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Six jours, sept nuits – Ivan Reitman

Six Days Seven Nights. 1998

Origine : États-Unis
Genre : Comédie estivale
Réalisation : Ivan Reitman
Avec : Harrison Ford, Anne Heche, David Schwimmer, Jacqueline Obradors…

Après des années 80 riches en succès, Ivan Reitman aborde les années 90 avec confiance. Bien qu’il ait fini par décevoir la critique, le public et les financiers en ne s’élevant sur aucun point au niveau de son prédécesseur, SOS Fantômes II a plutôt bien marché. Toutefois, cette relative déception conjuguée aux reticences des acteurs condamnèrent la franchise à une longue hibernation. Pas un problème pour Reitman, qui juste avant SOS Fantômes II venait de triompher avec Jumeaux, la comédie par laquelle Arnold Schwarzenegger commença à jouer avec son image. C’est sur ce filon qu’embraya donc le réalisateur, collaborant à nouveau avec Schwarzenegger pour Un flic à la maternelle puis Junior. Une collaboration entrecoupée par Président d’un jour. Un succès là encore commercial mais surtout critique qui a pour particularité de frayer sur un terrain politique. Une initiative sans lendemain puisque dans le même temps les travaux de Reitman comme producteur ou co-producteur se nommaient Arrête ou ma mère va tirer ! (dans laquelle Stallone marche dans les pas de Schwarzenegger), Beethoven ou encore Space Jam. Bref si les SOS Fantômes restaient en lien avec le fantastique et le cinéma de genre et pouvaient se lire à plusieurs niveaux, le Ivan Reitman des années 90 prit avant tout le parti de la comédie familiale hollywoodienne dans ce qu’elle a de plus facile, si ce n’est futile. Une idée originale, une tête d’affiche, et il ne suffisait plus qu’à dérouler les conventions. Drôles de pères, avec Robin Williams (remake des Compères de Francis Veber) allait marquer un brusque coup d’arrêt à cette formule tout public. Un flop dans les grandes largeurs… Arrête ou ma mère va tirer ! avait déjà connu le même sort, mais il ne fut pas réalisé par Reitman. De quoi se dire que celui-ci allait donc revoir sa copie. Que nenni ! Avec Six jours, sept nuits il embraye une nouvelle fois sur une comédie qui l’éloigne autant de ses débuts dans le cinéma bis (la production des premiers Cronenberg, la réalisation de Foxy Lady et de Cannibal Girls) que de ses incursions dans la satire qui culmineraient avec le National Lampoon dont les SOS Fantômes découlent. Il s’agit cette fois de se pencher sur le couple, le tout dans une ambiance estivale coïncidant avec la date de sortie du film (juin 1998). Et comme il était de coutume chez Reitman, une star fut invitée à tenir la tête d’affiche dans ce qui peut apparaître là encore comme un pur véhicule promotionnel destiné à démontrer une certaine capacité à se diversifier : Harrison Ford. Mais, puisque le film est aussi une romance, encore fallait-il trouver une partenaire féminine à la mesure de la vedette. Julia Roberts aurait dû être celle-là, mais fit finalement faux bond. Cameron Diaz, Melanie Griffith, Gwyneth Paltrow ou encore Meg Ryan furent aussi considérées. Mais le rôle échut finalement à Anne Heche, sur la pente ascendante depuis Donnie Brasco et Volcano. Quelques jours après son embauche, elle irait faire scandale en apparaissant publiquement au bras de Ellen DeGeneres, animatrice lesbienne revendiquée. Les mœurs étant ce qu’elles étaient à l’époque, je ne vous dis pas la panique à la production ! Et pourtant : si Six jours, sept nuits n’est guère passé à la postérité et que peu de monde s’en souvient désormais, sa réussite commerciale à défaut de critique (une caractéristique récurrente de la filmographie d’Ivan Reitman) fut sur le moment indéniable…

