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Marshall et Simon – José Rivera & Karl Schaefer

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Eerie, Indiana. 1991 – 1992

Origine : États-Unis 
Genre : Fantastique 
Création : José Rivera & Karl Schaefer 
Avec : Omri Katz, Justin Shenkarow, Mary-Margaret Humes, Jason Marsden…

Voir la revue des épisodes un par un.

Eerie Indiana (Marshall et Simon en France, sur la 3 en 1993) est une série télévisée créée en 1991 par José Rivera et Karl Schaefer et diffusée sur NBC le dimanche soir en même temps que les émissions d’informations… Un mauvais créneau qui eut pour conséquence de générer un faible taux d’audience, et donc l’arrêt pur et simple de la série au dix-neuvième épisode, avant même que la première saison ne soit achevée. Un beau gâchis, tant cette série, sur laquelle Joe Dante travailla en tant que “conseiller créatif” avait d’ores et déjà réussi à afficher un potentiel faisant d’elle l’héritière générationnelle de La Quatrième Dimension. Évitant de reprendre directement le concept de la série de Rod Serling, Rivera, Schaefer et leur conseiller Dante inventèrent une ville, Eerie, dans l’Indiana, qui sous ses apparences de petite ville américaine typique est en réalité le centre planétaire d’un paranormal surréaliste sans commune mesure avec ce que sera plus tard le Sunnydale de l’exécrable série Buffy contre les vampires. Mais à Eerie, peu de personnes sont conscients de la vérité. Le plus averti est d’ailleurs un étranger, Marshall Teller (Omri Katz), le personnage central de la série, un gamin venant tout juste d’emménager en ville avec ses parents et sa grande sœur… Accompagné de son ami Simon (Justin Shenkarow), Marshall découvrira donc de nombreux cas sortant de l’ordinaire, et conservera à chaque fois une preuve de ses découvertes, rangeant le tout précieusement dans une armoire, pour prouver à terme que Eerie est bel et bien la capitale du paranormal…

Eerie Indiana est une série assez hétérogène. Ses dix-neuf épisodes sont assez inégaux, non seulement en terme de qualité mais aussi en termes de thématiques et de continuité mythologique, ce qui n’allait certainement pas s’arranger avec les modifications apportées à partir du treizième épisode, “The Hole in the Head Gang”, censé revitaliser un taux d’audience jugé trop faiblard. Par conséquent, il n’est pas aisé d’analyser la série comme un tout cohérent, et encore moins d’en déduire avec précision l’apport de Joe Dante, dont le poste de « conseiller créatif », aussi réel et concret fut-il, doit toujours être considéré comme étant tributaire des bonnes volontés de Karl Schaefer et de José Rivera, les créateurs de la série, eux-mêmes sous la pression de leur diffuseur, et qu’on ne saurait non plus réduire à néant l’apport des autres réalisateurs et des scénaristes impliqués. Si l’on en juge à son film Parents, un réalisateur tel que Bob Balaban était fait pour se fondre dans un tel concept, et on l’imagine mal servir de simple exécutant. Du reste, Dante ne réalisa que cinq épisodes, eux-mêmes assez différents les uns des autres, et ses déclarations sur le sujet ne sont pas légions, y compris dans le livre de Bill Krohn qui lui est consacré, dans lequel il s’exprime malgré tout en ces termes plutôt positifs, quoique vagues : « Conseiller créatif a l’air d’être un titre creux, mais ça c’est beaucoup mieux passé que je ne l’aurais cru : j’ai été consulté, et j’ai pu être créatif ! J’ai lu tous les scripts, participé aux choix d’acteurs et j’ai eu une influence sur l’ensemble de la série. »

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En tous cas, il est vrai que la “patte” Dante se retrouve à de nombreuses reprises. Le choix des acteurs est effectivement la première caractéristique immédiatement attribuable à Dante, puisque hormis Dick Miller, Henry Gibson et Belinda Balaski, que l’on retrouve dans les épisodes qu’il a lui-même réalisé, on peut apercevoir de façon récurrente Archie Hahn dans le rôle du patron du World O’Stuff, le bazar local, qui sera remplacé au milieu de la série par un autre habitué de l’univers de Dante, John Astin. Toujours des rôles secondaires, certes, mais comparables à ceux que ces acteurs tiennent dans les films ou téléfilms de Dante, où là aussi ils se voient rarement attribués la tête d’affiche (il n’y a à vrai dire que le génial Hollywood Boulevard qui les place à ce niveau).

