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Eat My Dust ! – Charles B. Griffith

Eat My Dust !. 1976

Origine : États-Unis
Genre : Yee-haw !
Réalisation : Charles B. Griffith
Avec : Ron Howard, Christopher Norris, Warren J. Kemmerling, Dave Madden…

Bien qu’étant le fils du shérif Niebold, le jeune Hoover répond toujours présent lorsqu’il s’agit de faire des conneries ! Sa prochaine sur la liste va cependant dépasser les bornes : la belle Darlene lui demandant une virée à bord d’un bolide, il s’empare de “Mabel”, la voiture au volant de laquelle Big Bubba Jones vient de remporter la compétition locale de stock-cars. Avec Darlene à bord et quelques amis ramassés au passage, Hoover entame une cavalcade effrénée dans les alentours ruraux de Puckerbush, Californie. Avec la troupe de bras cassés qui lui servent d’adjoints, son shérif de père s’avère incapable de reprendre les fuyards, et tandis que les poursuites entraînent de nombreux dégâts matériels, des plaignants remontés s’accumulent dans son bureau. Parmi eux, Big Bubba Jones, le champion à la caisse dérobée, qui essaie de convaincre le père Niebold de l’autoriser, lui et ses potes à poursuivre les chenapans…

Des moteurs, des cavales, de l’humour… Voilà qui définit bien tout un pan du cinéma de Roger Corman pendant une bonne dizaine d’années, voire plus. Il aurait pu démarrer sa carrière de réalisateur en 1954 avec The Fast and the Furious mais il céda à la requête d’un John Ireland qui n’acceptait de n’en tenir le rôle principal qu’en endossant également le rôle de metteur en scène. Ce n’était que parti remise, encore qu’il fallut attendre presque dix ans pour que Corman ne réalise son premier film intégralement consacré au milieu automobile (Duel sur le circuit). Dans l’intervalle, il avait bien ici et là présidé à quelques envolées routières, mais rien de bien comparable à ce qu’allait être la seconde moitié des années 60. C’est à cette époque qu’il se mit à exploiter et à peaufiner le filon. Il popularisera ainsi le genre “motard” avec ses Anges sauvages qui annoncèrent le Easy Rider de Dennis Hooper et avec Bloody Mama il reprendra le concept de cavales à la Bonnie and Clyde pour les placer dans des milieux vaguement rednecks non sans les doter au passage d’un solide humour. Et ne parlons pas de Gas-s-s-s, sorte de road movie soixante-huitard porté sur l’absurde. Une fois lancée la New World et lui-même devenu producteur à plein temps, il ne s’arrêta pas en si bon chemin et mit sur les rails des films comme Big Bad Mama (Steve Carver, 1974), Crazy Mama (Jonathan Demme, 1975), Darktown Strutters (William Witney, 1975) ou encore La Course à la mort de l’an 2000 (Paul Bartel, 1975). Le tout s’inscrivant dans une mode plus globale, avec d’une part les films de bikesploitation post-Easy Rider et de l’autre les road movies façon Point limite zéro (Richard Sarafian, 1971) ou Larry le dingue, Mary la garce (John Hough, 1974). Sans oublier les films de ou avec Jack Starrett (deux roues ou quatre roues). Bref, la tendance était à tailler la route, et tant que ça marche, ça roule. Ce filon était en outre en adéquation avec la nature formatrice de la New World : de tels films demandaient de savoir gérer de l’action, du rythme et des personnages par essence rebelles, le tout à la mode Corman, c’est à dire en optimisant un budget réduit et en se dépatouillant d’une durée de tournage limitée. Visiblement distribué en France sous des titres foireux (le banalissime A plein gaz et le franchouillard Tant qu’on a pas essayé), Eat My Dust ! promeut ainsi un réalisateur quasi-novice mais qui est pourtant loin d’être un inconnu dans le microcosme cormanien : Charles B. Griffith. L’un des scénaristes attitrés du bon Roger, et ce depuis ses premiers films (La Loi des armes en 1956), qui lui écrivit certains de ses classiques tels que le tandem satirique Bucket of Blood / La Petite boutique des horreurs… ou encore Les Anges sauvages. S’il tenta bien de voler de ses propres ailes et de s’essayer à de plus grosses productions -via un contrat avec la Columbia à la fin des années 50-, il revint toujours au bercail, lassé par le mode de fonctionnement hollywoodien et, selon ses dires, un peu trop feignant pour jouer aux Don Quichotte. C’est ainsi qu’il suivit Corman à l’ère de la New World, écrivant notamment La Course à la mort de l’an 2000, dont le succès le mit en pôle position pour écrire d’autres films “automobiles”. Voire pour en réaliser, comme avec Eat my Dust !. Après une fâcheuse première expérience à ce poste (Forbidden Island, 1959, dans le cadre de son contrat avec Columbia), ce n’était là que la seconde réalisation d’une carrière qui au final en comptera six, dont quatre pour Corman et un autre pour la jeune Cannon de Golan et Globus. Également écrit par lui-même, Eat My Dust ! est une nouvelle tentative pour le moins prudente : bien loin de s’aventurer dans la science-fiction de La Course à la mort de l’an 2000, il se limite géographiquement à un petit comté californien, et ses jeunes désœuvrés en roue libre n’ont pas d’autre but que de prendre du bon temps et de faire enrager la vieille génération.