Après trois ans de bonne entente, ces new yorkais de la bonne société que sont Frank et Robin forment un couple soudé. Mais, pris par le travail, ils ne s’étaient jamais laissé la liberté de roucouler paisiblement. C’est pour y remédier et garder l’effet de surprise que Frank a entrepris de faire toutes les démarches en amont et d’offrir à sa dulcinée une semaine entière sur l’île paradisiaque de Makatea, dans le Pacifique sud… Un vrai jardin d’Eden ! Pour y arriver, la dernière partie du trajet requiert toutefois des tourtereaux d’embarquer à bord d’un vieux coucou piloté par le bourrin Quinn Harris flanqué de sa frivole copine Angelica. N’ayant d’autre choix, Frank et Robin s’y plient à reculons et finissent par arriver sans encombre dans leur hutte du bord de plage. Baignade, fiesta et surtout consentement sur le mariage s’ensuivent dès leur arrivée ! Et ce n’est pas le gringue alcoolisé de Quinn à l’attention de Robin qui va écorner l’allégresse. Elle ne mange pas de ce pain-là… En revanche, elle est bien plus sensible à la demande de sa hiérarchie, qui lui demande en urgence de se rendre le plus tôt possible à Tahiti pour affaire. La jeune femme finit par céder et à faire accepter cela par son Apollon. Mais le hic est que le seul moyen de se rendre à Tahiti est d’avoir une nouvelle fois recours aux services de Quinn. Là encore : pas le choix. Sauf que cette fois, le voyage ne se passe pas comme prévu : pris dans une tempête, l’avion s’écrase sur une île déserte. Les deux passagers survivent, mais les voilà désormais obligés de collaborer pour survivre, tandis qu’à Makatea Frank et Angelica doivent s’escrimer pour rameuter les secours.

Ah, la comédie estivale ! Une niche cinématographique et télévisuelle faisant office de marronnier. Un peu au même titre que les (télé)films de Noël ou les romances de la Saint-Valentin, la comédie estivale dispose de ses amateurs acharnés venant essentiellement pour être confrontés aux sempiternels clichés. Malheur au scénariste qui en oublierait un au passage ! Grosso modo, la structure de tout cela est de de susciter l’identification du public (souvent populaire) à l’un des protagonistes et de lui faire connaître des aventures par procuration. Chemin faisant, les véritables personnalités vont se révéler et le héros, c’est à dire le personnage auquel le spectateur se sera identifié, réussira à triompher de l’adversité. Tout sera bien qui finira bien, façon “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”, les cupides, arrivistes et autres malandrins seront punis ou bien se remetteront dans le droit chemin. Rien de plus beau que de voir fondre les carapaces et transformer les cœurs de pierre en cœurs d’artichauts ! Bien entendu, ce héros doit incarner le citoyen lambda dans son mode de vie autant que dans son idéalisme, ses défauts apparents étant en réalité des qualités déguisées (par exemple, le goût pour les soirées arrosées et l’absence de chichis est une digne marque d’appartenance aux classes populaires). Dans Six jours, sept nuit, qui est trempé dans ce moule jusqu’au cou, ce rôle échoit à Quinn Harris, qui flatte déjà le quidam en étant incarné par un Harrison Ford toujours très populaire et qui incarne un bon vivant franc du collier mais éminemment altruiste, profondément débrouillard et comme il pourra le démontrer d’un courage hors-norme. Bref, l’homme idéal au bras duquel aimeraient secrètement s’encanailler -voire plus- les donzelles bridées par leur statut social et par un entourage qui les maintient dans une posture guindée à laquelle elles ont fini par croire elle-mêmes. Le film de Ivan Reitman n’est en réalité que cela : faire prendre conscience à Robin que ses vraies envies, que sa vraie personnalité, ne sont pas celles de l’experte du marketing d’une revue de mode, mais celle d’une jeune femme qui voudrait penser à elle-même plutôt qu’à son image ou à sa condition sociale. Qu’est-elle réellement ? Et bien une femme qui n’aime rien d’autre que l’authenticité, et ses aventures avec Quinn Harris (en tout bien tout honneur à quelques bisous près) lui permettront de lui en faire prendre conscience et d’affirmer ce qu’elle est réellement. Mais qu’en est-il justement de Quinn Harris ? Lui aussi, à sa manière, se révèle dans l’adversité. Non que l’on puisse douter de son côté baroudeur (avant même de se crasher -ce en quoi le pilote est innocent-, son coucou était déjà une ruine), mais il était en revanche possible de douter de sa capacité à vivre le grand amour. Ainsi Veronica, sa copine officielle, si elle a beau être sympathique et roulée comme une bimbo -ce qui n’est pas le cas de Robin, plus proche de mademoiselle tout le monde-, demeure un personnage condamné à rester superficiellement traité, et donc superficiel tout court. Ce n’est pourtant pas faute de la montrer en train de ruer dans les brancards en compagnie de Frank pour intensifier les recherches. Mais la nature caricaturale des deux personnages, ainsi que le choix de leur faire vivre une nuit d’amour pour se consoler -ce que la morale réprouve-, empêche toute forme d’identification à leur encontre. Reitman ne laisse pas même entrevoir qu’ils pourraient former un couple comme Quinn et Robin. Veronica et Frank sont clairement les deux victimes collatérales d’une intrigue qui ne les utilise que pour montrer que son binôme de héros vaut en réalité bien mieux que l’image qu’ils inspirent. Ce en quoi elle est d’un conformisme à tout crin. Les amateurs de comédies saisonnières (ici estivale) y trouveront donc leur compte de romance clichée.