Un autre élément typiquement « dantesque » tient aux multiples références cinématographiques. Elles peuvent être directes comme dans le bien-nommé épisode “Mr. Chaney” et sa lycanthropie, dans “Zombies in P.J.s” et ses zombies post-Romero, ou encore dans “Scariest Home Videos” et ses références à Boris Karloff, ou elles peuvent se retrouver dans une forme plus subtile, avec des épisodes orientés vers tel ou tel genre cinématographique. “The Hole in the Head Gang” se réfère ainsi aux westerns, “No Brain no Pain” aux films de savants fous et “Who’s Who” aux cartoons de Chuck Jones ou Tex Avery. Tous se réfèrent en tout cas au cinéma de genre généralement plébiscité par Dante, et il y a fort à parier que son héritage culturel s’est énormément fait sentir à ce niveau. En revanche, les romances de “Heart on a Chain” et de “Dead Letter”, quoique toutes deux basées sur du fantastique voire sur des références filmiques ouvertes (James Dean) sont assez surprenantes, surtout qu’elles s’accompagnent comme pour quelques autres épisodes (“The Broken Record”) d’une morale fade et consensuelle que l’on ne s’attendait pas à voir chez le réalisateur (encore que le téléfilm qu’il réalisa peu après, Runaway Daughters, aura lui aussi sa part de conformisme). Sans tenter de justifier le réalisateur (surtout qu’on ne sait trop les pressions qui furent imposées sur lui et sur les créateurs de la série par NBC), on peut penser qu’il souhaitait par là revenir à la morale véhiculée par les productions des années 50 destinées aux enfants ou aux adolescents. Toujours est-il que ce n’est pas une franche réussite et que ces épisodes sont marqués par une trop grande volonté de susciter l’implication émotionnelle du spectateur, à la différence d’un Panic sur Florida Beach qui lui, illustrait principalement les sentiments du cinéaste… Le sujet de départ de la série (son côté Quatrième dimension) ainsi que son impertinence en prennent un petit coup, qui heureusement ne parasite pas tous les épisodes.

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Autre preuve de l’influence de Dante, qui du reste découle elle aussi de la cinéphilie du cinéaste : l’aspect technique. Bien des épisodes usent de procédés principalement en vigueur dans les productions fantastiques des époques chères à Dante (les années 50 et 60) : des angles de caméras assez étranges ou mettant exagérément l’emphase sur certains plans, l’emploi de lentilles déformantes, des photographies colorées ou propices aux jeux d’ombres… Tout ceci crée un paradoxe bienvenu dans une série du début des années 90 qui se déroule en apparence dans une ville bourgeoise traditionnelle. Ces effets de mise en scène ne sont pas gratuits, puisqu’ils permettent effectivement de démontrer l’emprise de l’irrationnel sur la ville de Eerie, devenue une sorte de bulle temporelle caractérisée par l’époque révolue dont Dante a conservé un souvenir d’enfance, qu’il sait brouillé par la nostalgie et par l’idéalisation et qu’il utilise donc à des fins surréalistes. Ce sera l’un des principaux traits d’identité d’une série qui, aussi bien écrits soient certains épisodes, aurait autrement parue bien fade.