Nous sommes donc là en présence d’un pur film pour adolescents ou jeunes adultes. Et pour interpréter le rôle principal, quoi de mieux qu’un jeune acteur ayant à ce moment le vent en poupe ? Par exemple Ron Howard, fort de son rôle dans la série Happy Days et qui commençait à avoir quelques beaux rôles au cinéma (American Graffiti, Du sang dans la poussière, bientôt Le Dernier des géants)… Mais comment attirer quelqu’un sur la pente ascendante dans une production New World ? Et bien en négociant à la sauce maison. Venu proposer à Corman de financer un scénario co-écrit avec son père Rance, Ron Howard en sortira avec un rôle dans Eat My Dust ! et avec la promesse de lui laisser réaliser ce qui allait être son premier film et qui ne serait d’ailleurs pas basé sur le scénario prévu, mais fut tout de même co-écrit par lui et son père. Il s’agira d’un autre film de voitures : Grand Theft Auto (Lâchez les bolides en France), considéré comme une sorte de dérivé voire de séquelle de cet Eat My Dust ! moins ambitieux et qui il faut le dire apparaît un peu chiche en contenu. Nous sommes tout de même face à un film qui, sur un coup de tête de son personnage principal, se permet d’évacuer la moitié de ses personnages à mi-parcours sans autre forme de procès, et à un coup de fil près, sans jamais les faire ressortir des oubliettes (pas même par le shérif). Hoover aura tout simplement décidé que les simagrées de sa bande de potes le gênaient aux entournure pour conter fleurette à la blonde Darlene. Car voilà l’enjeu du film : plus que de provoquer papa et la loi, Hoover cherche à séduire. Cela passe par se donner un côté rebelle et par conduire un bolide, histoire de dépasser le complexe physique dont il souffre et au passage d’épater la donzelle qui de son côté semble quelque peu le prendre pour un con, davantage obsédée par la vitesse que par le facétieux rouquin. S’il devait n’y avoir qu’une seule étude de caractère dans Eat My Dust !, ce serait celle-ci : son jeune héros apprendra à ne plus faire n’importe quoi en passant pour un pigeon. C’est ce que l’on nomme outre-Atlantique un “coming-of-age movie”, comme l’était déjà American Graffiti. A ceci près que ce dernier rendait ses personnages attachants et ne se limitait pas au constat simpliste (et un peu cliché) que dresse un Charles Griffith que l’on a connu nettement plus inspiré. Peut-être que trop pris par son rôle de réalisateur il négligea de travailler le reste, ou du moins opta pour se laisser les coudées franches. Il est vrai que Corman dut certainement envisager le tout comme un film d’action peu propice aux insondables profondeurs psychologiques, mais favorable aux bénéfices (et sur ce plan, ce fut une grande réussite !).