Pour autant, si ce style de produit archi-calibré sait se faire apprécier, il faut bien admettre que c’est aussi parce qu’il ne s’inscrit généralement pas dans le premier degré. Si démagogie il y a, elle ne s’affirme pas forcément à coup de masse. L’humour joue ainsi un grand rôle. Mais là encore, dans ce sous-genre balisé, il y a des conventions. Avant toute chose, il faut déjà miser sur la légereté plutôt que sur le gag gras : il ne faudrait pas tomber dans le graveleux sous peine de faire tomber la comédie tout-public dans la comédie adolescente. Dans le cas présent, consistant à rapprocher deux êtres a priori aux antipodes l’un de l’autre (un grand classique), il s’agit aussi de miser sur les différences initiales des deux personnages : condition sine qua non permettant de les rapprocher par la suite jusqu’à les faire tomber dans les bras l’un de l’autre lors du clou final. A ce petit jeu, Ivan Reitman n’a pas grand chemin à faire : une jeune citadine bourgeoise et un aventurier expérimenté (joué qui plus est par l’interprète d’Indiana Jones) échoués sur une île déserte, que demander de plus ? L’idée elle-même laissait entendre que nous ne pourrions pas couper aux vannes sur les classes sociales, avec une donzelle prétentieuse et hors des réalités et un gaillard qui ne s’en laisse pas compter. Reitman s’y plie de bonne grâce, sans faire d’entorse aux attentes. Puis la structure du film faisant loi, il s’éverturera par la suite à unir les deux dans un point d’équilibre auquel chacun inspirait. Ce faisant, le film perd de sa nature humoristique, ce qui à vrai dire n’est pas une grande perte. Mais pour en arriver là, encore faut-il que les deux soient amenés à reconsidérer leurs positions, ce qui se fait donc dans l’adversité. Et c’est là que Six jours, sept nuit pouvait encore tirer son épingle du jeu : en misant sur le côté “aventure” d’une intrigue à laquelle Harrison Ford n’a pas été invité pour rien. Las : sur ce plan-là encore, Reitman ne propose rien de bien palpitant. Il ne réussit pas -mais avait-il tenté ? Rien n’est moins sûr- à montrer qu’ils courraient réellement un danger. Certes, il aurait été compliqué d’allier cette faculté avec l’humour qui doit perdurer, mais lorsque le point d’orgue lui-même ne dépasse guère le simple statut de péripétie, on ne peut guère considérer que la partie “aventure” soit elle-même une réussite. Ce point d’orgue n’est d’ailleurs guère inventif : l’intrusion de contrebandiers armés sur l’île. Une bande de débiles dont l’intelligence de nos deux héros alors unis saura venir à bout sans trop de mal. Pour le reste, rien de spécial à signaler : l’esprit d’Indiana Jones est bien loin de tout ça, et Reitman ne se sera guère accordé d’occasion pour montrer ses capacités de metteur en scène.

Au final, Six jours sept nuits est éminement oubliable. Il n’a aucun défaut formel majeur, mais il n’affiche pas de qualité lui permettant de sortir du lot. L’envie de se plonger dans un décor paradisiaque et quelque peu préservé est encore ce qu’il a de plus attractif, surtout si l’on est amateur d’une esthétique de carte postale (les couchers de soleil tropicaux tout droit tirés des années 80 !). Quant à Ivan Reitman, tout à sa volonté de s’affirmer comme un réalisateur majeur (commercialement parlant), il se fait complétement oublier. Sans même parler de Cannibal Girls, l’homme derrière SOS Fantômes n’est clairement plus le même. Il se plie à tous les poncifs possibles, rend un travail propre mais très scolaire et se pose en un faiseur docile pour des grands studios et de stars en quête d’argent facile. L’homme s’est toujours affirmé comme un conservateur (y compris politiquement), ce qui ne l’a pas empêché de réaliser de bons films. Mais en cette occasion il pousse le bouchon un peu loin en réalisant un film totalement asceptisé, professionnellement conçu mais d’une platitude forcenée. Un pur produit de commation que personne – ni réalisateur, ni acteur, ni producteurs- n’a jamais ambitionné comme étant destiné à la postérité. A moins bien sûr d’être un afficionado de la comédie estivale avec ses moult passages obligés…

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