CinémaComédieScience-Fiction

Peut-être – Cédric Klapisch

Peut-être. 1999.

Origine : France
Genre : Je veux vivre !
Réalisation : Cédric Klapisch
Avec : Romain Duris, Jean-Paul Belmondo, Géraldine Pailhas, Matthieu Genet, Olivier Gourmet, Julie Depardieu, Riton Liebman, Hélène Fillières.

31 décembre 1999, Paris. Clothilde et Philippe organisent au domicile de leurs parents un grand réveillon du nouvel an placé sous le thème du futur. Figurant parmi les invités, Arthur se rend là-bas en compagnie de son ami Matthieu. Il doit y retrouver sa petite amie Lucie, laquelle souhaite faire du passage à l’an 2000 un moment inoubliable, le début d’une nouvelle vie. Autrement dit, faire un enfant. A peine arrivée sur le lieu de la fête, elle entraîne Arthur dans une pièce au calme afin de mettre son projet à exécution. Celui-ci ne fait aucune difficulté jusqu’à ce qu’elle lui fasse part de ses intentions. Il se retire alors prestement, tuant dans l’oeuf les espoirs de Lucie. Resté seul, il remarque que du sable s’échappe de la trappe du plafond. Intrigué, il s’y aventure et découvre au fil d’une improbable ascension un Paris enseveli sous des tonnes de sable. Alors qu’il arpente son nouvel environnement, Arthur se fait approcher par un vieux monsieur qui lui déclare être son fils, preuves à l’appui. Un fils qui ne pourra exister que si Arthur reprend les choses là où il les a laissées. Et le convaincre ne sera pas chose aisée.

La sortie ces jours-ci du film d’animation Mars Express de Jérémie Périn vient opportunément rappeller que la science-fiction a aussi droit de cité au sein du cinéma français. Et cela dès les balbutiements du cinématographe avec Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès en 1902, précurseur en la matière. Sans se montrer aussi prolifique et spectaculaire dans le domaine que leurs homologues américains, nos réalisateurs ne rechignent pas à s’aventurer sur les terres de la science-fiction, le plus souvent pour dépeindre un futur sombre et oppressant. Et parmi eux, de grands noms qu’on attendait pas forcément sur ce terrain-là tels Jean-Luc Godard avec Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution en 1965, François Truffaut avec Farenheit 451 en 1966, Roger Vadim et son Barbarella en 1968 , Bertrand Tavernier et La Mort en direct en 1980, ou encore Claude Lelouch avec Viva la vie en 1984. Même la grosse comédie s’y est essayé, avec notamment par deux fois Louis De Funés confronté à des êtres venus d’ailleurs sous l’oeil complice de Jean Girault (Le Gendarme et les Extraterrestres en 1979 suivi de La Soupe aux choux en 1981). Cédric Klapisch s’inscrit donc dans une longue tradition d’où ont émergé d’autres réalisateurs comme Luc Besson (Le Dernier combat, premier film au dépouillement consenti, loin de la lourdeur et de la démesure visuelle du 5e élément et de Valérian et la Cité des mille planètes) ou encore le duo Caro & Jeunet à l’univers très marqué (Delicatessen et La Cité des enfants perdus). Déjà bien installé dans le paysage cinématographique français de l’époque, on n’attendait pas forcément le réalisateur de Chacun cherche son chat et Un air de famille sur ce terrain-là. Pourtant, Peut-être est un projet qu’il mûrit de longue date et dont le déclic a été, selon ses dires, le développement des trucages numériques. Il ne faut néanmoins pas s’attendre à des effets spéciaux ambitieux, ni tape-à-l’oeil, tant cette incursion dans un le Paris de 2070 s’inscrit dans la continuité d’une oeuvre qui fait la part belle aux personnages et aux liens qui les unissent.

Le versant space-opera de la science-fiction, Cédric Klapisch s’en amuse dès l’ouverture de son film avec cette parodie des séries télé type Star Trek que Arthur regarde d’un oeil distrait. Une série à la mode aux nombreux produits dérivés dont les costumes des personnages sont particulièrement prisés lorsque la soirée du Réveillon s’annonce sous la thématique de l’an 2000. Le sticker “Vu à la télé” ostensiblement visible sur la tenue que porte Philippe, l’hôte de cette soirée festive, apparaît autant comme un gag que comme une note d’intention. Cédric Klapisch ne cherche pas à innover dans sa vision du futur, dont l’omniprésence du sable et un retour en arrière technologique renvoient aux films post-apocalyptiques. Sauf que disserter sur les raisons qui ont précipité le monde dans cette situation ne l’intéresse pas. Ce futur est à prendre pour argent comptant, et si ce n’est sur le plan visuel (ce Paris ensablé offre des images saisissantes comme cette déambulation nocturne à la lumière rasante des lampadaires dont on ne voit plus que le sommet) ne diffère guère de notre monde sur le plan des attitudes et des comportements humains. On y voit encore des gens partager un verre à la  terrasse des cafés ou faire la fête (Screaming Jay Hawkins en invité de marque) comme si de rien n’était. On ne les sent pas malheureux ni en guerre contre quiconque. Le Paris de 2070 apparaît comme un lieu apaisé et résilient. Peut-être n’assène pas de discours catastrophistes et alarmistes sur l’état de notre monde. Il propose simplement une vision pittoresque d’un futur possible qui visuellement doit marquer les esprits. Car le propos du film ne réside pas tant dans ce Paris d’après demain et son mode de fonctionnement que dans les questionnements d’Arthur. A la fois un pied dans la vie active et un autre dans la précarité (il n’a qu’un CDD très bassement rémunéré), il aspire à davantage de certitudes et de confort avant d’envisager de fonder une famille. Pour justifier à Lucie son refus, il met en avant la crise économique que traverse le pays et son taux de chômage élevé. Et, plus important, il ne s’estime pas près à sauter le pas. Les questions climatiques sont brièvement évoquées – le trou dans la couche d’ozone constituait alors la source d’inquiétude la plus médiatisée – mais sonnent davantage comme une excuse que comme une véritable préoccupation. Cela va dans le sens d’une énergie punk que Cédric Klapisch tente de retrouver sur l’air du “No Future”, à la manière de ce convive qui explique le choix de son costume – une tenue de squelette – par le fait que nous allons “tous crever”. Les suppliques du père de Clothilde et Philippe (“Mollo, sur le destroy.”) seront alors battues en brèche par le coup de sang désespéré d’Ako, lequel passe allègrement ses nerfs sur le mobilier à l’aune de sa probable extinction.

