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Retour vers l’enfer – Ted Kotcheff

Uncommon Valor. 1983.

Origine : États-Unis
Genre : Opération de sauvetage
Réalisation : Ted Kotcheff
Avec : Gene Hackman, Fred War, Reb Brown, Randall T. Cobb, Patrick Swayze, Harold Sylvester, Tim Thomerson.

 

1972, quelque part au Vietnam. Pris sous le feu ennemi, le soldat Frank Rhodes ne parvient pas à rejoindre l’hélicoptère à temps et finit prisonnier. La guerre terminée, son père, le colonel Jason Rhodes, demeure toujours sans nouvelles de lui. Pendant 10 ans, il remue ciel et terre pour que la diplomatie américaine parvienne enfin à faire libérer les nombreux prisonniers de guerre. En vain. Alors qu’il est sur le point de perdre espoir, un ami militaire relance tout en lui soumettant un cliché de ce qui a été identifié comme un camp de prisonniers dans le nord du Laos. Le colonel Rhodes en est convaincu, son fils se trouve détenu là-bas. Avec le soutien logistique et financier de son ami MacGregor, dont le fils est aussi porté disparu, il réunit un groupe d’anciens du Vietnam, dont trois compagnons d’arme de Frank. Avant de mener leur mission à bien, il convient de remettre tout ce petit monde dans le bain sous la houlette de Scott, un jeune ex marine survolté. Mais l’entraînement ne vaut pas le terrain et une fois sur place, rien ne se passera comme prévu.

Si Rambo demeure bien évidemment viscéralement lié à Sylvester Stallone, il ne faudrait pas pour autant omettre de citer son réalisateur, le canadien Ted Kotcheff, pour qui ce film a trop longtemps été l’arbre imposant qui cachait le reste d’une filmographie pourtant riche et fourmillante. Preuve en est son immersion dans une secte religieuse, Split Image, l’envoûtement, sorti quelques semaines avant Rambo sur le sol américain et qui passera totalement inaperçu. En France, le film connaîtra une exploitation à la sauvette au mois de mai 1985 près de 2 ans après sa présentation au festival de Deauville. Retour vers l’enfer ne connaît pas ce sort pour la simple et bonne raison que par son thème – le silence pesant de la diplomatie américaine autour des prisonniers de guerre au Vietnam – il entretient un rapport étroit avec Rambo. Mieux, il anticipe le propos de Rambo 2 : la mission, et celui de Portés disparus sorti un an avant, amorçant un changement de mentalité sous l’influence du reaganisme alors en vigueur. Si la veine réaliste autour de la guerre du Vietnam perdure avec des films comme Platoon, Hamburger Hill ou Full Metal Jacket, Chuck Norris puis Sylvester Stallone optent quant à eux pour une réappropriation de l’histoire en mode guerrier, tentant malhabilement de transfomer une cuisante défaite en une éclatante victoire. Pionnier en la matière, Retour vers l’enfer cherche néanmoins à nuancer son propos. Loin de tout héroïsme, l’équipée de Jason Rhodes et son escouade prend les airs désespérés d’une victoire à la Pyrrhus. Car quelque soit la réussite de l’opération, celle-ci ne saurait masquer les blessures profondes et durables engendrées par ce conflit. Produit, entre autres, par John Milius, Retour vers l’enfer porte indéniablement sa marque même s’il n’est pas crédité au scénario. On retrouve un peu de l’inspecteur Harry Callahan, dont il avait esquissé quelques traits de caractère au fil des réécritures, dans le ras-le-bol de Jason Rhodes face aux lenteurs bureaucratiques et dans sa volonté d’en découdre seul, sans l’aval des autorités. Pour Ted Kotcheff, cela consiste à passer d’un homme de réaction (John Rambo) à un homme d’action (Jason Rhodes) sans, dans les deux cas, occulter la part d’humanité des deux personnages.

