CinémaThriller

J.F. partagerait appartement – Barbet Schroeder

Single White Female. 1992.

Origine : États-Unis
Genre : Drame de la solitude
Réalisation : Barbet Schroeder
Avec : Bridget Fonda, Jennifer Jason Leigh, Steven Weber, Peter Friedman, Stephen Tobolowsky.

Conceptrice d’un logiciel dans le domaine de la mode, Allison Jones est venue s’installer à New York afin de multiplier ses chances d’intéresser des clients éventuels. Si sur le plan professionnel, sa vie tarde à décoller, sur le plan sentimental, tout semble au beau fixe depuis qu’elle file le parfait amour avec Sam Rawson. Enfin ça, c’était jusqu’à ce qu’elle apprenne fortuitement que ledit Sam n’avait pu s’empêcher d’avoir de nouveau un rapport sexuel avec son ex femme. Dévastée, elle vire l’impudent de chez elle, et jette un voile noir sur ses rêves de mariage. Mais parce qu’elle ne peut se résoudre à vivre seule, elle s’en remet à une petite-annonce dans l’espoir de trouver la colocataire idéale. Et l’heureuse élue se nomme Hedra Carlson, une jeune femme quelque peu renfermée mais avec laquelle Allison noue une rapide complicité. Mais lorsque Sam revient dans l’équation, les relations entre elles tendent à s’envenimer. D’abord réticente à virer Hedra de l’appartement, Allison se fait peu à peu à l’idée, bien aidée par le comportement de plus en plus ambigu d’Hedra, qui pousse le vice jusqu’à arborer la même coupe de cheveu.

Insaisissable Barbet Schroeder qui après les honneurs obtenus suite à son film Le Mystère Von Bülow (Oscar du meilleur acteur pour Jeremy Irons plus deux nominations dont celle du meilleur réalisateur) suscite l’intérêt du tout Hollywood. Une carrière prestigieuse se présente à lui, les meilleurs scénarios lui passant inévitablement entre les mains. Mais lui n’en a cure. Pour lui, réaliser des films doit avant tout rester un plaisir et non pas découler d’un désir de reconnaissance. Donc en inconditionnel des thrillers en général et d’Alfred Hitchcock en particulier, son intérêt se porte sur le scénario de J.F. partagerait appartement, rédigé par Don Roos d’après le best-seller éponyme de John Lutz. Un scénario qui nécessite selon lui quelques retouches mais qui dispose d’un potentiel indéniable. Et surtout, qui colle à son appétence pour des personnages troubles, ambigus, loin des figures manichéennes généralement de mises dans ce genre de récit. Le genre en question – le thriller domestique – n’en finit plus de faire frissonner les spectateurs depuis Liaison fatale, manière de s’encanailler à peu de frais confortablement lovés dans leur fauteuil. Il y est invariablement question d’un élément perturbateur qui une fois franchi le seuil  de la porte sème le chaos dans l’existence du personnage principal jusqu’à ce que ce dernier décide de l’en expulser de manière définitive. Ce sont souvent des récits aux élans moralisateurs qui jouent un rôle préventif en diabolisant à outrance un écart de conduite. Ces films doivent procurer des sensations fortes, distiller un soupçon de stupre et, in fine, ramener la situation à la normale en châtiant le méchant. Le public américain ne supporterait pas qu’il en aille autrement, ce dont les studios ont pleinement conscience. Bien qu’il ait su conserver une grande marge de manoeuvre tout au long du tournage, Barbet Schroeder doit consentir à se plier à ces impératifs, acceptant notamment de rallonger la confrontation finale entre Allie et Hedra. Des compromissions qui n’ont nourri aucune amertume de sa part. Il savait exactement dans quoi il mettait les pieds, et se reprendra encore volontiers au jeu dans les années à venir.

