CinémaPolar

Le Récidiviste – Ulu Grosbard

Straight Time. 1978.

Origine : États-Unis
Genre : Liberté conditionnelle
Réalisation : Ulu Grosbard
Avec : Dustin Hoffman, Theresa Russell, M. Emmet Walsh, Gary Busey, Harry Dean Stanton, Kathy Bates.

La vie en prison, Max Dembo connaît bien. Depuis l’âge de 12 ans, il y fait des séjours réguliers plus ou moins longs. Le dernier, pour un vol à main armée, lui a valu six années de détention. Six ans, c’est long. Si bien qu’une fois remis en liberté conditionnelle, il n’aspire qu’à une chose, vivre comme tout à chacun. Mais le retour à la vie normale s’annonce long et difficile. Il va devoir faire ses preuves, témoigner de sa bonne foi devant Earl Frank, son agent de probation. Un type faussement avenant qui ne ratera jamais une occasion de l’enfoncer. Heureusement, sur le chemin du renouveau, Max rencontre Jenny Mercer. La jeune femme travaille à l’agence pour l’emploi dans laquelle il est venu se faire évaluer en vue de trouver un travail. Au courant de son passé, elle ne le juge pas. Et surtout, le regarde comme un être humain. Pour elle, et avec elle, Max s’imagine un avenir. Mais les embûches sont nombreuses, surtout lorsqu’on remet constamment votre parole en doute. Et à trop faire le dos rond pour ne pas tout gâcher, Max finit par craquer et replonge dans le banditisme.

En 10 ans de carrière, Dustin Hoffman est devenu un visage emblématique du cinéma américain. Par ses choix particulièrement avisés et inspirés qui vont du Lauréat à Marathon Man en passant par Little Big Man, Les Chiens de paille ou encore Macadam Cowboy, Papillon et Les Hommes du président, il s’est imposé comme l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Une génération dorée qui comprend alors des pointures comme Robert Redford, Jack Nicholson, Harvey Keitel, Al Pacino, ou bien Robert De Niro. Excusez du peu. En cette fin des années 70, Dustin Hoffman aspire à plus. Détenteur des droits du premier roman de l’ex taulard Edward Bunker, Aucune bête aussi féroce (1973), il envisage non seulement d’en interpréter le personnage principal mais également de le porter lui-même à l’écran. De ses contemporains, seul Jack Nicholson était déjà passé à la réalisation avec Vas-y, fonce en 1971 puis En route vers le sud en 1978. Sauf que devant l’ampleur de la tâche, Dustin Hoffman se rétracte. Pas suffisamment sûr de pouvoir mener tout cela de front, il préfère finalement se concentrer uniquement sur le jeu. Pour le remplacer au pied levé, il choisit un homme de confiance, le metteur en scène de théâtre récemment passé à la réalisation de films, Ulu Grosbard. Les deux hommes ont déjà travaillé ensemble, notamment au théâtre en montant la pièce d’Arthur Miller Vu du pont en 1965. Une forte amitié en a découlé. Seulement, celle-ci ne survivra pas au tournage du Récidiviste. On peut imaginer que Dustin Hoffman n’a jamais vraiment pu se résoudre à renoncer à la réalisation et qu’il a dû rendre la vie impossible à son successeur par son ingérence, quand bien même ce soit lui qui l’ait choisi. L’expérience l’a néanmoins suffisamment marqué pour qu’il patiente plus de 30 ans avant de passer enfin derrière la caméra à l’occasion de Quartet en 2012. Année qui, par un drôle de clin d’oeil du destin, est celle qui verra mourir Ulu Grosbard, dont la carrière cinématographique après cette ultime collaboration se résumera à 4 films.

Au-delà d’annoncer la couleur d’emblée, le titre français du film d’Ulu Grosbard ne cache rien du côté routinier d’un tel récit. Que ce soit en littérature ou au cinéma, il n’y a rien de plus convenu que ces histoires d’ex-taulards qui replongent pour un dernier coup. Cela tendrait à les inscrire dans une forme de fatalité que le vécu même de l’auteur, Edward Bunker, remet en cause. Une nouvelle vie est toujours possible. Encore faut-il que tout participe à cette embellie. Le Récidiviste est principalement le récit d’un empêchement. Max Dembo sort de prison avec les meilleures intentions mais celles-ci ne suffisent pas lorsque tout un système cherche à vous maintenir au fond du trou. Cette liberté recouvrée n’est qu’un miroir aux alouettes. Un supplice de tantale pour l’ex-détenu qui n’aspire qu’à se perdre en déambulations nocturnes sans compte à rendre à personne. Sauf que des comptes, il doit en rendre. En permanence. Earl Frank, son agent de probation, le lui rappelle non sans une certaine délectation. Max Dembo appartient toujours au système carcéral. Il n’est qu’en sursis. Au moindre faux pas, c’est le retour à la case prison qui lui pend au nez. Cette liberté conditionnelle vaut malédiction. Ses employeurs doivent en être informés et il lui est formellement interdit de conduire. Il ne doit pas non plus frayer avec ses anciens amis, sous peine de leur nuire. C’est ce que tente de lui faire comprendre Selma. Elle ne veut plus de lui chez elle, ne veut pas de la mauvaise influence que Max pourrait exercer sur son mari. En somme, elle le traite comme un pestiféré. Un homme infréquentable. Max enrage mais aquiesce. Il s’agit sans doute là du principal enseignement de son existence carcérale : encaisser les coups sans broncher. Du moins jusqu’à un certain point. Toute la première partie du film tient sur ce fil ténu. Cette tension sous-jacente qui ne demande qu’à exploser. Et pose cette question : jusqu’où peut-on déshumaniser un homme ? Avec la Loi de son côté, Earl Frank se comporte comme un beau salaud. Il nie tout droit à l’intimité à Max Dembo, s’introduisant dans sa chambre d’hôtel pendant son absence. Il joue les inquisiteurs à la petite semaine, cherche la petite bête sans jamais se soucier des conséquences. En somme, il jouit du petit pouvoir que lui confère la justice, jamais bien loin d’en abuser. Le point d’orgue du film est atteint lorsqu’il renvoie Max en cellule de dégrisement pour des soupçons de prises de stupéfiants. Max revit alors le cauchemar qu’il a quitté. Il se sent humilié, bafoué dans ses droits les plus élémentaires. Il n’est plus un individu mais un numéro qui suscite la défiance en permanence. Dire que Dustin Hoffman habite le personnage relève de l’euphémisme. Max et lui ne font qu’un. Le moindre de ses regards témoignent des tourments intérieurs de son personnage. A ce titre, la scène du parloir vaut profession de foi. Face à l’ingénuité et à la gentillesse de Jenny Mercer, Max passe par tous les sentiments, à la fois touché de sa venue mais aussi passablement irrité qu’elle le voit sous ce jour-là. Il parvient à être aussi émouvant lors des scènes avec Jenny qu’impétueux et violent lorsqu’il renoue avec ses vieux démons. Cette dualité sous-tend l’ensemble du film et vient enrichir une seconde partie plus classique dans son déroulement.