Tout minimaliste qu’il soit, Eat My Dust ! ne démérite en tous cas pas en matière de cascades. Bien qu’il se déroule essentiellement en rase-campagne, les quelques incursions dans des patelins ne manquent pas de faire voler des décors certes un peu carton-pâte mais sans sombrer dans le ridicule. Ce n’est toutefois pas en milieu urbain que le film s’exprime le mieux : ses courses-poursuites dans les collines californiennes sur fond de musique country valent bien plus le coup, et pas uniquement parce que les voitures se renversent généreusement sans que l’on ne puisse prendre “le truc” en défaut (le responsable des cascades est le même que celui de La Course à la mort de l’an 2000), pas même le remplacement de Ron Howard dans les scènes de conduite où sa trogne n’apparaît pas. Les décors sont profondément cinégéniques et même limitée dans l’espace, la ballade ininterrompue (et parfois en dehors des routes goudronnées) que constitue le scénario du film lui permet d’accrocher cette sensation de liberté propre aux road movies de l’époque. Ce qu’il doit aussi à l’illustration à l’écran de la vitesse, pour laquelle Griffith ne néglige aucun moyen, de la caméra sur le capot aux bruits de moteurs en passant par la poussière qui vole à foison (le film doit d’ailleurs son titre à la poussière qui volait lors du tournage). Pétarade assurée, mais qui ne peut suffire à elle seule à donner de l’intérêt à un spectacle dont les personnages sont globalement absents. C’est là qu’intervient la marque de fabrique des productions New World les plus confidentielles : l’humour. Il ne faut cependant pas compter sur la féroce satire d’un Paul Bartel qui vient d’ailleurs faire un caméo : pour une bonne satire, des personnages auraient été nécessaires et une certaine audace aurait été de mise (par exemple, malgré quelques frayeurs, aucun badaud n’est tué). A la place, nous avons donc un humour bon enfant qui à défaut d’être véritablement drôle ou acéré insuffle une bonne humeur qui s’inscrit dans le prolongement de la dédramatisation de l’intrigue et de la sensation de liberté que provoque le périple de ces jeunes canaillous. Là encore, il s’agit surtout de plaire au public visé, relativement jeune. Ce qui explique que l’accent soit mis sur l’humiliation des autorités, qui ici se confondent avec la figure paternelle, condamnée à accomplir à la fois son devoir et son rôle parental. Ce personnage est clairement le dindon de la farce de Hoover (qui lui-même est celui de Darlene) et deviendrait la risée du comté si celui-ci n’était pas composé d’adultes tout aussi crétins. A travers les scène se déroulant au commissariat et en accumulant les personnages venus se plaindre de l’équipée du bolide “Mabel”, Griffith fait ainsi défiler une galerie d’idiots congénitaux venant s’entasser dans les cellules de dégrisement du patelin en attendant que le shérif daigne prendre leur plainte. Dans le lot figure notamment les parents de Darlene, représentants d’une haute bourgeoisie ne s’attendant pas à ce que fifille se dévergonde (ils croient qu’elle a été enlevée). Il y a également ce gros cul-terreux barbu avec sa salopette et sa fourche dont l’exploitation a été dévastée par la bande de Hoover, ou encore le restaurateur chinois dont l’échoppe a été détruite. Il y a bien entendu aussi la bande d’imbéciles servant d’adjoints du shérif, et qui ne comprennent rien à rien. Les caricatures sont grossières et tendent à faire pencher le film dans le burlesque : les gags qui en découlent séduisent moins pour eux-mêmes que pour l’ambiance générale qu’ils contribuent à faire naître (c’est probablement ce que Tarantino évoquait lorsqu’il désignait Charles Griffith comme un maître du cinéma redneck). De même, lorsque Griffith se permet de faire sauter le quatrième mur (en l’occurrence lorsque Hoover demande à rembobiner lorsqu’il fait une sortie de route), le procédé apparaît un peu facile sur l’instant, mais ajoute un petit côté cartoon venant là encore indiquer qu’il ne faut pas prendre tout cela au sérieux.

Des qualités, Eat My Dust ! en a, et il représente bien le cinéma de la New World. Malgré tout, il est difficile de ne pas trouver que tout cela a tendance à ronronner. Les cascades sont bien foutues, le film trouve son style visuel et bien qu’il n’ait rien à raconter, il se suit avec plaisir. C’est le principal. Mais pour aller un peu plus loin, il ne serait pas faux de dire qu’à l’image de l’équipée moyennement sauvage de Hoover Niebold, il finit par tourner en rond et qu’une demi-heure aurait pu être prélevée sur l’heure et demie qu’il dure sans que cela ne lui fasse grand mal. Après tout, La Course a la mort de l’an 2000, qui est autrement plus riche, durait dix minutes de moins que lui ! Charles Griffith réussit le pari de la mise en scène, mais ironiquement, il rate celui du scénario. Ce qui n’est pas un drame : Eat My Dust ! ne visait jamais au-delà du plaisir immédiat et ne fut qu’un exercice pratique pour Griffith, et un moyen pour Ron Howard de parvenir à son ambition de devenir réalisateur. Ce qui fait que ce film est un très bon exemple de la politique de Roger Corman dans la New World : pas forcément très ambitieux ni très réussi, mais néanmoins plaisant et surtout extrêmement utile pour engranger des bénéfices permettant à des jeunes pousses de mettre le pied à l’étrier… où à de vieux collaborateurs d’être remerciés de leurs services.

 

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