Mais surtout, ce qui permet le plus de déceler l’influence de Joe Dante sur la série, c’est tout bonnement ce côté satirique qui caractérise la filmographie entière du réalisateur. Passé le côté moral déjà mentionné et qui n’est pas exactement l’élément dominant de la série, on peut voir que de nombreux épisodes touchent à des questions politiques ou sociales. A ce titre, en plus de ressembler à La Quatrième Dimension, Eerie Indiana est également à rapprocher de Twin Peaks (série diffusée à peu près à la même époque). A l’instar de la série de David Lynch, Eerie Indiana montre beaucoup d’apparences normales cachant une réalité étrange, parfois dangereuse, parfois attachante, parfois simplement absurde. C’est ainsi que les réunions tupperwares de “Foreverware” dissimuleront une véritable secte d’utilisateurs de fontaines de jouvence en plastique (enfants brimés inclus), que les sociétés secrètes du type de celle du “Loyal Order of Corn” seront rattachées aux extra-terrestres ou que les traditions comme celles de “Tornado Days” ou de “Mr. Chaney” relèveront davantage de doctrines religieuses païennes que des simples fêtes folkloriques. “Reality takes a Holiday”, au-delà de son témoignage sur le monde de la télévision pourra même être intégré à ce même raisonnement selon lequel les apparences sont tout sauf exactes, et que même les individus cachent des secrets parfois très profonds. Et que dire de “The Losers”, épisode dans lequel Marshall découvre l’existence d’une société souterraine spécialisée dans la perte d’objets en tous genres !
Tout ceci n’est finalement pas si éloigné que cela du concept des Body Snatchers de Don Siegel, Philip Kaufman et Abel Ferrera, et Dante ainsi que ses camarades créateurs de la série (on saluera d’ailleurs les épisodes signés Bob Balaban) utilise ce postulat de réalités trompeuses pour se livrer à une satire sociale pleine d’humour à propos du mode de vie américain.
D’autres fois, les sarcasmes se font plus virulents et touchent directement au système établi. C’est ainsi que le maire pourri, que le flic étrange (tous deux principalement dans “Marshall’s Theory of Believability”), que les professeurs conspirateurs pour une enfance plus docile (“Just Say no Fun”), que les commerçants (“Zombies in P.J.s”), que le système bancaire (“ATM with a Heart of Gold”) et que les relations familiales (“Who’s Who”) seront à l’origine de nombreux déboires, de trafics voire d’endoctrinements purs et simples, tout ceci couvert en apparence d’un conservatisme ou d’une démagogie que les scénarios de la série se plaisent à gratter. Dans “Scariest Home Videos”, la fin de la guerre froide sera même un sujet de moqueries, lorsque Marshall et Simon, déguisés pour Halloween en Reagan et Gorbatchev, continueront même de se battre en privé avant d’aller ensemble faire la fête en public !
Encore pire : la nature elle-même cache des choses louches, avec ces histoires de chiens révolutionnaires (“The Retainer”) et de changements d’heure dissimulant une dimension parallèle (“The Lost Hour”) ! Bref, sans pour autant verser dans le conspirationnisme borné, la série aime à faire naître une certaine méfiance chez son public, jeune de préférence, et repose sur une louable pédagogie plus subversive que prosélyte.

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C’est donc avec un humour très proche de celui de Dante que Eerie Indiana nous décortique à sa façon (assez sommaire il est vrai, chose normale compte tenu du public visé et de la durée de chaque épisode) les rouages d’une ville américaine classique, tellement classique que certains éléments culturels américains y circulent librement sans gêner personne (Elvis, le couple de la célèbre peinture American Gothic de Grant Wood…). Le recul à adopter face à chaque épisode (y compris pour “No Brain, no Pain”, basé sur l’action ainsi que pour “The Hole in the Head Gang”, qui a la lourde tâche de renouveler la série) ne se dément que lorsque les épisodes portent sur un sujet romantique ou familial (“Heart on a Chain”, “The Dead Letter”, “The Broken Record”, mille fois plus mièvre qu’un “Who’s Who” au sujet comparable). Sans pouvoir affirmer que toute la réussite de la série est due à Joe Dante, et sans non plus être en mesure de le dédouaner de quelques tares, on peut en revanche affirmer que son apport créatif fut très conséquent, et que José Rivera et Karl Schaeffer ont parfaitement compris et assimilé les suggestions de leur conseiller créatif. En un sens, la relation entre Dante et les deux créateurs de la série évoque celle du mentor et des disciples, un peu à l’image de la relation entre Roger Corman et Joe Dante au temps de la New World.

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