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Je suis une légende – Sidney Salkow & Ubaldo Ragona

lastmanonearth

The Last Man on Earth. 1964

Origine : Etats-Unis / Italie 
Genre : Fantastique 
Réalisation : Sidney Salkow & Ubaldo Ragona 
Avec : Vincent Price, Franca Bettoia, Emma Danieli, Giacomo Rossi-Stuart…

Vous avez aimé Je suis une légende, roman de Richard Matheson, et vous avez envie de voir à quoi ressemblent ses adaptations au cinéma. Mais vous n’avez pas envie d’admirer Charlton Heston au milieu d’albinos discos et vous êtes dépités à l’idée de voir Will Smith se trimballer avec une grosse pétoire à New York. Alors essayez The Last Man on Earth, la première des adaptations, tournée dix ans après la publication du livre !
L’essayer n’est cependant pas forcément l’adopter, Richard Matheson vous en dira quelque chose. Ayant lui même rédigé le scénario, il commença par y travailler avec la célèbre Hammer, ce qui aurait probablement valu un alléchant résultat signé Terence Fisher et donnant à Peter Cushing le rôle de Robert Neville. Mais la firme britannique échoua à gérer cette adaptation, et refila donc le projet à un producteur américain, lequel s’attacha les bonnes volontés de Matheson en lui avançant le nom de Fritz Lang pour la mise en scène. Résultat des courses, The Last Man on Earth fut co-réalisé par le vétéran Sidney Salkow (dans le milieu depuis 30 ans) et par Ubaldo Ragona, la présence de ce dernier reflétant le versant italien de ce qui est au final une co-production italo-américaine tournée à Rome et distribuée par l’American International Pictures chère à Roger Corman. Ce même Corman qui était alors en plein cycle Poe avec Vincent Price, indiscutable tête d’affiche de la AIP et qui quand il ne jouait pas les châtelains maudits pour le brave Roger jouait les romantiques damnés dans Twice-Told Tales, un très bon film à sketchs réalisé par… Sidney Salkow. Entre son statut de vedette chez l’AIP et sa récente collaboration avec Salkow, il était donc logique que Vincent Price incarne Robert Neville, transformé pour l’occasion en Robert Morgan (ce qui est difficile à expliquer, puisque aucun autre personnage du livre ne change de nom et que Matheson a lui-même cautionné cette adaptation). Ce qui ne fut pas du tout du goût de Richard Matheson, déjà échaudé par la vision de Sidney Salkow et les remaniements de scénario, tant et si bien que l’auteur finit par demander à ce que son nom soit remplacé au générique par un pseudonyme. Par la suite, il déclarera que malgré la totale trahison de son livre perpétrée par Le Survivant (la seconde adaptation), Charlton Heston fut un meilleur Robert Neville que Vincent Price.

Que reproche donc Richard Matheson à Vincent Price ? Et bien la question peut déjà renvoyer au respect du roman. Contrairement au Survivant, et même au Je suis une légende avec Will Smith, The Last Man on Earth reste très fidèle au livre d’origine. Tous les principaux évènements y sont repris, et la portée du titre Je suis une légende est préservée. Cette fidélité peut paradoxalement entraîner davantage de colère de la part de l’auteur, puisqu’en prenant nettement ses distances d’avec le livre, le film avec Charlton Heston entraînait le recul de Matheson, qui regardait donc Le Survivant non pas comme l’adaptation de son livre mais au mieux comme une histoire vaguement inspirée de Je suis une légende. La prestation de Charlton Heston n’était donc pas tenue par les enjeux fixés par l’auteur. En revanche, dans le cas de Last Man on Earth, le fait qu’il s’agisse d’une adaptation fidèle, et qui plus est sur laquelle l’auteur a lui-même travaillé, entraîne tout de suite une attente bien plus forte. Et à ce titre, il est vrai que Vincent Price peine à se mettre dans la peau de Robert Neville. Price est un acteur pourtant prodigieux, mais il dispose d’un style de jeu bien marqué qui ne s’adapte pas à toutes les sauces. Ainsi, là où Robert Neville (ou Robert Morgan) devrait prendre sur lui pour survivre moralement à la situation dans laquelle il se trouve, et craquant de temps à autres, Vincent Price continue à faire songer aux personnages qu’il incarne chez Roger Corman. On sent que la retenue qu’il essaye de retranscrire (et qui caractérise son personnage la majeure partie du temps) n’est pas vraiment naturelle. On le sent presque poussé par la volonté de transformer son personnage tourmenté en un nouveau Roderick Usher, mi menaçant mi pitoyable mais en tout cas excessif. Par contre, il excelle lorsqu’il s’agit de le montrer dans l’abattement (passant du rire aux larmes en regardant une vidéo familiale) et surtout lorsqu’il s’agit de parler en voix off, retranscrivant les émotions de Neville / Morgan sur des images où il semble en apparence indifférent. Dans l’ensemble, il est vrai que sa performance laisse à désirer, mais elle n’a rien non plus de catastrophique. Et puis tout n’est pas de sa propre responsabilité : si il peine à retranscrire toute la complexité de son personnage, c’est aussi parce que les réalisateurs ont du mal à lui en laisser le temps.

