L’Espion qui venait du surgelé – Mario Bava
Spie vengono dal semifreddo. 1966Origine : Italie / États-Unis
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Bien qu’étant censé avoir chuté d’une falaise et explosé avec sa voiture, le Dr. Goldfoot (Vincent Price) n’est pas mort. Comment a-t-il survécu ? Personne ne le sait, pas même les scénaristes de cette séquelle de Dr. Goldfoot and the Bikini Machine, tourné l’année précédente par Norman Taurog pour le compte de l’American International Pictures. Goldfoot est en tout cas toujours vivant, et il ne tarde pas à remettre en marche son usine à femmes fatales, des bombes ambulantes au sens propre du terme car programmées pour exploser à la gueule de ceux qui les embrassent. Les victimes sont cette fois des généraux de l’OTAN devant se rendre à une manœuvre en sol italien. Allié à la Chine populaire, à laquelle il a emprunté un homme de main et une copine, Goldfoot souhaite déclencher à terme la guerre entre l’Union Soviétique et les États-Unis, ce qui le laisserait maître de la moitié du monde (selon le marché conclu avec les maoïstes). Seul le jeune Bill Dexter (Fabian) a deviné ses intentions. Hélas, Bill n’est plus membre des services secrets américains, et son ancien patron Benson refuse d’écouter ses dires. Il charge deux espions professionnels (Franco et Ciccio) d’enquêter, sans savoir que son duo est en fait constitué de deux abrutis que Goldfoot a réussi à faire passer pour de véritables espions.
Bien sûr, il est de notoriété publique que l’American International Pictures a toujours œuvré pour l’argent. Ce qui ne l’a pas empêché de produire quelques excellents films, dont les huit films du cycle Edgar Poe avec Vincent Price. Que le sympathique Dr. Goldfoot and the bikini machine connaisse une séquelle immédiate n’a donc rien de bien scandaleux. Par contre cette fois, l’orientation commerciale va bien plus loin que la simple suite : le film ayant cartonné en Italie, Nicholson et Arkoff décident de faire co-produire son successeur par des italiens et de le confier à Mario Bava. Une idée qui semble de prime abord très bonne : le spectateur de goût ne pourra que se réjouir de voir s’associer le chantre du gothique italien à l’icône du gothique américain, à savoir Vincent Price. Dr. Goldfoot and the bikini machine parodiait entre autres choses les films du cycle Poe, et le choix de Mario Bava laissait entendre que L’Espion qui venait du surgelé s’inscrirait dans la même veine en confrontant deux styles d’épouvante gothique (ajoutons que Bava s’était déjà “internationalisé” en employant les services de l’anglais Christopher Lee et de l’anglo-américain Boris Karloff). Et bien pas du tout. La parodie d’épouvante gothique est totalement oubliée au profit du téléscopage de deux genres à la mode déjà de mise dans le premier film : les films d’espionnage à la James Bond (mais aussi de L’Espion qui venait du froid, dont le titre est ouvertement malmené) et les films de surfeurs. Le traitement parodique ne varie pas, il s’agit essentiellement de caricaturer les gentils et les méchants d’un côté et de mettre des filles en bikinis et de la musique pop non-stop de l’autre. Tout ceci est déjà à la lisière de l’indigeste, mais Norman Taurog sut ne pas franchir le rubicon…
Ce qui n’est pas le cas de Bava et de l’apport italien. Plutôt que de choisir de développer un quelconque aspect gothique, Bava opte pour l’introduction d’une large part de comédie à l’italienne, d’une lourdeur peu commune. C’est pourquoi il s’adjoint les service de Franco et Ciccio, deux habitués des parodies à succès. Marchant quelque peu sur les pas de Jerry Lewis, et surtout sur ceux de l’autre tandem italien (Toto et Peppino), ces deux lascars en font des tonnes. Ils grimacent, ils surjouent, ils s’amusent à dire les pires débilités possibles et de toute évidence ils cherchent à tirer la couverture à eux. Bref, ils font passer à Bava la fameuse limite que Taurog avait su tenir à distance. Le mariage entre ce qui se fait de plus lourd aux Etats-Unis et en Italie fait couler le navire surchargé qu’est L’Espion qui venait du surgelé, film pouvant être résumé en quatre acteurs : les deux boulets venus d’Italie, le flambeur raté venu des Etats-Unis (Fabian, un crooner / acteur tenant le même genre de rôle que son collègue le non moins crooner Frankie Avalon sur le premier film) et la greluche décorative en petite tenue (Laura Antonelli, qui n’était pas encore la compagne de Jean-Paul Belmondo). Quatre acteurs aux styles divers dont l’association fait des dégâts. Ils écrasent le film de leurs navrantes pitreries, conduisant -sacrilège- au sacrifice de Vincent Price, lequel en est réduit à s’adresser directement à la caméra et donc au spectateur pour pouvoir s’affirmer un tant soit peu comme l’un des acteurs vedettes du film. Ce qui reste toujours mieux que de le voir jouer au bègue dans la défroque d’un général qu’il interprète également, ou encore se déguiser en bonne soeur pour tromper la police….
C’est que pour permettre aux personnages tiers (les méchants ou les gentils de second ordre) d’exister, Bava est obligé de les entraîner dans la même surenchère de gags pas drôles, dont un running gag particulièrement horripilant, celui du chef des services secrets s’enroulant dans le fil du téléphone. Perdu dans un film qu’il ne contrôle plus, le réalisateur est amené à faire n’importe quoi, à oublier des pistes qu’il avait initié avec cet absolu manque de grâce et à en ressortir d’autres, anecdotiques. C’est ainsi que si Bill Dexter se montre d’abord sous un jour vicieux, toujours désireux de peloter la secrétaire de son ex chef, il ne réagit plus lorsque la même secrétaire se trouve à ses côtés en nuisette (et qui n’est même pas mise en valeur, à part dans la bagarre finale). C’est ainsi que les filles bombes en bikinis en viennent à disparaître à mi-film (adieu le côté sexy pourtant à l’origine du premier film). C’est ainsi que l’histoire des généraux de l’OTAN se transforme en complot chinois par une obscure pirouette (adieu toute légitimation du bordel ambiant). Plus le film progresse, plus ses défauts sont criants…jusqu’à cette consternante course-poursuite en accéléré dans les rues de Rome, lorsque Bava envoie ses personnages dans les manèges d’une fête foraine et ressort des cartons de l’époque du muet pour les substituer aux dialogues. En fait, autant qu’à un navire surchargé sombrant dans la mélasse, L’Espion qui venait du surgelé s’apparente à une grosse friandise chimique écœurante. Ca se veut coloré et festif, ce n’est que mauvais et pesant. Et c’est ainsi que le personnage du Dr. Goldfoot disparu à jamais des écrans (ses films ayant tout de même inspiré Austin Powers), que Mario Bava saccagea sa seule association à Vincent Price et qu’il cessa de tourner pour des américains. Il réussira malgré tout à imposer sa vision du kitsch des sixties dès son film suivant, l’autrement plus classe Danger Diabolik.