CinémaHorreur

Black Christmas – Bob Clark

blackchristmas

Black Christmas. 1974

Origine : Canada 
Genre : Horreur 
Réalisation : Bob Clark 
Avec : Olivia Hussey, John Saxon, Keir Dullea, Margot Kidder…

C’est les vacances de Noël et les filles de la pension de Mrs. MacHenry célèbrent l’évènement. La fête n’est pourtant pas très réussie : entre les problèmes personnels de chacune, les engueulades, les appels téléphoniques d’un dérangé et le violeur qui sévit dans le quartier, l’ambiance est définitivement plombée. Lorsqu’une des filles disparaît le lendemain sans laisser de trace, l’inquiétude s’impose et devient de la peur chez Jess Bradford (Olivia Hussey), personnellement et intimement visée par les coups de fil obscènes.

Tourné au Canada pour pas grand chose par un réalisateur prometteur mais privé de la reconnaissance que Le Mort-vivant aurait dû lui valoir, Black Christmas fait figure aujourd’hui de premier slasher. Vaste débat qui ne sera jamais résolu en raison de l’égalité des similitudes et des dissemblances qu’entretient le film de Bob Clark avec le slasher pur et dur tel qu’on le connaît et qui a été popularisé par John Carpenter et son Halloween. Rayon similitudes, nous trouvons entre autres le principe rudimentaire du jeu de massacre sur des jeunes gens oisifs et l’emploi fréquent de visions subjectives. Rayon dissemblances, le principe du “whodunit”, plus proche du thriller classique que du slasher, et la portée plus ambitieuse du film, qui le rapproche davantage du giallo italien. En tous cas une chose est sûre : John Carpenter a été conseillé par Bob Clark, ne serait-ce que pour le choix d’une date symbolique du calendrier afin de donner une certaine identité au film (principe qui sera très populaire dans les slashers du début des années 80). Quand bien même il n’en serait pas un, Black Christmas a en tout cas aidé à forger le film qui fait office de père du slasher. Disons que c’est l’oncle du slasher… Et qu’il descend lui-même de l’aïeule “maison hantée”. Car à vrai dire, bien plus que les meurtres, peu nombreux et ignorés par les survivants, c’est bien la maison elle-même qui joue un rôle majeure dans la construction du film. Un vieux manoir gothique où la lumière ne pénètre presque pas, où les boiseries et les tapisseries donnent des allures particulièrement sombres. De même, l’absence physique du tueur et de ses victimes est particulièrement bien vue, puisque ses seuls appels caractérisés par de multiples bruits et l’usage de voix différentes ainsi que la connaissance dont il dispose au sujet de l’intimité de Jess font de lui autre chose qu’un psycho killer classique. Il est une présence menaçante persistante, apte à transformer la perception de la bâtisse et à rendre inquiétant chaque recoin d’ombre. Et c’est là que la décision d’avoir situé le film à la période de Noël prend tout son sens : l’esprit des fêtes se retrouve totalement perverti par ce contexte.

En plein hiver enneigé, dans un tel manoir, la norme aurait été que l’atmosphère se fasse douillette, façon repas au coin du feu, et les illuminations de Noël auraient dû donner un cachet de carte postale. Mais en contexte, tout change de sens. Ce qui est feutré devient sinistre et les lumières vives des décorations sont autant de brutales ruptures de ton dans les ténèbres. Avec l’aide de ses techniciens, Clark compose un film superbe, où la noirceur est partout, rongeant tous les plans. La musique composée par Carl Zittrer (dont la carrière se limite quasi exclusivement aux films de Clark) joue aussi dans ce sens en s’adaptant à la subtilité ambiante, privilégiant la discrétion aux coups d’éclats. Il ne se passe finalement pas grand chose de concret dans le scénario, pas plus que dans celui de La Maison du diable de Robert Wise, mais le brio de la mise en scène associé à la gestion parfaite du tueur et à la profondeur des personnages (sur laquelle nous reviendrons dans quelques lignes) permet d’assister à un film haletant, qui ne brise jamais ce climat inquiétant de “Noël noir”. Pas même à la fin, pour laquelle Clark dut batailler avec ses distributeurs américains, et qu’il parvint à conserver telle quelle, c’est à dire très ambigüe. Là encore, le film de Clark rappelle davantage celui de Wise que celui de Carpenter : les deux films laissent en suspens le dénouement, mais d’une manière fort différente. Carpenter a recours à un pied de nez qui fera les beaux jours de Vendredi 13 et consorts, tandis que Clark nous laisse avec une sensation de malédiction quasi surnaturelle. Si il n’y avait pas tout de même quelques meurtres de temps à autres (fort esthétiques, d’ailleurs, comme ce meurtre vu à travers des bibelots en cristal qui aurait aussi bien pu provenir d’un giallo), on en oublierait presque que le tueur est un être matériel… D’où la forte ressemblance de Black Christmas avec les (meilleurs) films de maisons hantées. Clark réussit le mélange parfait entre ce genre très ancien et le slasher à venir, et prouve qu’il n’y a pas besoin de claquements de portes ou de monstres défigurés qui surgissent à un moment inopportun pour faire frissonner dans le cadre d’une basique histoire de meurtres en série. L’imagination joue une place prépondérante, et c’est au réalisateur de mettre en place tous les éléments qui permettront aux spectateurs de se sentir oppressés par quelque chose d’intangible. Il y a une différence notable entre sursauter, chose qui se produit à des instants ponctuels, et ressentir de l’angoisse (voire avoir peur pour les plus impressionnables), qui est une sensation continue, bien plus difficile à obtenir. Black Christmas joue dans la seconde catégorie et fait plus que bonne figure. C’est un modèle potentiel pour tous les films d’angoisse, et pas uniquement pour les slashers.

