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La Morte scende leggera – Leopoldo Savona

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La Morte scende leggera. 1972

Origine : Italie 
Genre : Giallo 
Réalisation : Leopoldo Savona 
Avec : Stelio Candelli, Patrizia Viotti, Antonio Anelli, Tom Felleghy…

De retour de Milan où il se livrait à ses trafics habituels, Giorgio Darica (Stelio Candelli) découvre chez lui que sa femme a été assassinée. Bien qu’il soit plus proche de sa maîtresse Liz (Patrizia Viotti) que de sa femme, il n’a rien à voir dans ce meurtre ! C’est du moins ce qu’il clame à un juge de sa connaissance, avec lequel il est en affaires pour l’aider à financer sa campagne politique. Le magistrat le renvoie à un avocat tout aussi véreux, lequel conduit Giorgio et Liz à un hôtel actuellement fermé au public, et leur donne la consigne de ne se montrer en public sous aucun prétexte jusqu’à ce que qu’il trouve un alibi valable. Ainsi bouclés, les deux amants commencent bien vite à trouver le temps long. D’autant plus que Liz n’est pas au courant des activités de Giorgio, et qu’elle comprend mal la nécessité de cet enfermement. Le bandit se retrouve donc sous pression, mais il n’a encore rien vu. Bientôt il va tomber sur le propriétaire de l’hôtel, lequel vient tout juste d’assassiner sa femme, et lui demande de l’aide pour se débarrasser du cadavre, ce qu’il ne peut refuser. Sauf que Giorgio croit être pris de berlue lorsqu’il se rend compte que le corps qu’il aide à enterrer est celui de Liz, laquelle continue pourtant à se promener dans des couloirs décidément bien agités, puisqu’on y trouve aussi la maîtresse et la fille du propriétaire, qu’il voit des fois mortes et d’autres fois bien vivantes. Cet endroit serait-il hanté ?

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Bien étrange giallo que celui de Leopoldo Savona, dont la filmographie se limitait jusqu’ici à quelques films historiques (guerre et western principalement). A ce point étrange que pendant longtemps il n’y a rien qui permette de le définir comme un giallo… Au mieux, il s’agirait d’un simple thriller dont le but serait de découvrir si oui ou non Giorgio a assassiné sa femme. Savona fait dans le flou dès la première scène : nous voyons son personnage rentrer chez lui, mais nous ne sommes pas sûrs que sa femme soit morte. Son décès n’est présenté comme une certitude que lorsque Giorgio se rend chez le juge, ce qui laisse -avec le manque de confiance qu’il inspire- toute latitude pour le croire coupable ou innocent. Mais cette interrogation s’évapore très vite, d’une part parce que les magistrats ne travaillent pas sur la recherche d’un coupable mais sur la recherche d’un alibi, donnant des coups de fils à droite et à gauche dont certains (l’appel à un producteur de giallo !) paraissent hors sujets, et d’autre part parce que Giorgio se retrouve coupé du monde et n’a donc de compte à rendre à personne. Excepté à Liz, mais dans ce cas nous nous retrouvons davantage face aux atermoiements d’une vie de couple que d’une intrigue policière. Baiser, regarder un film, s’engueuler, parler du passé, du présent et de l’avenir, re-s’engueuler, re-baiser, pendant que même le juge et l’avocat sortent du récit… Tout de même assez longue il faut bien le dire, cette première moitié de film n’éclaire rien sur rien : où va donc Savona ? Il y a malgré tout une certaine ironie qui se ressent derrière tout ça, preuve que le réalisateur sait très bien où il veut en venir. L’ironie sur la vie arrêtée nette d’un homme qui jouait jusqu’ici les gros bras et qui se retrouve remisé comme un malpropre avec pour compagnie une maîtresse agaçante. Mais aussi et surtout l’ironie d’un cinéaste qui laisse mijoter son spectateur au risque de le perdre en cours de route. Bien que rien de particulier ne se passe à l’écran (sans faire injure aux charmes non négligeables de Patrizia Viotti), cette première partie est d’une futilité que l’on devine trompeuse, et qui trouvera son terme lorsque Savona nous aura presque noyés dans la banalité.

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Très brutalement, le réalisateur se met alors à nous balader en compagnie de son personnage dans un récit plus que tordu : il est surréaliste. Entre les visions contradictoires de Giorgio, les supposés morts qui reviennent comme si de rien n’était et cette famille de locataires troublants (un père assassin, une maîtresse perverse, une fille mystique), il n’y a plus aucun repère. Il y en a même d’autant moins que la première partie a par sa mollesse réduit le personnage principal à la passivité face aux évènements, se laissant emporter dans le tourbillon tandis que Liz, étant restée sur une crise de nerfs, ne peut servir d’appui. Elle aussi rejoint même le délire ambiant (assassinée ou pas ?), laissant planer le doute sur la santé mentale de Giorgio, lequel est alors plus que jamais la cible de l’ironie mordante du réalisateur. Le giallo fait son apparition, mais une forme particulière de giallo où savoir qui est mort et qui ne l’est pas prévaut sur la découverte de l’identité de l’assassin, tout simplement parce qu’on ne peut découvrir la réponse à la deuxième énigme si la première n’a pas été résolue. Or, pour la résoudre, il faudrait pouvoir établir des déductions. Chose impossible. D’un simple giallo, qui ne serait peut-être que les tourments mentaux d’un assassin déprimé, Savona fait un vrai film fantastique. Sa mise en scène épouse ainsi les codes des films de maisons hantées, avec un personnage déambulant dans des couloirs sombres où il croise plusieurs individus complexes dont la venue a tout de l’apparition fantomatique (sans parler des cadavres gorges tranchées). Inquiétants et erratiques, ces visiteurs nocturnes n’ont en effet rien de réaliste. Témoin cette scène où la fille de famille prend un bain au milieu d’une pièce vide, pendant qu’un singe qui n’a rien à faire là se balance à une poutre. A la différence de celui, gothique, d’une Dame rouge tua sept fois, ou du plus esthétique et angoissant Perfume of the Lady in Black, ce fantastique a quelque chose de psychédélique que l’on retrouve dans une musique jouée parfois à la guitare électrique. Ce qui prolonge la démarche d’un réalisateur qui à travers son giallo imprévisible joue sur un humour au énième degré et élabore des montagnes russes en contournant les attentes basiques née de la linéarité, voire de la simple compréhension. Et tout ceci pour pas grand chose (se moquer de Giorgio et du spectateur), certes, d’autant plus que l’explication finale est décevante car retombant dans le rationnel et par conséquent l’incohérence. Ainsi, tout n’est pas justifiable par l’explication donnée et les dés furent pipés -encore qu’il puisse tout aussi bien s’agir d’un ultime pied de nez qui par son incongruité s’avérerait particulièrement savoureux et plein d’auto dérision-. Mais le but de La Morte scende leggera n’a jamais été d’être profond. Savona s’est avant tout livré à un exercice manipulateur visant à saboter la narration et la logique, et ce qu’il y avait autour lui a peu importé. Originalité garantie. On ne dira jamais assez que sous une façade trop souvent réduite à celle brossée par les classiques d’Argento, le giallo n’est qu’une étiquette bien commode mais trop réductrice pour désigner un genre qui donne une entière liberté créatrice à ses réalisateurs, d’autant plus que ceux-ci sont souvent épargnés par les contraintes d’une distribution trop large.

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