CinémaPolar

Echec au gang – Umberto Lenzi

echecaugang

La Banda del Gobbo. 1978

Origine : Italie 
Genre : Polar 
Réalisation : Umberto Lenzi 
Avec : Tomas Milian, Pino Colizzi, Isa Danieli, Sal Borgese…

Après une longue absence passée en Corse, Vincenzo Marazzi dit “le bossu de Rome” (Tomas Milian) revient en ville, où l’attendaient impatiemment son frère Sergio dit “Monnezza” (Tomas Milian aussi) et sa copine Maria. Le Bossu n’est cependant pas revenu pour mener une vie tranquille, et l’une de ses premières initiatives est de contacter trois de ses ex complices pour dévaliser un fourgon. Le plan est simplement d’utiliser des gaz soporifiques pour immobiliser les convoyeurs. Les trois alliés acceptent, mais complotent entre eux pour abattre le Bossu au cours de l’assaut, jugeant que son infirmité le rendrait facilement identifiable, et ils craignent qu’une fois arrêté le Bossu les compromettent. Le jour J, si le casse est réussi, en revanche les comploteurs échouent à assassiner leur chef. Celui-ci commence alors sa quête vengeresse, aidé par Maria et Monnezza, tandis que la police est à ses trousses.

Le Bossu (vu dans Brigade spéciale, quoique sous un autre nom) et Monnezza (Le Clan des pourris) sont certainement les personnages les plus marquants de l’œuvre policière de Umberto Lenzi, ce qui n’est pas peu dire compte tenu que le réalisateur à apporté au “poliziesco” certains de ses plus beaux spécimens. Alors la perspective de voir un film réunir ces deux rôles tenus par Tomas Milian a de quoi donner envie… A la simple évocation de ce duo s’imposent immédiatement à l’esprit les images faisant la force des deux films d’origines (passons sur L’Exécuteur vous salue bien, la décevante suite au Clan des pourris signée Stelvio Massi) : violence complaisante, provocation politiquement incorrecte et bien entendu les personnages de Milian, tous deux extrêmement fantasques et provocateurs. Pour permettre à sa vedette de jouer deux rôles en même temps, Lenzi a recours aux vieilles méthodes, à savoir le montage et le split screen dissimulé (je ne me souviens pas avoir vu un autre acteur endosser ponctuellement le rôle de Monnezza, mais il faut dire qu’entre sa coiffe afro et sa barbe envahissante, on ne distingue guère son visage). Et pourtant cette séquelle commune à deux films qu’est Échec au gang prend le contrepied des espérances et s’éloigne très largement des deux films références, ce qui n’est peut-être pas pour rien dans le relatif anonymat dans lequel il se trouve encore actuellement, alors qu’aucune édition DVD française ne lui a été consacrée, pas même chez la regrettée Neo Publishing, dont la collection “Italie à main armée” avait pourtant sorti Brigade spéciale, Le Clan des pourris et L’Exécuteur vous salue bien. Ce qui fait que cette critique se base sur une version VHS probablement tronquée parue chez Carrere Video, dans laquelle au moins une scène paraît fort suspecte (d’un coup, sans transition, sans que l’on sache comment, un des pourris dont se venge le Bossu est retrouvé mort… mais il se peut qu’il en soit vraiment ainsi, Lenzi n’étant pas le plus logique des réalisateurs). Toujours est-il qu’Échec au gang est dépourvu de toute forme de violence trop démonstrative. Pas d’enfant sous dialyse kidnappé, pas de landaus utilisés comme bouclier, pas de flics sauvages écumant de rage et tabassant le moindre malfrat qui lui tombe sous la main… Le sadisme primaire ne dépasse jamais le stade du concept, à moins que cela ne soit dû aux coupes pratiquées chez les éditeurs de la VHS Carrere, mais cela n’aurait de toute façon pas eu la même saveur. Car le Bossu est un sadique dont les exactions ne sont aucunement contrebalancées par l’ironie mordante de Lenzi (ou son grossier sens commercial dirons les mauvaises langues). Elles sont plutôt dues à la haine qu’il ressent et qu’il exprime en se montrant particulièrement cruel, enfermant par exemple un de ses traitres dans sa chambre froide ou provoquant la crise cardiaque d’un autre en lui dégommant les dents à la perceuse après avoir été ligoté son dentiste. Des méchancetés au second degré qui s’accommodent mal avec la nature du Bossu. Le summum du grotesque est atteint lorsque le même Bossu prend une bande de bourgeois en otage et veut les forcer à avaler des laxatifs. Disons que si le réalisateur garde le sens du second degré, ce n’est pas le cas pour son personnage, et de ce fait ces scènes paraissent déplacées dans le contexte tracé par le scénario pourtant rédigé par Lenzi lui-même (accompagné par Tomas Milian pour les dialogues). En revanche, le réalisateur réussit pleinement la seule course-poursuite du film, toujours avec les mêmes méthodes de cadrage (plan large, plan depuis le gyrophare, plan depuis le tableau de bord…) et peut compter sur l’excellente musique de Franco Micalizzi pour rythmer le tout. C’est tout de même bien maigre compte tenu de ce que Lenzi avait déjà montré.