Leur adaptation est globalement fidèle mais ils en payent le prix. Les quelques “trahisons” sont en fait des simplifications, par exemple faire de Robert Morgan un scientifique et non un ouvrier (ça lui évite de passer son temps dans les bibliothèques) et même la fin, qui prend quelques libertés avec celle du livre, ne change pas fondamentalement le fait que Robert Morgan soit une légende au sens où l’avait envisagé Matheson, c’est à dire en questionnant le statut de marginalité et en posant la question de savoir qui était le véritable assassin dans cette société où les vampires sont devenus la norme et l’homme la légende. L’inconvénient de coller d’aussi près au matériau original est que tout s’enchaîne beaucoup trop rapidement, un peu comme si le duo Salkow / Ragona se concentrait plus sur la forme que sur le fond du livre de Matheson. Il n’y a pas le temps de s’attarder sur le drame de Robert Morgan que déjà nous sommes passés à autre chose. Ainsi le long flash-back révélant la mort de la fille puis de la femme de Morgan n’a pas beaucoup d’effet (il faut dire aussi que dans ce cas précis, la petite fille ne joue pas très bien les agonisantes). Même chose pour le chien qui d’une part est presqu’immédiatement apprivoisé par Morgan et d’autre part meurt dix secondes après avoir été adopté. Même chose pour le vampire Ben Cortman, ex ami de Morgan qui a bien du mal à devenir son pire tourment dans les deux ou trois scènes de quelques secondes qui le montrent assiéger la maison de Morgan (l’amitié entre Morgan et Cortman n’ayant de toute façon été développée que le temps d’une scène, dans un flash-back). Forcément, si l’on retrouve le même genre d’émotions que dans le livre, leur impact est ici mille fois moins forts. C’est donc essentiellement en se remémorant le chef d’œuvre de Matheson que l’on devinera exactement les sentiments de Neville / Morgan, le dernier des hommes, seulement esquissés dans The Last Man on Earth à l’exception peut-être du sentiment d’ennui, principalement concentré au début, et que Salkow et Ragona illustrent par la voix off de Vincent Price et en ayant recours à des surimpressions d’images montrant Morgan effectuer machinalement toutes ses tâches quotidiennes (vérifier l’ail, remplacer le miroir, tailler ses pieux, traquer les vampires).

Pour autant, The Last Man on Earth est loin d’être un échec sur toute la ligne. Il bénéficie déjà de la modestie de sa production, qui l’éloigne radicalement du clinquant de ses successeurs, tous deux des grosses machines hollywoodiennes. Bien qu’il s’agisse en réalité de Rome (ou du moins de sa banlieue), la ville américaine dans laquelle se déroule le film apparaît comme une ville “normale”, qui ne sert pas de support à Salkow et Ragona pour essayer d’en mettre plein la vue via des visions apocalyptiques. L’échelle humaine de cette ville permet une identification nettement plus aisée que dans le cas de grosses villes dévastées, qui évoquent toujours le cinéma à grand spectacle et sont donc un obstacle au réalisme. L’absence quasi totale d’action joue également en faveur du film, accentuant la sinistrose et la répétitivité macabre du quotidien de Robert Morgan, qui s’accroche à une vie où il n’a plus rien à espérer. Ce monde n’est vraiment plus son monde, il est celui des vampires. Lesquels ressemblent d’ailleurs davantage à des zombies… C’est là qu’intervient la comparaison inévitable avec La Nuit des morts-vivants de George Romero, tourné quatre ans plus tard. Romero ne s’est jamais caché de l’influence décisive qu’a eu sur lui Je suis une légende. Thématiquement, son film doit beaucoup à Richard Matheson, au point que certains le considèrent comme la meilleure adaptation de Je suis une légende. Et visuellement, on se dit que Romero n’a pas pu faire autrement que de s’inspirer de The Last Man on Earth, tant la vision des morts-vivants s’approchant de la maison des “survivants” ressemble à celle de Salkow et Ragona pour leurs vampires. Même positionnement de la caméra avec les monstres vu de dos, au niveau de la taille, mêmes éclairages faisant d’eux des silhouettes, même lenteur, mêmes assauts sur la maison, mêmes râles inquiétants… Une approche très efficace qui fait des vampires de The Last Man on Earth de vagues caricatures des humains qu’ils ont été, et qui illustrent le lien de parenté entre les deux étapes de l’évolution humaine, Robert Morgan représentant l’ancienne. Assez inexploitée par les réalisateurs il faut bien le dire, cette vision resservira avec le succès que l’on sait pour le film de Romero.

On ne peut dire que The Last Man on Earth soit un très bon film. Les thèmes de Matheson y sont trop chichement développés, et la personnalité de Robert Neville / Morgan aurait mérité un peu plus d’attention. Cependant, c’est loin d’être la catastrophe décrite par Matheson. C’est un film fantastique certes léger, une série B qui disposait d’un fort potentiel dont elle ne vient pas à bout. Il reste pourtant largement de quoi passer un très bon moment, ne serait-ce que parce que les faits marquants du roman (qui au delà de sa portée philosophique reste très accrocheur) sont respectés et parce que nous avons là une première tentative réussie de mise en scène d’un monde désolé.

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