les origines que le gore… Même si là encore, le film de Tobe Hooper tirait en partie sa force de ne pas montrer ouvertement les démembrements. Sur ce point, il convient d’être un peu plus charitable avec Jonathan Liebesman : l’usage du gore, pourvu qu’il ne tombe pas dans le grand-guignol, n’est pas forcément incompatible avec la sensation de malaise (un film comme Terrifier l’a récemment prouvé). Toutefois, si les scènes sanguinolentes en elles-mêmes sont relativement efficaces, dans le cas présent on ne saurait dire qu’elles permettent au film d’atteindre ce même statut malsain. Et cela, le réalisateur semble en avoir bien conscience : se souvenant que les éléments les plus glauques du film de Hooper résidaient moins dans les tronçonneuses que dans l’ambiance générale qui se dégageait de sa maison familiale, il essaie donc de transposer cette ambiance aux critères du XXIème siècle. Pour cela, il singe ce que Nispel avait déjà essayé de faire avant lui : montrer par tous les moyens possibles que la famille Hewitt sont des fous furieux. Si Leatherface et le pseudo-sherif Hoyt ont droit à la part du lion, les autres ne sont pas en reste et affichent une ostensible indifférence aux souffrances d’autrui et vivent à leur manière comme une famille normale (le meilleur exemple étant encore ces deux vieilles buvant le thé et discutant de tout et de rien pendant qu’une jeune femme est enchaînée à leur table). A ce petit jeu, Liebesman y va fort et n’a de cesse d’exposer ces divers personnages à des dégueulasseries que des gens censés ne sauraient tolérer. Mais ses moteurs restent bien Leatherface et le sherif, qui sont à l’origine de ces horreurs. Et pour ces deux personnages, rien n’est trop fort pour montrer leur dinguerie… Ainsi Hoyt (qui tient son nom de la plaque qu’il a volé à l’ancien shérif en assassinant celui-ci) n’est rien d’autre qu’une version extrême de l’instructeur de Full Metal Jacket. L’acteur est très bon dans ce style, mais fait dangereusement basculer le film vers le grand-guignol. Quant à Leatherface, le réalisateur décroche le pompon : il consacre tous ses efforts à essayer de le montrer comme le monstre ultime, une force brute muette qui considère les humains avec le même égard qu’il accordait aux animaux de l’abattoir. Jamais en retard de plans icôniques typiquement hollywoodiens, faisant tout un pataquès de ses masques et de ses regards méchants, cherchant à faire de son antre (le sous-sol) la quintessence du poisseux, Liebesman ne se pose aucune limite, quitte à paraître – et à être- artificiel. Sur ce créneau, le summum est pourtant atteint sur un autre point : incapable de savoir ce qui rend un film véritablement malsain (et le film de Tobe Hooper plus que tout autre), il se réfugie dans une photographie qui cherche à renforcer le côté crasseux par tous les moyens, en commençant par cette teinte verte et brune ouvertement laide et assumant de l’être. Le raisonnement est le suivant : plus c’est moche, plus c’est dérangeant… Pensé de la même façon, l’aspect suffocant du film de Hooper est retranscrit sous le seul prisme de la chaleur. Et pour la faire ressentir, quoi de mieux que de des plans sur un soleil écrasant et que de montrer les personnages transpirant à grosses gouttes ? Une vision extrêmement schématique de Massacre à la tronçonneuse, qui achève de faire de Massacre à la tronçonneuse : le commençement un pur produit de Michael Bay : dopé au dollar, artificiel au-delà du possible et in fine très éloigné du réalisme cru du film originel. En revanche, il singe bien volontiers mais maladroitement ce que Marcus Nispel avait fait avant lui…

Censé expliciter le “background” d’un film qui lui-même extrapolait déjà une oeuvre née 30 ans plus tôt, Massacre à la tronçonneuse : le commencement ne dispose d’aucune spontanéité. Tout y semble calculé pour extraire le jus d’un nom tellement porteur qu’il est devenu une marque. Il va sans dire qu’il n’y a donc pas grand chose à sauver de cette entreprise. Et certainement pas son scénario en forme de “survival” : là encore, tout y sonne faux, du point de départ excessivement ancré dans le début des 70s (les engagés du Vietnam -et leur bourreau sorti de Full Metal Jacket-) aux vilains Hell’s Angels, en passant par les singeries éhontées (l’incontournable repas de famille) jusqu’au rebondissement final qui, et ce n’est bien entendu pas fortuit pour ceux qui connaissent le film de Hooper, a lieu sur la route. Ne parlons pas non plus des personnages et de leur psychodrame initial (avec un frangin qui a finalement décidé de ne pas s’enrôler) qui essaie vainement de leur donner une certaine épaisseur psychologique censée faire d’eux autre chose que des victimes en puissance (ce qu’ils finiront par devenir de toute façon). Bref, plus encore que le remake, la séquelle du remake démontre que le gore et le glauque peuvent eux aussi être récupérés dans un cahier des charges se faisant fort de les inscrire dans un vaste plan marketing à l’attention des fans de la première ou de la dernière heure.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.