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Inferno – Dario Argento

inferno

Inferno. 1980

Origine : Italie
Genre : Horreur
Réalisation : Dario Argento
Avec : Leigh McCloskey, Irene Miracle, Eleonora Giorgi, Daria Nicolodi…

A la surprise générale, Suspiria fit un carton. Dario Argento annonça alors pour le plus grand bonheur de ses producteurs et distributeurs qu’il ne s’agissait que du premier film de la “trilogie des trois mères”, inspirée par les travaux de l’écrivain Thomas de Quincey, qui influença non seulement des auteurs tels que Poe, Baudelaire ou Gogol mais aussi le musicien Berlioz pour sa Symphonie Fantastique. Quant à lui, Argento pris ses sources dans le bien nommé Suspiria de Profundis, d’où il tira du livre “Levana et nos Notre-Dame des tristesses” l’idée des trois Tristesses : Mater Suspiriorum (Notre-Dame des Soupirs), Mater Tenebrarum (Notre Dame des Ténèbres) et Mater Lachrymarum (Notre Dame des larmes). Doté d’un budget un peu gonflé par les apports financiers américains de la Fox, il entreprit avec sa compagne Daria Nicolodi, déjà scénariste de Suspiria, la rédaction du scénario de Inferno, film consacré à Mater Tenebrarum, la plus cruelle des trois mères.

D’emblée, Argento évacue toutes les questions relatives à cette mythologie des mères (qui sont également trois soeurs) en nous faisant la lecture du livre consacré au sujet par l’architecte Varelli, qui conçu les trois maisons avant de ne découvrir que trop tard la nature démoniaque de ses clientes. Les trois sorcières se trouvent donc à Fribourg, à New York et à Rome, d’où elles influencent toutes les atrocités de ce bas monde. Versée dans l’ésotérisme, Rose Elliot (Irene Miracle), se montre subjuguée par ce que raconte Varelli. Elle est persuadée que son immeuble new-yorkais abrite l’une des mères, Mater Tenebrarum, et en fait part à son frère Mark (Leigh McCloskey), étudiant en musicologie à Rome. Sa lettre est interceptée par Sara (Eleonora Giorgi), une amie de Mark qui entreprend ses propres recherches à Rome dans une bibliothèque de livres anciens… en fait la maison de Mater Lachrymarum. Elle meurt peu après, assassinée. Finalement contacté au téléphone par sa soeur, Mark se rend à New York, mais sa frangine est introuvable. Il ne sait pas qu’elle est morte. Pour la retrouver, il entreprend de poursuivre ses recherches, espérant qu’elles le mèneront vers Rose.

En apparence, Inferno est un film simple, voire répétitif. Tous les personnages n’ont qu’un but : aller jusqu’à Mater Tenebrarum (ou Mater Lachrymarum pour Sara), qu’ils aient conscience ou non de ce qu’ils encourent. Argento les traite un à un, séparément, chacun devenant tour à tour le personnage principal du film. Même lorsqu’ils se retrouvent ensemble, comme c’est le cas pour Mark et Elisa (Daria Nicolodi), voisine et amie de Rose, ou encore pour Sara et un homme venu la réconforter, le réalisateur ne tarde pas à les séparer définitivement. Il les isole les uns des autres, et il les isole également du monde rationnel et futile, les immergeant totalement dans les labyrinthiques couloirs et sous-terrains de l’antre de la sorcière, dont l’aura effrayante n’est pas tant dû au récapitulatif oral du début qu’au grandiose sens du baroque du réalisateur, encore amplifié depuis Suspiria. Rien dans Inferno n’est naturel ou réaliste, l’intégralité du film baignant dans un fantastique atmosphérique plaçant le réalisateur au premier plan, maître de cérémonie d’un opéra horrifique constituant une contrepartie cinématographique aux écrits de H.P. Lovecraft. Mais là où l’auteur ne pouvait faire naître l’effroi qu’avec le poids des mots, décrivant à longueur de pages un terrifiant monde ésotérique se rapprochant du notre, Argento met en avant toutes les capacités de son propre média, le cinéma, avec toutes les composantes que cela sous-entend (décors, photographie, musique). Le sens du film passe par tous ces aspects purement sensoriels, reléguant les dialogues au second plan, la seule déclaration véritablement utile étant l’introduction sur la mythologie des trois mères, qui prépare le terrain au réalisateur et à ses techniciens.