Loin de se limiter au détournement des visuels de Noël, Black Christmas s’en prend aussi aux valeurs de réunion généralement associées à cette fête familiale. Ce qui se fait bien entendu par l’intermédiaire des personnages, qui sans être des génies sont cependant fort loin des caricatures sur pattes que l’on trouve dans nombre de films d’horreur. Il y a pourtant un peu de cela, au départ : Margot Kidder joue aux salopes, Olivia Hussey joue les filles gentilles mais pas coincées, d’autres jouent les saintes-nitouches blessées par les remarques de Margot Kidder… Mais contrairement à beaucoup de ses collègues, Clark n’en fait pas grand cas, et il creuse derrière le vernis de ces personnalités. Ce qu’il découvre rejoint son entreprise de perversion de Noël : pour la plupart de ces filles -y compris la logeuse-, les fêtes ne sont pas joyeuses. Soucis parentaux pour la plupart, problème de solitude et d’alcoolisme pour la logeuse, mais aussi soucis relationnel pour Jess, l’héroïne. Pas le genre de soucis ado que l’on trouve dans les sitcoms, mais une histoire compliquée avec son musicien de copain (incarné par un Keir Dullea toujours la tête dans les nuages) qui souhaite l’empêcher d’avorter et repartir de zéro avec elle. Il y a même le père de la fille portée disparue, qui traîne sa sinistrose de long en large, ainsi que la mère d’une petite fille disparue, qu’on retrouvera morte dans le parc, probablement violée, ce qui entraîne l’annulation des chorales de Noël. Bref, les têtes ne sont pas à la fête, et Noël est ici synonyme de déprime croissante. L’état d’esprit des personnages trouve donc écho dans leur environnement, de même que leurs inquiétudes, là encore à la manière d’Eleanor dans La Maison du diable. Nous ne sommes pourtant pas dans un film illustrant le coup de blues de Noël qu’évoquait sarcastiquement Joe Dante dans Gremlins dans le célèbre dialogue de Phoebe Cates, comme le démontrent les quelques marques d’humour qui viennent parsemer le film, notamment par le biais de ce flic qui en raison de son incompétence empêche la progression de l’enquête menée par le personnage de John Saxon. Tout comme dans Le Mort-vivant, où des retrouvailles joyeuses viraient petit à petit au tragique puis au sordide, Bob Clark n’oublie pas que son film est avant tout un film d’épouvante, et il refuse de verser dans le pathos. D’ailleurs, le refus des personnages de communiquer entre eux et de partager leurs problèmes accentue leur isolement, amène le silence, la peur, et donc fait d’eux des proies facilement impressionnables, ce que le tueur a parfaitement compris en persécutant Jess au téléphone.

Si l’on ne peut affirmer catégoriquement que Black Christmas est un slasher, c’est donc avant tout parce que sa qualité le sépare de ce genre certes sympathique, mais peu élaboré. Oserais-je dire que Black Christmas est même supérieur à Halloween ? Sur plusieurs points, notamment sur celui -important si il en est- de l’utilisation du tueur, les deux films ne sont pas comparables. Mais en toute honnêteté, il faut bien reconnaître que le film de Bob Clark offre une mise en scène aussi adaptée à son sujet que l’était celle de John Carpenter pour le sien, et que son film ne saurait être imité comme le fut celui de Carpenter. Trop singulier pour être décalqué, même mal (encore qu’à l’heure où j’écris ces lignes je n’ai pas vu le remake au sujet duquel je ne cache pas un certain scepticisme), il est finalement peu étonnant que ce ne soit pas lui qui ait été à l’origine de la mode du slasher. Par contre, que ce soit pour les célèbres Halloween, Vendredi 13 (un des coupables potentiels est un hockeyeur masqué), Les Griffes de la nuit (qui lui emprunta John Saxon pour lui confier une nouvelle enquête), ou bien les moins célèbres House on sorority row (la pension de jeunes filles), Douce nuit, sanglante nuit (pour une raison évidente) et Meurtres à la St-Valentin (détourner la signification d’une fête guimauve et de ses clichés), beaucoup de monde semble avoir eu une idée à piquer à Black Christmas.

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