CinémaHorreur

Le Cauchemar de Dracula – Terence Fisher

cauchemardracula

Dracula. 1958

Origine : Royaume-Uni
Genre : Horreur
Réalisation : Terence Fisher
Avec : Peter Cushing, Christopher Lee, Michael Gough, Melissa Stribling…

Pourquoi stagner sur une autoroute bondée alors que l’on peut très bien emprunter des routes nationales ? C’est bien plus convivial, et c’est encore le moyen le plus aisé pour arriver avant tout le monde. C’est ainsi que la Hammer Films, malgré les deux excellents Quatermass, décida d’éviter l’embouteillage de la science-fiction (provoqué par les cylindrées américaines) en bifurquant vers l’épouvante gothique en 1957 avec Frankenstein s’est échappé. Il s’agissait de la première résurrection britannique des grands mythes fantastiques qui avaient fait naguère la fortune de la Universal de l’âge d’or. Une voie que l’on pensait sans issue depuis une dizaine d’années et les tristes fins de vie de Dracula, Frankenstein, loups-garous, momies et autres hommes invisibles, réduits à se bouffer le nez dans des pitreries indignes de leurs origines (à titre d’exemple, citons Deux nigauds contre Frankenstein en 1948, qui à lui seul réunissait Dracula, la créature de Frankenstein et le loup-garou pour les faire côtoyer Abbott et Costello). Frankenstein s’est échappé prouva la viabilité de ces vieux pots. Toujours aussi attractifs, ces anciens ne demandaient qu’à être modernisés pour s’imposer de nouveau. Le nouveau Frankenstein se fit ainsi remarquer par sa violence et son érotisme, qui lui valurent quelques volées de bois vert de la part de la critique, mais qui régala un public mûr pour ce nouveau genre de spectacle, en couleurs s’il vous plaît.

Il n’y avait donc pas de raison pour que le comte Dracula n’eut pas droit lui aussi à son dépoussiérage. La tâche fut confiée aux mêmes personnes qui venaient tout juste de redonner vie à la créature de Frankenstein, à savoir (entre autres) le scénariste Jimmy Sangster, le réalisateur Terence Fisher et les acteurs Christopher Lee et Peter Cushing. Lee endosse une nouvelle fois la défroque du monstre de service, tandis que Cushing hérite de celle de sa nemesis humaine, en l’occurrence ici celle de Van Helsing. Les recettes de la Hammer se mettent donc en place, et l’identité de la Hammer sera ainsi forgée, parfois au grand dam des acteurs, qui voudront plus tard échapper à leurs étiquettes. Mais pour l’heure, nous sommes encore au début d’une aventure, et tout va bien dans le meilleur des mondes. Le dépoussiérage se fait aussi au nez et à la barbe des puristes des œuvres littéraires de base, très vaguement respectées. Jonathan Harker n’est plus ici le clerc de notaire anglais envoyé en Transylvanie pour finaliser l’achat d’un manoir par Dracula, mais il est l’allié de Van Helsing, se faisant passer pour un invité du comte afin de détruire le vampire dans son antre. Il y laissera sa peau tout au début du film, non sans avoir débarrassé le monde de la vampirette attitrée de Dracula. Mina (Melissa Stribling) n’est plus la fiancée de Jonathan, mais l’épouse d’Arthur Holmwood (le trop méconnu Michael Gough, actuellement l’une des “mascottes” de Tim Burton), qui lui-même est le frère de Lucy, petite amie de Jonathan. Le docteur Steward devient un simple médecin de passage au chevet de Mina, en proie au vampirisme, et s’éclipse définitivement dès que Van Helsing aura pris le relais et se sera aperçu que Lucy est désormais la proie de Dracula, en quête d’une nouvelle compagne. C’est que les proportions géographiques se retrouvent très réduites : tout le film est situé en Transylvanie. Cette réduction de l’espace entre dans le parti pris de Fisher, à savoir resserrer l’intrigue de façon conséquente, la densifier afin de n’en garder que l’essentiel. Ce qui n’est pas sans poser problème : le film s’enchaîne ainsi à un rythme beaucoup trop soutenu (sur une omniprésente musique, très emphatique), donnant l’impression que le réalisateur n’a qu’une hâte : passer à la scène suivante. Difficile dans ses conditions de s’impliquer dans l’histoire. La “maladie” de Lucy laisse vite place à celle de Mina, qui elle-même se chevauche avec le duo formé par Val Helsing et Arthur Holmwood (qui n’aura pas mis longtemps à être convaincu par le brave docteur).