Retour vers l’enfer est placé d’emblée sous le signe de la débandade. Il y a dans ces GI’s qui s’éparpillent sous le feu ennemi, tentant tant bien que mal de regagner l’un ou l’autre des hélicoptères présents pour leur évacuation un parallèle avec la panique qui accompagnera le sauve-qui-peut américain au moment de quitter le pays. Outre introduire les enjeux du récit, cette scène a vocation de rappel. Oui les États-Unis ont bien perdu cette guerre, et ce film n’a pas pour but de faire croire le contraire. Retour vers l’enfer assume son côté fictionnel, renouant en un sens avec les films de commandos de naguère (et dont Les Chiens de guerre de John Irvin était déjà un rejeton), se construisant dans les interstices de l’histoire. Jason Rhodes n’agit pas pour son pays mais en son nom propre afin de sauver son fils. Lui le militaire de carrière, patriote jusque qu’au bout des ongles (il avoue à son ami McGregor que les Rhodes combattent de père en fils dès qu’il y a une guerre sans jamais se poser de questions car ils ne savent rien faire d’autre), tourne pour la première fois le dos à sa patrie en ne cautionnant pas ses décisions. Il pointe même du doigt l’esprit américain qui fustige les perdants car “un perdant coûte beaucoup à la société mais ne lui rapporte rien”. Un discours qui se veut autant galvanisant à l’attention de ses hommes, que porté par une lucidité nouvelle. Ces dix années passées à se heurter aux murs de l’indifférence de l’administration américaine ont fini par lui ouvrir les yeux. Pour autant, il ne cultive aucun esprit de revanche. On lit dans son attitude de l’amour paternel, bien sûr, mais aussi un sentiment de culpabilité très fort à l’aune de ce bellicisme atavique. En somme, sauver son fils revient – un peu – à se sauver lui-même. Sauf qu’en enrôlant les membres de cette escouade, il s’astreint à de nouvelles responsabilités. Cette mission commando doit non seulement être couronnée de succès mais ne générer aucune perte dans ses rangs. La guerre a déjà fait assez de morts comme ça. Tout au long des séances d’entraînement puis de l’opération proprement dite, Jason Rhodes agit avec eux moins comme le colonel qu’il a été que comme le père qu’il aurait aimé être. Le rôle de peau de vache incombe au jeune Scott, dont le zéle et les remontrances permanentes se marient mal avec sa méconnaissance du terrain. Trop jeune pour avoir pu participer à la guerre du Vietnam, il vit néanmoins dans son souvenir, son père y ayant laissé sa vie. A titre personnel, il n’a donc personne à sauver, juste un honneur à faire valoir. A ce titre, il apparaît en constant décalage avec le reste de la troupe et en conséquence, devient la source de quelques accrochages. Mais rien à même de perturber le bon déroulement de la mission. Contrairement aux apparences, il n’a rien d’un va-t-en guerre et la réalité du terrain aura vite fait de le ramener à son statut de bleusaille.

Le personnage tend à rappeler qu’il y a un gouffre entre jouer à la guerre (l’entraînement) et la faire. Que les bonnes intentions ne suffisent pas face à la réalité du terrain. Face à lui, il n’a que des hommes qui l’ont faite, qui savent comment ça se passe et ce qu’il en côute. On peut ainsi se demander ce qui les pousse à replonger dans ce bourbier. “La campagne de recrutement” que mène Jason Rhodes offre un instantané assez précis des difficultés que rencontrent les soldats pour parvenir à se réacclimater à la société civile. Wilkes vit reclus chez lui, couvé par son épouse. Il exorcise ses souffrances par l’art, ses sculptures lui servant d’unique mode d’expression. Sorti de son travail, Charts traîne sa peine, n’ayant plus le goût à rien. Les lunettes de soleil qu’il garde en permanence, même chez lui, lui servent d’oeillères. Il se ferme au monde, au grand dam de sa femme qui, elle, refuse de se morfondre avec lui. Plastic, lui, semble courir après le temps perdu, reprenant ses activités sportives là où l’appel du drapeau les avait laissées. Il mène une vie d’adolescent attardé, seul moyen pour lui d’essayer d’oublier ce qu’il a traversé. Mais au moins, tous essayent de reprendre le cours de leur vie, à la différence de Cirrhose qui a totalement renoncé. Traité comme un pestiféré, il a choisi de vivre à la marge, multipliant les séjours en cellule à la faveur d’altercations régulières. Jason Rhodes trouve des hommes abîmés qui vivent encore avec la guerre comme compagne. Il joue insidieusement sur leur fragilité et leur bravoure, se montrant particulièrement habile dans l’art de manipuler ses interlocuteurs. Il réussit ainsi à convaincre l’ex pilote Johnson, pourtant devenu directeur d’un hôpital, à reprendre du service alors même qu’il ne connaissait pas son fils. Au patriotisme, Retour vers l’enfer préfère la notion de loyauté. Ces hommes n’ont rien à gagner dans cette entreprise, si ce n’est d’exorciser leurs souffrances en tentant de soigner le mal par le mal. Car si certains s’en sont mieux sortis que d’autres, ils se rejoignent dans leur refus de laisser des compagnons d’arme en souffrance. Construit en deux parties (l’entraînement puis la mission), Retour vers l’enfer dispense son lot de scènes d’action mais expurgées pour la plupart de moments de bravoure. Il y a bien deux sacrifices utiles, mais plutôt qu’héroiser leurs auteurs, ils contribuent à souligner la folie de l’entreprise. Au-delà des soldats vietnamiens, masses indistinctes et anonymisées, la mort touche aussi des autochtones qui paient au prix fort l’aide consentie à Jason Rhodes et ses hommes. Qu’ils soient officiels ou officieux, les conflits armés font toujours des victimes collatérales.

Sous des atours de grosse série B hargneuse à la gloire de la bannière étoilée, Retour vers l’enfer s’inscrit en réalité dans la continuité des récits désabusés et douloureux des films sur la guerre du Vietnam des années 70. En outre, Ted Kotcheff reconduit le ton cafardeux de son Rambo, trouvant dans le personnage de Cirrhose un alter ego crédible à celui de John Rambo. En ce sens, Retour vers l’enfer s’impose comme la digne suite de Rambo jusque dans le sort réservé au personnage de cette bête de guerre incapable de vivre avec ses fantômes. Dans une industrie qui tendait à ramener cette guerre au rang de simple décor de films d’action, ou de background pour nombre de héros des années 80, Ted Kotcheff maintient de la gravité et de la solennité dans son approche. Une forme de résistance au reaganisme triomphant.

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