A l’image des Grands Anciens de Lovecraft, les trois mères d’Argento dérangent parce que leurs personnes et surtout leurs pouvoirs pourtant démesurés demeurent secrets. S’aventurer dans la maison de Mater Tenebrarum revient à se jeter dans la gueule du loup… et pourtant, il est difficile de ne pas s’y aventurer tout de même, justement du fait de la curiosité que fait naître cet ésotérisme confidentiel. Le plus bel exemple intervient au début du film, lorsque Rosa plonge jusqu’en bas d’un puits pour récupérer une broche mais surtout pour découvrir une piste vers Mater Tenebrarum. La bizarrerie qui se trouve au fond (une moquette désignant clairement que le puits ne s’arrête pas là) et la vision d’un cadavre la feront vite remonter… Mais ne la décourageront pas. Là se trouve la justification de l’isolement des personnages : sans aucun secours humain, mais n’étant pas capables d’abandonner leurs recherches, ils sont livrés au bon vouloir d’une sorcière qui n’a qu’à lever le petit doigts pour les écraser. C’est ce qui arrive avec violence à tous les personnages ou presque qui viennent se frotter d’un peu trop près aux choses interdites (on retiendra l’impressionnante descente de Sara dans les entrailles de la bibliothèque, où l’attend un moine sinistre). Écrasés par l’utilisation que fait Argento des capacités de son médium cinématographique, les humains semblent bien dérisoires. Chose également valable pour deux tueurs forcément minables qui sévissent dans l’immeuble de Mater Tenebrarum. Le mal qu’ils font, et que Dario Argento retranscrit à la manière d’un giallo, est sous le contrôle de la mère des ténèbres. Leur meurtre est pratiquement identique à ceux perpétrés par les forces de la sorcière, ce qui soulève une ambiguïté pour savoir si les autres meurtres new yorkais leur sont également imputables. Mais puisque les mères sont à l’origine du mal sur Terre, cela n’a que peu d’importance : elles se sont servi de ces deux assassins comme bras armés.

Cette terrifiante force surnaturelle découle comme dit précédemment du sens de metteur en scène d’Argento, qui pour lui donner vie ne pouvait que pousser son art à l’excès. Les maisons construites pour les mères par l’architecte Varelli sont monumentales, décorées par de pompeux ornements baroques biscornus. Que cela soit la maison de la Mater Tenebrarum à New York où la bibliothèque de Mater Lachrymarum à Rome, toutes deux sortent de l’ordinaire et annoncent leur nature maléfique dans leur seule façade, seulement illuminée par les éclairages très vifs provenant des fenêtres et que l’on retrouve à l’intérieur. Les couloirs sombres sont irréels, dominés principalement par des formes géométriques d’un rouge profond souvent complété par du bleu foncé ou du jaune criard. Toutes ces couleurs agressives et surréalistes perturbent le confort visuel du spectateur, le mettant mal à l’aise sans même qu’une sorcière ne soit à l’horizon. Pour les personnages, ces maisons diffusent également une odeur rance, attribuée dans le cas de New York à une soi-disant fabrique de biscuits. Argento ne peut pas aller plus loin dans le domaine de l’odorat, à moins de s’improviser une carrière à la William Castle pas exactement en harmonie avec un film tel qu’Inferno. La vue et l’odorat sont tout de même sous l’emprise des sorcières, tout comme l’est l’ouïe, bien utilisée par la partition de Keith Emerson (choisi pour remplacer les Goblins dans le but d’obtenir un son différent) principalement composée de variantes autour du Nabucco de Verdi. Un air de classique que nous entendons lorsque Mark découvre la lettre de sa soeur lors d’un cours de musicologie. Très belle scène que celle-ci, où nous découvrons la jeune Mater Lachrymarum, venue probablement pour empêcher Mark d’ouvrir la lettre et donc de venir trop vite au secours de Rosa. Sur la musique de Verdi, Argento montre son savoir-faire en composant une scène aussi noble que peut l’être Nabucco, reposant en grande partie sur l’actrice Ania Pieroni, dont le regard envoûtant abstrait Mark de son cours et de toute réalité.

Cette scène est véritablement l’instant à partir duquel l’intention d’Argento devient évidente : le réalisateur cherche à reproduire la démesure de l’opéra dans le cinéma d’horreur, donnant à son film toute la grandeur qui caractérise cet art dominé en Italie par Verdi. La noblesse des décors baroques, les éclairages saturés et même l’importance prise par les livres anciens (la bibliothèque à Rome, la librairie près de la maison à New York) synonymes d’arts mais aussi de secrets, s’inscrivent dans ce même mouvement. Se consacrant à l’horreur, Argento utilise l’exagération baroque de l’opéra pour le transformer en élément d’épouvante. Les meurtres du film ne sont pas seulement conçus avec soin, ils vont également de pair avec une grande violence sadique pouvant être comparée à la série d’ “explosions” ouvrant le Nabucco de Verdi. La décapitation en plusieurs à-coups, les agressions des chats (animaux décidément maléfiques pour Argento) et cet éclopé mangé vif par des rats (après l’aveugle de Suspiria, Argento s’en prend une nouvelle fois à un handicapé), toutes ces morts ne sont que l’aboutissement logique d’investigations menées dans des endroits hostiles au sujet de la plus cruelle des trois mères. Le thème musical de Mater Tenebrarum, si il n’est pas inspiré par Verdi, allie aussi le côté “grande musique” (des chœurs gregoriens) à la violence, prenant des allures d’opera rock sataniste bousculant son auditeur / spectateur et formant un très beau successeur au thème composé par les Goblins pour Suspiria.

Il n’y a en fin de compte qu’une seule chose qui puisse être reprochée à Dario Argento : des effets spéciaux pas toujours très au point. Bien peu de choses comparées à l’énorme travail du cinéaste, qui offrit également son dernier coup d’éclat à Mario Bava, concepteur de certains effets visuels et réalisateur de seconde équipe.

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