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Les Trois visages de la peur – Mario Bava

troisvisagespeur

I tre volti della paura. 1963

Origine : Italie 
Genre : Épouvante 
Réalisation : Mario Bava 
Avec : Boris Karloff, Michèle Mercier, Jacqueline Pierreux, Mark Damon…

Le film à sketches est un genre hétéroclite et difficile à définir. Il s’agit en général de plusieurs courts métrages rassemblés en un seul film, qui partagent un thème plus ou moins commun, mais le résultat est souvent assez hétérogène et de qualité variable. Le genre connaît son apogée dans les années 60 en Italie, et bien qu’ils s’agissent bien souvent de comédies, le cinéma fantastique aura aussi droit a ses films à sketches. Et c’est en 1963 que l’italien Mario Bava après avoir exploré un peu tous les genres se voit confier le projet Les Trois visages de la peur par les studio Galatea Film, qui avaient déjà produit son précédent film: La Fille qui en savait trop.

Comme son nom l’indique, Les Trois visages de la peur réunit donc trois histoires autour du thème de la peur, mais sans réel lien les unes avec les autres. Les trois histoires ne sont d’ailleurs pas intégrées à une histoire qui servirait fil rouge, mais s’enchaînent les unes après les autres. Le film commence toutefois par une petite présentation par Boris Karloff qui préfigure en quelque sorte, par son jeu et ses phrases ironiques, les présentations des épisodes des Contes de la crypte par le désormais fameux gardien de la crypte. L’acteur britannique met donc en garde les spectateurs contre les spectres et les vampires sur un ton assez comique, prenant visiblement beaucoup de plaisir à effrayer pour de faux son public.

Le premier des trois segments, “Le téléphone”, nous raconte l’histoire d’une femme terrorisée par les appels téléphoniques menaçants d’un inconnu qui promet de la tuer avant l’aube. C’est le seul segment des Trois visages de la peur qui n’appartient pas au genre fantastique, il s’apparente plus a un ancêtre du giallo, à l’instar de La Fille qui en savait trop. Le thème des menaces téléphoniques proférées par un assassin sera d’ailleurs largement repris par bon nombre de giallos, et deviendra même un thème très classique du thriller mettant en scène un tueur vicieux (la série des Scream abusera beaucoup de cette idée.) Mais ce qui marque d’emblée dans ce premier segment, c’est le contraste entre ce thème toujours d’actualité et les décors baroques qui deviendront la marque de fabrique de Mario Bava. En effet la victime des menaces téléphoniques vivant dans un luxueux appartement richement décoré, et surtout magnifié par les éclairages et les jeux d’ombres que Bava maîtrise parfaitement. Cela lui permet d’installer très efficacement cette ambiance si particulière caractéristique de ses films suivants. Notons qu’un milieux de ce décor évolue l’inévitable héroïne de films d’épouvante en nuisette vaporeuse et aux grands yeux inquiets.
Nonobstant le soin porté à l’ambiance, Bava n’en néglige pas pour autant le scénario, qui malgré la maigreur de l’idée de base, le nombre restreint de personnages et les décors réduits à une seule pièce, se révèle vraiment très habile. Bava distille savamment un suspense rapidement efficace et parvient en seulement quelques superbes plans à faire planer une atmosphère d’angoisse très réussie sur le film. Très vite les sonneries du téléphone auront des résonances angoissantes dans l’esprit du spectateur, et le film réussi le tour de force de faire passer l’angoisse uniquement par le biais du téléphone, donnant un caractère immatériel mais omniprésent à la menace qui pèse sur l’héroïne. Pour ne rien gâcher le déroulement de l’intrigue est assez retors et se finira de manière très ironique.

“Les wurdalaks” suit cette excellente introduction et change complètement le genre et les décors. Ce deuxième segment adapte La famille du vourdalak de Alexeï Konstantinovitch Tolstoï, l’un des récits fondateurs du mythe du vampire et nous raconte les aventures d’un jeune aristocrate qui découvre au cours d’un voyage un cadavre décapité, avec un poignard planté dans le dos. Non loin de là, il s’arrête pour la nuit dans une maison, dont les habitants lui apprennent que le cadavre qu’il a trouvé est en fait celui d’un wurdalak, une créature démoniaque qui se nourrit du sang de ses proches qui deviennent à leur tour des wurdalaks. Quant au poignard trouvé sur le cadavre, il s’agit de celui du père de la maisonnée, justement parti tuer le wurdalak qui terrorisait la région. Mais bien loin de rassurer la petite famille, la présence du cadavre décapité leur fait craindre que leur père est devenu un wurdalak à son tour… Avec ce segment Mario Bava verse dans l’épouvante gothique comme il avait déjà pu le faire avec Le Masque du démon en 1960, mais cette fois ci le noir et blanc cède la place à un technicolor flamboyant qui permet à nouveau au réalisateur italien de faire preuve de son talent pour créer des images sublimes et baroques. Utilisant habilement des éclairages verts et violets, il arrive rapidement à créer une très belle ambiance gothique qui colle merveilleusement bien à cette histoire. C’est avec Les Trois visages de la peur et Le Corps et le fouet réalisé la même année que Bava s’impose comme le maître du film d’épouvante gothique italien. Et hélas si l’ambiance est réussie, le scénario de ces Wurdalaks reste très classique et prévisible, usant de toutes les caractéristiques propres au genre (visages blafards, contamination par la morsure, séduction, etc…) et le film souffre sans doute de passer après le Dracula de la Hammer. Il permettra tout de même à Boris Karloff de nous livrer une prestation savoureuse dans le rôle du Wurdulak. Un segment intéressant mais un peu en deçà du premier.

La dernière partie et aussi la meilleure est consacrée au segment “La goutte d’eau”. Adapté de Ivan Tchekov, cette histoire est de loin la plus effrayante et la plus originale du film. Pourtant là encore, Bava se base sur une intrigue finalement très mince, mais il fait des merveilles au niveau visuel. Appelée en urgence au milieu de la nuit pour s’occuper des vêtements d’une vieille femme qui vient de mourir en pleine séance de spiritisme, une infirmière dérobe une bague brillante à la morte. mais à l’instant où elle vole le bijoux, un bruit de goutte d’eau qui tombe se fait entendre, lancinant et semblant venir de nulle part… Appartenant pleinement au genre fantastique, “La goutte d’eau” joue avec l’irruption brutale de l’irrationnel. Mais contrairement au premier segment, la menace qui plane ici repose sur toute une série d’effets sonores, puis visuels dont l’inquiétant bruit de gouttes ne constitue que le début. Dans ce segment encore une attention particulière a été portée aux décors et aux éclairages. C’est surtout la grande maison de la vieille comtesse morte qui impressionne, par son coté baroque et décati en même temps. L’ambiance est ici très morbide, ce qui renforce encore l’apparition fugace et effrayante de l’horrible visage grimaçant de la morte, qui n’est pas sans rappeler le visage de Barbara Steele dans Le Masque du démon. C’est en installant rapidement et avec une efficacité qui force le respect cette ambiance lourde et macabre puis en distillant savamment ses effets d’épouvantes que bava parvient à créer quelque chose de vraiment saisissant avec son film. Et rien que pour ce dernier segment, Les Trois visages de la peur mérite de figurer parmi les plus belles réussites du genre.
Et le film de se finir par une conclusion à nouveau déclamée avec délectation et ironie par un Boris Karloff ayant cette fois ci gardé son costume et son maquillage de wurdalak.
Assurément l’un des meilleurs films de Mario Bava !

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