Alfred Hitchcock n’est pas l’unique réalisateur prestigieux que Barbet Schroeder a en tête au moment de se lancer dans le tournage de J.F. partagerait appartement. Il pense également beaucoup au Roman Polanski de Rosemary’s Baby dont l’immeuble joue un rôle à part entière dans le drame que vit Rosemary Woodhouse. Barbet Schroeder choisit en ce sens l’immeuble The Ansonia, un ancien hôtel de l’Upper West Side à Manhattan, construit justement en réaction au Dakota building dans lequel se déroule le film de Roman Polanski. On retrouve cette même architecture imposante type néo-renaissance qui donne à ces bâtisses des allures de (grandes) maisons hantées. Cependant, nous en resterons là des similitudes. Le bâtiment n’a pas vocation à devenir oppressant pour Allison, et il ne sera rien d’autre qu’un vaste décor que Barbet Schroeder utilise à des fins esthétiques. Ou comme un simple élément scénaristique dans le cas du canal d’aération qui relie phoniquement l’appartement de Allison à celui de son voisin du dessus, son ami Graham Knox. L’idée ne sera d’ailleurs même pas pleinement exploitée, relevant davantage de l’anecdote (Graham entend Allison rompre avec Sam puis, plus tard, Hedra surprendra la conversation lors de laquelle Allison partage ses craintes à son sujet auprès de Graham) que d’une volonté d’abolir toute intimité entre les êtres. Barbet Schroeder prend le parti d’une mise en scène ludique mû par son simple plaisir de cinéphile. Les clins d’oeil abondent tout comme le jeu avec le spectateur qu’il n’hésite pas à manipuler de manière subtile. Ainsi, lorsque Hedra se rend dans la chambre d’hôtel de Sam arborant la même coiffure que Allison, Barbet Schroeder fait intervenir les deux actrices successivement au moment où la jeune femme s’immisce sous les draps, cultivant le faux semblant à notre insu. Une manière de semer le trouble qui vaut autant pour le personnage de Sam, qui dans un demi sommeil se laisse emporter par les affres du désir, que pour le mimétisme de plus en plus poussé d’Hedra. Ce thème du double, le réalisateur en fait le moteur de sa mise en scène. Il joue beaucoup des reflets autour de ses comédiennes (miroirs, plateau en bronze qu’on récure) et prend un malin plaisir à les placer tour à tour dans la peau de celle qui observe et de celle qui est observée. Une façon de traiter les deux jeunes femmes sur un pied d’égalité. Toutes deux partagent ce même besoin de ne pas vivre seule et une curiosité pour leur nouvelle colocataire. Toutefois, la mécanique du thriller reprend progressivement ses droits, faisant basculer leur relation dans une espèce de vampirisme social. A l’instar du comte Dracula, Hedra doit tout d’abord être invitée à entrer chez sa “proie” avant de pouvoir la posséder. Puis, insidieusement, Hedra noue un lien d’exclusivité avec Allison, se l’accaparant tout à fait. Elle intercepte les lettres de Sam, efface ses messages sur le répondeur, afin que le passé d’Allison ne vienne plus phagocyter leur présent. Elle s’impose à la fois comme son amie et sa confidente, voire sa protectrice. Jusqu’à un certain point. Toute instable psychologiquement qu’elle soit, Hedra n’en a pas moins des principes. Elle tient notamment à la parole donnée. Pour avoir rompu sa promesse (elle lui avait juré qu’elle ne se remettrait jamais avec Sam), Allison entraîne sa colère. Une colère d’abord axée sur la destruction de son couple puis sur sa propre personne lorsqu’il devient évident pour Hedra que sa relation avec Allison se trouve dans une impasse.