Repartir au charbon – comprendre renouer avec les vols à main armée – devient le seul moyen pour Max Dembo de se laver de ses frustrations. La société se refuse à lui alors il décide en toute conscience de ne plus en suivre les règles. Rien de nouveau sous le soleil. C’est ce qu’il a toujours fait. Il retrouve d’ailleurs bien vite ses réflexes, passé le braquage hésitant d’une supérette. Et avec eux, ses compagnons de galère. Pourtant rangé des voitures, Jerry Shue n’hésite pas à replonger avec lui. Il est même demandeur tant, de son propre aveu, il s’ennuie dans son quotidien de gentil mari et de gérant d’un garage. Par appât du gain, certes. Mais aussi pour l’adrénaline que cela procure. Ce sentiment, pendant les quelques minutes que dure un braquage, de pouvoir contrôler le temps et les gens. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir la trouille. Ou de renâcler lorsqu’il trouve que Max agit en dilettante, au mépris de toutes précautions. Il n’a rien d’une tête brûlée. Max en a plus les attributs. Il se sait pressé par le temps alors il flirte avec les limites. Il maintient un coup qui s’annonce mal, s’attarde plus que de raison aux guichets d’une banque, au risque de tomber nez à nez avec les forces de l’ordre, d’aller à la confrontation. C’est que cette fois, il ne reprend pas du service pour vivre au jour le jour mais pour construire son avenir. Les vols qu’il multiplie doivent lui permettre de refaire sa vie ailleurs, en compagnie de Jenny. Air connu auquel la personnalité de la jeune femme apporte une dimension particulière. Car Jenny demeure une énigme. On ne sait pas trop ce qui lui plaît chez Max. Peut-être son honnêteté puisqu’il ne cherche jamais à lui raconter d’histoires. Il lui dit tout de but en blanc, jusqu’à lui partager la peur qui l’étreint au moment de leur premier rendez-vous. Ou alors elle se sent investie d’une mission, jouant les bonnes samaritaines pour un homme à qui tout le monde, ou presque, tourne le dos. Le côté angélique de Theresa Russell sied bien à cette interprétation sans en faire une vérité irréfutable. Au fond, Jenny n’a qu’une influence théorique sur les agissements de Max. Ce dernier est surtout prisonnier d’une vision archaïque de la femme, qu’il convient de couvrir de présents pour mieux la flatter. Sauf que Jenny ne partage pas cette vision. Elle n’attache aucune importance aux biens matériels, refusant notamment la montre luxueuse et onéreuse qu’il veut lui offrir pour la simple et bonne raison qu’elle ne la trouve pas à son goût. Il dispense une forme de romantisme suranné d’où affleure une dimension tragique. Métaphoriquement, c’est lorsqu’il arrache le volant des mains de Earl Frank que Max tente de reprendre le contrôle de sa vie. Par ce coup de sang, il se condamne par la même occasion, sans grand espoir d’obtenir un jour une seconde chance. C’est là tout le drame de Max Dembo dont la cavale prendra fin dans l’anonymat d’un restaurant de station-service. Mais au moins aura t-il choisi par lui-même de la manière, en un geste presque chevaleresque. En tout cas dans la droite lignée de sa vision du romantisme.

Passé totalement inaperçu à sa sortie, Le Récidiviste s’inscrit dans le flot des polars sans fioritures qui pullulaient à l’écran durant les années 70. Porté par un Dustin Hoffman impérial, le film évite néanmoins le one man show par l’attention que Ulu Grosbard porte aux personnages secondaires et la justesse de leur interprétation. Parmi eux, les visages familiers de Kathy Bates, Harry Dean Stanton, M. Emmet Walsh et Gary Busey, ce dernier s’offrant même une scène avec son propre fils, Jake. Un film pas foncièrement original dans le propos mais qui parvient à  distiller sa petite musique personnelle et à marquer les esprits par son approche fondamentalement humaniste.

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