CinémaComédie

Le Retour de la panthère rose – Blake Edwards

retourdelapanthererose

The Return of the Pink Panther. 1975

Origine : Royaume-Uni 
Genre : Comédie 
Réalisation : Blake Edwards 
Avec : Peter Sellers, Catherine Schell, Christopher Plummer, Herbert Lom…

Sept ans se sont écoulés depuis la précédente apparition de l’inspecteur Clouseau sur les écrans, et onze depuis que Peter Sellers et Blake Edwards ont pour la dernière fois participé à ce modèle de saga humoristique (du moins jusqu’à la mort de l’acteur). Tourné sans eux par des producteurs un peu trop pressés de le lancer sans avoir la patience d’attendre la sortie de The Party, le chef d’œuvre qui les rendaient indisponibles, le troisième volet baptisé L’Infaillible Inspecteur Clouseau ne rencontra pas le succès escompté, reportant sine die la suite des aventures du policier français. Le retour de Clouseau tarda à arriver, et faillit d’ailleurs voir le jour d’une façon qui aurait probablement signé la fin de l’aventure, rabaissant (oui, j’insiste) le concept au rang de série télévisée. Telle fut initialement la décision de la ITC Entertainment, nouvelle détentrice des droits de production revendus par la United Artists. Fort heureusement, décision fut prise de finalement en faire un film, qui plus est réalisé par Blake Edwards, avec Peter Sellers, Herbert Lom et Burt Kwouk, et rythmé par la musique d’Henry Mancini, bref tous les indissociables de la série, auxquels on pourra dorénavant rajouter le scénariste Frank Waldman, qui officia jusque A la recherche de la panthère rose, film posthume à Peter Sellers et dernier à être réalisé par Blake Edwards.

La panthère rose, plus gros diamant du monde et trésor national du Lugash, a encore été volée ! Pour la retrouver, le Shah du Lugash demande aux autorités françaises de lui envoyer Jacques Clouseau (Peter Sellers), l’homme qui avait déjà retrouvé le bijou et qui a depuis été rétrogradé par son très vindicatif supérieur le Commissaire Dreyfus (Herbert Lom) en simple agent dans les rues de Paris. Appuyée par les hautes sphères du pouvoir français, la requête du Shah signifie que Clouseau reprend son grade d’Inspecteur, provoquant l’ire incontrôlable de Dreyfus. Pendant que son supérieur devient fou, Clouseau commence donc son enquête et, motivé par la présence sur le lieu du vol d’un gant estampillé du sceau du Phantom, se met à la recherche de Sir Charles Litton (Christopher Plummer), le Phantom que l’on croyait retiré des affaires après avoir déjà été pris lors du précédent vol de la panthère rose. Et effectivement, Sir Charles nie à sa compagne Claudine (Catherine Schell) être l’auteur du nouveau vol. Fuyant la police qu’il sait forcément encline à le suspecter, il se rend même au Lugash pour enquêter. Clouseau décide de filer Claudine Litton pour qu’elle lui révèle la planque de Sir Charles. Mais bien entendu, ses méthodes grossières trahissent sa véritable identité dès le début, et la jeune femme compte bien en profiter pour jouer aux ingénues et l’orienter sur du vent.

Il faut bien l’admettre : quoique bons, voire très bons, les deux premiers Panthère rose auraient eu du mal à s’imposer dans les mémoires si ils n’avaient pas été suivis par d’autres films donnant à la saga une allure plus moderne. La Panthère rose premier du nom s’inscrivait dans la veine de Diamants sur canapé, celle de la comédie chic et satirique, et Clouseau n’y était pas le personnage principal, quoiqu’il y vola la vedette et provoqua une séquelle où il le devint. Toutefois, Blake Edwards semblait encore réticent à faire dans la démesure. D’une certaine façon, le film qui permit à la saga de La Panthère rose de marquer les esprits fut probablement The Party, dans lequel Peter Sellers sous la houlette d’Edwards put se lâcher totalement dans un rôle de gaffeur entretenant une certaine parenté avec celui de l’inspecteur Clouseau. Bénéficiant de la liberté et de la démesure burlesque de son époque, The Party n’a rien à envier aux excentricités des Monty Python et ouvre la voie à ce troisième volet qui s’est fait attendre, mais qui exploite enfin tout le potentiel de Peter Sellers, lui sacrifiant toutes les autres composantes du film. Ce qui ne veut pas dire qu’Edwards néglige le reste. Au contraire, le ressort comique de l’inspecteur Clouseau est là, dans cette capacité à adapter son environnement à la mesure du personnage de gaffeur ultime. Ainsi, l’intrigue policière se montre-t-elle classieuse et des personnages tels que les Litton pourraient à eux seuls tenir la vedette d’une production de bonne tenue. Dans le côté mondain, dans l’exotisme, dans le procédé du McGuffin, ce Retour de la panthère rose ressemble à un James Bond des années 60. Charles Litton est un homme vaniteux, qui lors de son séjour au Lugash échappe plusieurs fois à la mort et investit les milieux troubles impliquant de véreux fonctionnaires d’État. De son côté, Lady Litton est une femme fatale jouant par pur calcul aux ingénues oisives, se prélassant dans un luxueux hôtel suisse d’où elle orchestre les évènements, y compris dans le dos de son compagnon. Ce sont les Litton qui construisent véritablement l’intrigue, et qui lui donnent cette aura james-bondienne. Le film aurait une toute autre saveur si il avait fait d’eux des imbéciles, ou même un simple couple de petits magouilleurs. Edwards leur donne cette sophistication qui fait justement ressortir les tares de leur piteux adversaire l’inspecteur Clouseau, et le triomphe final de celui-ci ne sera en fin de compte qu’un hasard total… A moins de considérer l’hypothèse tordue selon laquelle Clouseau, via sa personnalité, a provoqué cet incroyable retournement que je me garderai bien de dévoiler.