Personnalité retorse, Hedra nourrit des desseins contradictoires que le film se contente d’effleurer. Bien qu’il s’en soit accommodé, Barbet Schroeder ne peut pas donner la pleine mesure de son empathie pour Hedra, qu’il nous dépeint néanmoins en femme rendue instable par son impérieux besoin d’être aimée. En soi, Allison n’est pas différente, à ceci près qu’elle nourrit ce besoin sous le prisme de la midinette qui ne saurait être heureuse sans avoir trouvé son prince charmant. Habituée des rôles de jolies oies blanches, Bridget Fonda ne surprend guère, pas plus que Jennifer Jason Leigh qui comptait déjà à son actif de nombreux personnages instables et à fleur de peau. Sur ce point et dans sa construction, l’intrigue de J.F. partagerait appartement se déploie de manière attendue jusque dans son dénouement à la sauvagerie calculée. L’intérêt se situe ailleurs, dans les interstices du thriller formaté. Car au fond, si le film offre une opposition schématique entre deux faces de la même pièce, le véritable ennemi se cache à l’extérieur de l’appartement et prend les atours du mâle dominant. Si l’on met de côté Graham Knox à l’utilité toute relative, les deux autres personnages importants du film sont deux hommes, chacun toxique à sa manière. Sous ses airs de gendre idéal, Sam Rawson est un jouisseur. Pas un mauvais bougre mais irrémédiablement régi par sa libido. Le genre d’homme à ne pas pouvoir passer à côté d’une partie de jambes en l’air lorsqu’elle se présente à lui. Bien que sincère, son attachement à Allison fluctue en fonction des événements. Il n’est pas insensible à l’attention que lui porte Hedra et ne cherchera pas vraiment à se détacher de son emprise lorsqu’il s’apercevra de la supercherie dans sa chambre d’hôtel. Il n’assume pas sa légèreté, désireux de correspondre au mieux à l’image de l’homme parfait que recherche Allison. En se mentant à lui-même, il induit Allison en erreur, lui vendant la romance sans nuage à laquelle elle aspire. Mais tout cela se fait sans violence et dépend du degré de moral de chacun. Mitch Myerson s’avère nettement plus nocif en ceci qu’en sa qualité de chef d’entreprise, il pense pouvoir disposer à loisir des femmes qui travaillent pour lui. Il exerce d’abord sa domination sur le plan économique (il s’assure les services d’Allison pour un montant qu’il a lui-même établi et bien en deça des exigences de la jeune femme) avant de passer à l’acte de manière aussi sauvage que décomplexée. Que sa proie en vienne à se défendre lui paraît tellement saugrenu qu’il en arrive à se victimiser alors qu’il ne paie-là que pour les errements d’un comportement inaproprié. Personnage satellite qui n’avait aucun intérêt à réapparaître au-delà de cette fin de non-recevoir que Allison lui oppose, son sort est tributaire de la morale d’ensemble. Il doit être puni pour son comportement alors il le sera. Une manière de se donner bonne conscience alors même que des agissements de ce type sont légion et le plus souvent en toute impunité. Le milieu du cinéma le sait mieux que quiconque, comme nous le découvrons aujourd’hui un peu plus chaque jour et cela dans des proportions ahurissantes. Ce choix ne tient pas tant à Barbet Schroder qu’à un système, celui des studios, lesquels se garderaient bien de prendre le public à rebrousse-poil. Cela confère néanmoins au film une dimension féministe peut-être plus visible aujourd’hui qu’à l’époque qui le rend très actuel.

Ce type de thriller à ceci d’amusant qu’il pense finir leurs histoires sur une bonne note – le “méchant” est puni, la faute pardonnée et/ou la leçon retenue – alors que cela se révèle le plus souvent un trompe-l’oeil. Allison a dû tuer quelqu’un pour s’extirper de sa fâcheuse situation. Le répit qu’elle ressent ne peut donc qu’être fugace. Difficile d’oublier un tel acte, d’autant que dans son cas, cela s’assortit de la mort de l’être aimé. C’est sur ce point que Barbet Schroeder a le mieux su tirer son épingle du jeu. Sous couvert de prêter allégeance aux desiderata du studio, il clôt J.F. partagerait appartement sur une note on ne peut plus amère. Allison finit le film encore plus démuni sur le plan sentimental qu’au début. Et pire que tout, a certainement perdu toute foi en l’humanité. On a connu fin plus joyeuse.

Une réflexion sur “J.F. partagerait appartement – Barbet Schroeder

  • simon131081

    Plusieurs fois que je tombe sur ce film, il faudra un jour que je le voie. C’est à l’époque un sous genre, le danger qui s’immisce dans le cocon sécurisant du domicile. On a eu La Main sur le berceau avec la baby sitter, Obsession Fatale avec Ray Liotta en flic intrusif, Fenêtre sur Pacifique avec Michael Keaton en voisin taré, qui jouera dans L’Enjeu de Barbet Schroeder avec Andy Garcia.

    Cette mode s’arrêtera à la fin des années 90, et hormis quelques retours sporadiques, ce sous genre ne reviendra plus. Je dirais que la matrice de ce genre de film a été Liaison fatale, mais je ne suis pas sûr.

    Par contre, ce genre de film est bien sage et lisse. Tout est manichéen. La famille en sort grandie et jamais il n’y aura de remise en question. Pourtant, certains membres auront des choses à se reprocher, et le coup où l’intrus finit par péter les plombs gâche le piège qu’il/ elle avait mis en place soigneusement pendant tout le film.

    C’était une bonne époque.

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