L’intrigue de Peut-être repose sur une double contrainte. Alors qu’Arthur ne se projette pas dans l’avenir, préférant vivre au jour le jour, il se voit soudain confronté à ce que sera sa vie future par l’entremise de ce fils ayant plutôt l’âge d’être son grand-père et qui le somme de l’enfanter. Une injonction qui va de pair avec le désir d’enfant de Lucie qu’elle venait de lui jeter au visage en plein coït. Arthur est donc amené à se poser des questions qu’il n’avait pas – encore – envie de se poser. Cette troisième collaboration entre Cédric Klapisch et Romain Duris tend à asseoir le second en tant qu’alter ego de fiction du premier. Le jeu encore hésitant de Roman Duris épouse d’ailleurs parfaitement les atermoiements de son personnage. Sauf que le réalisateur ne partage pas les réserves d’Arthur quant à la paternité, lui-même ayant toujours voulu être père. Et l’étant du reste déjà devenu au moment du tournage. A ce propos, Peut-être est de son point de vue moins un film sur les questionnements autour de la paternité que l’histoire d’un fils qui se bat pour continuer à exister. Ce qui sonne presque comme une manière de sermonner Arthur quant à son inconséquence. Cédric Klapisch semble croire dur comme fer que le bonheur passe forcément par la constitution d’une famille, quelqu’en soient les difficultés inhérentes. Celles-ci tiennent lieu de gags occasionnels (Juliette, l’une des descendantes d’Arthur, tente désespérément de vanter les mérites de la famille à son aïeul alors que ses enfants réclament à corps et à cris son attention) et de disputes père-fils (Arthur vs Ako, Ako vs Jean-Claude). Les relations houleuses entre Arthur et son – vieux – fils constituent l’essentiel de l’action dans le Paris de l’an 2070. Dans ce rapport de force inversé, le fils ayant plus de bouteille que le père, se joue une forme de passage de témoin entre les acteurs Jean-Paul Belmondo et Romain Duris. Le premier étant vu, si ce n’est comme un modèle, au minimum comme une inspiration du second. Loin d’être anecdotique, la présence d’une affiche de Pierrot le fou au-dessus du lit d’Arthur dans son studio parisien pousse la filiation jusque dans l’inconscient collectif. Cédric Klapisch trempe sa plume dans l’eau de rose lorsqu’il s’agit de pousser Arthur à tordre le coup à ses principes. Car au fond rien de ce que voit Arthur dans le Paris de 2070 ne devrait l’inciter à infléchir sa position, si ce n’est Blandine, duplicata parfait de Lucie. Apprenant au passage la date exacte de sa mort, tout l’inviterait au contraire à rester droit dans ses bottes. Quitte pour cela à délaisser Lucie et aller baguenauder du côté de cette jeune femme qui lui fait les yeux doux et dont le scénario fait peu de cas. Sauf que Lucie est la femme de sa vie et qu’il décide en conséquence de faire passer le bonheur de la jeune femme avant le sien. Peut-être s’apparente donc à une fable, un conte moral sur la beauté du couple et l’acmé que représente la vie  de famille. En somme, Arthur réussit en un film ce que Xavier Rousseau, héros à venir de L’Auberge espagnole, mettra trois films à accomplir.

Peut-être est incontestablement un film de Cédric Klapisch que la démesure des décors et des moyens n’a en rien éloigné de ses préoccupations habituelles. Il apporte un prolongement à ses figures récurrentes de jeunes gens un peu paumés dans un cadre plus ambitieux qu’à l’accoutumée mais finalement pas nécessaire tant cela n’apporte pas de plus-value à son propos. Il semble alors à la croisée des chemins. Il déçoit dans l’illustration de cette soirée du Réveillon qui bascule dans un joyeux foutoir où se mêlent les destins de personnages secondaires pour mieux soigner les errances nocturnes entre Arthur et Blandine où le premier redécouvre des sensations oubliées. Loin d’être un coup d’arrêt, Peut-être serait plutôt un pas de côté, un peu maladroit dans son approche mais toujours empli de sincérité.

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