Les héros volontairement débiles sont légion dans le domaine de la comédie. Mais il est très rare que cette débilité s’exprime de cette façon, en étant greffée à un film d’un genre différent (ici, le film d’aventures) qui aurait très bien pu vivre de lui-même sans devenir une comédie. Clouseau occupe cette fonction de parasitage que Blake Edwards pousse jusqu’au bout : avec l’inspecteur, le monde marche sur la tête. Le personnage de Sellers n’est pas seulement retiré de la voie publique où il n’a même pas sa place (son altercation avec un musicien aveugle au début du film donne le la en matière d’incompétence) pour aller enquêter sur une affaire internationale : en fin de film, il se retrouve encore moins avancé qu’il ne l’était au début de ses investigations. Il aura donc passé son temps à brasser du vide avec l’abnégation imperturbable qui le caractérise, et qui doit être à peu près sa seule qualité professionnelle. Il met du cœur à la tâche, certes, mais en étant ainsi il ne fait que démontrer un peu plus sa stupidité. Au Lugash quand il faut être ailleurs, en Suisse quand il faut être au Lugash, il est toujours complètement à côté de la plaque. D’où la nécessité d’avoir construit un véritable scénario autour des Litton, puisque la nullité de Clouseau n’en ressort que davantage. Sa foi en lui-même, à la limite de l’arrogance (source également d’un vocabulaire parfois pompeux mal maîtrisé -signalons la justesse de la version française de Michel Roux-), lui procure ce volontarisme amenant ses célèbres maladresses, illustrées ici avec une force que l’on ne retrouvait pas dans les deux précédents films de la saga. La moindre initiative de Clouseau tourne au cauchemar : rechercher des indices dans un musée, passer l’aspirateur dans une chambre d’hôtel, poser un système d’écoutes sur un téléphone, se lever du bain pour répondre au téléphone, faire une arrestation… Autant de scènes a priori anodine donnant l’impression que Clouseau est même trop gauche pour vivre normalement en temps qu’être humain. Véritable gremlin malgré lui, il entraîne le chaos, casse tout et se ridiculise. Ses déguisements ne trompent personne, et les personnalités qu’il cherche à prendre sont immédiatement trahie par la nature indissimulable de celui qui les anime… Mention spéciale au séducteur mondain Guy Gadebois, pseudonyme lamentable doté d’un costume défaillant. Clouseau est une véritable aubaine pour les Litton et une source de rage homicide pour son chef Dreyfus, le seul à se rendre compte de la nature de son subordonné pourtant récompensé en haut lieu. Notons enfin que les entraînements de karaté surprises concoctés par Kato, le majordome de Clouseau et son “jaune ami” comme il l’appelle, atteignent ici un point inédit, celui de la parodie de Bruce Lee à base de ralentis et de coups qui bien entendu portent toujours dans le vide.

Quoique certains gags peuvent paraître de trop, Le Retour de la panthère rose fait partie de ces rares comédies échevelées ne constituant pourtant pas une fuite en avant dans l’absurde. Si les pitreries de Peter Sellers ne s’inscrivent dans le fond que dans une forme d’humour banale liée à des personnages ahuris, le talent de Sellers et de la caractérisation faite de son personnage ainsi et surtout que la parfaite gestion du scénario et de la contextualisation par Blake Edwards en font une comédie modèle, peut-être un chouïa inférieure à The Party (dont l’absurde allait crescendo, tandis qu’ici les nombreuses scènes de valeur sont sur un pied d’égalité) mais largement représentative du meilleur de l’humour anglais, légitime pays d’accueil d’Edwards et terre natale de Sellers.

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