Aussi bizarre cela puisse-t-il paraître, Échec au gang se veut davantage politico-social, et qui plus est assez nettement marqué à gauche (alors que Lenzi a plutôt une réputation de fascistoïde -erronée, bien qu’il se soit souvent montré populiste). Aucun des deux personnages principaux ne poursuit complètement son oeuvre, et tous deux changent à des degrés divers de caractère. Monnezza est celui qui entretient le plus son statut, sans pour autant avoir l’occasion de s’imposer comme il le faisait dans Le Clan des pourris. D’une part parce qu’il n’est tout bonnement pas la tête d’affiche, jouant le rôle d’accompagnateur de son frère jumeau, et d’autre part parce qu’il se réduit presque exclusivement à son apport comique, assez dispensable dans le scénario. Il n’empêche que c’est toujours un plaisir de le voir se payer la tête de ses interlocuteurs. Roi de la réplique, extrêmement théâtral (Milian s’est fait plaisir en écrivant lui-même son rôle), il joue en permanence aux attardés au point de gommer parfois même aux yeux des spectateurs la limite qui sépare son manège de la réalité, passant entre autrex dans un asile où sa bêtise simulée s’associe à merveille à celle des autres fous, véritables ou eux aussi simulés. Mais en sympathique prolo rebelle qu’il est, sa grande spécialité reste le tête à tête avec toute forme d’autorité, que cela soit son patron, la police, son médecin… Tout en jouant aux idiots, Monnezza peut alors se montrer d’une très grande intelligence, faisant enrager ses vis à vis lorsqu’ils se rendent compte que celui qu’ils prenaient pour un imbécile est en train de se foutre méchamment de leur fiole (il n’y à qu’à voir la scène, où, alors qu’on le croit malade, il se met à débiter des propos libertaires à un hippie qu’il fait passer pour Jésus). Milian est un acteur à la fois fin et excessif, faisant ici déteindre toutes ses qualités sur son personnage, lui-même un acteur fin et excessif. Sa prestation est encore une fois digne d’éloges, et Monnezza est très certainement le rôle caractérisant au mieux cet acteur capable de tout.

Il n’y a pas besoin d’aller chercher un autre film pour trouver la trace de la diversité du jeu de Milian. Le second rôle qu’il tient, celui du Bossu de Rome, a beau être moins personnel que celui de Monnezza, il n’en est pas moins le personnage principal, et Milian y démontre encore son talent. Le Bossu n’est clairement plus le même que dans Brigade spéciale, il n’est plus cette version bossue de Monnezza. Il est désormais un bandit ultra-violent. Mais son ultra-violence se démontre surtout dans la haine permanente avec laquelle il traverse le film, et qui trouve son origine à la fois dans son être physique et dans son rang social. L’instant décisif fut la trahison dont il fut victime lors du casse. Suite à cela, il devient comme fou et son banditisme a laissé la place à une quête vengeresse contre tout ce qui cherche à le rabaisser. Même son frère lui est difficilement supportable, tant il assimile l’amour que lui porte celui-ci, exprimé par des courbettes, à de la pitié (chose d’autant plus vexante que Monnezza passe pour la dernière des andouilles), ce qui le renvoie encore une fois à son statut de Bossu méprisé, qui en est même venu à saccager sa vie de gangster. Sa bosse est bien la seule raison qui a poussé ses alliés à le trahir, là où un bandit un peu plus considéré se serait fait doubler par appât du gain ou problèmes d’égo… Sa copine trouve un peu plus grâce à ses yeux, pour l’honnêteté sentimentale dont elle fait preuve à son égard. Le Bossu est d’ailleurs plus touché par ses marques de tendresse que par les services qu’elle peut lui rendre (le planquer, lui procurer une arme, transmettre des messages), parfois maladroitement. Mais il n’en reste pas moins que leur relation ne peut se vivre normalement, et pas seulement parce la police est à ses trousses. A une occasion, autre scène clef avec celle du braquage, Vincenzo et Maria décident de passer outre la prudence pour aller s’amuser dans une boîte de nuit réputée. Après avoir dû avoir recours aux menaces pour pouvoir entrer, le Bossu devient très vite la cible des moqueries des bourgeois, qui lui laissent bien volontiers la piste pour pouvoir l’admirer en pleine lumière. Vincenzo se servira de cette tribune pour exprimer sa haine avec des mots, chose qu’il n’avait encore jamais faite, lui qui plein de dignité est fort peu porté sur l’épanchement. Au menu, le portrait sans fard des préjugés bourgeois sur l’apparence, mais aussi un discours sur les possédants et les possédés, sur la richesse narguant les plus basses classes sociales et motivant la recherche d’argent facile, par conséquent le crime. Ce sont clairement les valeurs du système capitalistes qui sont vilipendées dans ce monologue prouvant que derrière sa brutalité et son cynisme, le Bossu est capable de montrer ses sentiments. Il ne le fait qu’en de rares occasions, ce modifie sensiblement la perception que l’on a de ce personnage dont l’antipathie n’est qu’une parure née de sa condition, et qui lors de certaines fulgurances émotionnelles laisse transparaître son véritable visage, celui d’un homme du peuple comme les autres poussé sur le bas côté de la société, y compris au final celle du banditisme, et qui ne s’est pas laissé faire.

Qu’Échec au gang soit un film peu “lenzien” importe peu, finalement, pourvu que ce soit un bon film. En dépit d’un léger déséquilibre provoqué par le mariage entre l’humour de Monnezza et le sérieux du Bossu, ainsi que quelques autres scories pour le coup assez “lenziennes”, c’est assurément le cas. C’est même un très bon film que l’on pourrait qualifier de “milianien”, puisque son raisonnement anarcho-gauchisant semble plus proche de l’acteur que du réalisateur. De quoi regretter une fois de plus que Neo Publishing n’ait pas survécu assez longtemps pour pouvoir le sortir en DVD, tant les interviews qui figuraient dans les bonus de sa collection “Italie à main armée” se sont montrées enrichissantes. Dans le cas présent, une édition aurait pu -en plus de nous présenter une version sans aucun doute intégrale- nous en apprendre long sur la conception d’Échec au gang,et plus spécialement sur les rôles réels joués par Milian et par Lenzi.

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