Les personnages, déjà très réduits en nombre, ne sont pas véritablement étoffés et c’est à peine si le tandem précité a droit à une quelconque caractérisation. Peter Cushing parvient tout de même à poser les bases des personnages qui le caractériseront : quoiqu’encore assez humain, il fait déjà preuve d’une grande intransigeance passant par des exigences plutôt choquantes à l’égard de ses semblables. Le sempiternel aubergiste terrifié se voit ainsi sommé de parler de Dracula, les proches de Lucy se voient imposés des remèdes barbares et Arthur Holmwood se voit demandé d’assister à la profanation du cadavre de sa non-défunte soeur. Quant à Christopher Lee, si son Dracula ne dispose pas d’un large temps de présence à l’écran, il bénéficie du solide charisme de l’acteur, de sa présence physique et de son visage sévère mis en évidence par des artifices devenus incontournables (les yeux injectés de sang, les dents proéminentes). Même si ces aspects seront davantage développés dans les différentes séquelles au cour de l’histoire de la Hammer, Le Cauchemar de Dracula a au moins le grand mérite de se payer une approche toute nouvelle. La même chose peut être dite de l’esthétique : le vieux château de la Universal laisse place à un château moins délabré, cherchant à concilier la couleur, la lumière et les décors avec l’épouvante gothique. Là aussi, les techniciens de la Hammer sont encore en rodage mais se posent déjà sur la bonne voie : le climat automnal et un certain style victorien sont privilégiés. Dès l’année suivante, Le Chien des Baskerville consacrera cette orientation de magnifique façon.

Mais la plus grosse innovation réservée à Dracula reste bien entendu la même que celle déjà de mise pour Frankenstein : la violence et l’érotisme. Deux piliers du cinéma fantastique contemporain que la Hammer accentue déjà à la fin des années 50, anticipant ainsi l’évolution des moeurs. Le mythe du vampire est probablement celui qui, parmi les vieux mythes, est le plus prompt à mélanger ces deux aspects, et Fisher ne s’en prive pas. Les victimes de Dracula sont ainsi pratiquement des victimes consentantes : les jeunes femmes en chemises de nuit légères ouvrent ainsi leurs fenêtres au suceur de sang et s’allongent bien sagement sur leur lit dans l’attente du vampire. Les scènes de morsures elles-mêmes se font très sensuelles, malgré la cape de Dracula jetant un voile pudique sur les ébats. La symbolique est évidente et sera régulièrement de mise dans les films Hammer. Quelque part, compte tenu de l’évolution morale, il n’est pas surprenant que Dracula ne meurt jamais et qu’il fasse autant de victimes. Van Helsing n’est dans le fond qu’un vieux puritain frustré, répondant au sexe par le sang en enfonçant des pieux dans le cœur des vampires au nom du sauvetage des âmes.

Bien loin de l’image vieillotte de Bela Lugosi, le Dracula nouveau écrit une nouvelle conception du cinéma horrifique. Les barrières des valeurs commencent à vaciller, et continueront à le faire pendant une bonne décennie, jusqu’à l’arrivée logique d’un cinéma sans retenues. L’évolution est normale, et la Hammer a le grand mérite d’y avoir joué une place importante, entraînant dans son sillage le cinéma italien et le cinéma américain. Comme quoi, non seulement c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs confitures, mais c’est aussi avec eux qu’on peut améliorer les recettes. A méditer pour tous nos cinéastes actuels qui ne jurent que par leur volonté de refaire à l’identique ce qui a été fait voici 30 ans.

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