CinémaHorreur

Une messe pour Dracula – Peter Sasdy

 

messepourdracula

Taste the Blood of Dracula. 1970

Origine : Royaume-Uni
Genre : Horreur
Réalisation : Peter Sasdy
Avec : Christopher Lee, Geoffrey Keen, Linda Hayden, Anthony Higgins…

Particulièrement friands des Dracula, qui continuent à leur amener des bénéfices non négligeables, les distributeurs américains font non seulement pression sur la Hammer pour lancer la production d’une nouvelle séquelle mais encore pour qu’elle y place Christopher Lee. Il était déjà arrivé à deux reprises que la firme anglaise fasse un film de vampires sans l’acteur, c’était pour Les Maîtresses de Dracula et Le Baiser du vampire, tous deux intercalés entre Le Cauchemar de Dracula et ce qui n’est du coup que sa première séquelle, Dracula : Prince des ténèbres. Mais cela ne satisfaisait pas les américains, et probablement pas le public non plus, qui redemandaient du Christopher Lee. Celui-ci refusant de reprendre le rôle après un Dracula et les femmes qu’il jugeait stupide, la Hammer était bien embêtée et s’orienta donc vers un film de vampire sans Dracula… Vincent Price fut un temps attaché au projet, dans le rôle non pas du vampire, mais dans celui d’un des hommes travaillant à son apparition. Finalement, l’acteur demanda trop cher et manqua l’occasion de travailler avec la Hammer. Peut-être ce sacrifice est-il dû au revirement de Christopher Lee, qui finit par accepter de tourner dans Une messe pour Dracula, avec comme on peut l’imaginer un salaire revalorisé à la clef.

William Hargood (Geoffrey Keen) est un tyran domestique puritain. Il ne tolère pas que sa fille Alice (Linda Hayden) puisse flirter avec le jeune Paul Paxton (Anthony Higgins) et s’emploie donc à briser cette relation. Telle est sa personnalité publique, puisqu’en réalité ce notable mène une double vie qui le conduit certaines nuits à aller profiter des plaisirs interdits avec deux de ses amis, Paxton père et Secker. Mais fréquenter les bordels ne leur suffit plus. Les trois hommes vont ainsi demander conseil à Lord Courtley, jeune noble déshérité par son père pour cause de pratique de la magie noire, qui leur conseille l’achat de tout un attirail qui sera au cœur d’une messe noire qu’il célébrera lui-même avec leur assistance. Le matériel en question n’est autre que les vestiges du comte Dracula, appelé à ressusciter.

Que Christopher Lee soit revenu, c’est bien beau, mais comment faire lorsque le scénario est déjà écrit ? Il faut bien trouver un moyen pour le parachuter là-dedans. Et puisque le poste de vampire ne saurait être contesté, c’est Lord Courtley qui se sacrifie littéralement pour laisser la place à son patron Dracula, ratant ainsi l’occasion de montrer ce qu’il vaut. On peut le regretter, puisque la première partie du film, c’est à dire celle qui n’a pas été remaniée et qui ne contient aucun vampire, offrait une perspective alléchante. Une messe pour Dracula ne nous propose rien de moins que d’assister à la vampirisation volontaire d’un humain, abordant ainsi un sujet rarement traité. La plupart des vampires n’existent que parce qu’ils ont été mordus, et l’origine du vampire originel, très souvent Dracula, étant très rarement évoquée. Il faut dire que Bram Stoker n’aborde pas le sujet. Ce qui en un sens n’est pas plus mal, puisque son vampire s’enracine alors dans de sombres croyances folkloriques. Si Dracula est devenu indissociable des hauteurs transylvaniennes, c’est en partie parce que son origine ne peut être située ou expliquée, ce qui s’agrémente fort bien de la méconnaissance populaire de la Transylvanie. Francis Ford Coppola s’est essayé en vain à l’exercice explicatif, transformant son vampire en romantique pitoyable davantage à sa place dans l’Angleterre victorienne qu’en Europe orientale. La Hammer, avec ses vampires sans pitié, n’a jamais ressenti le besoin de remonter bien loin aux origines de ce mal, qui existe tout simplement. Avec Une messe pour Dracula, la voilà qui s’y essaie, tout en gardant la caractérisation maléfique de ses vampires. Faire reposer cette initiative sur un inconnu va de soi : on connait déjà le Dracula vampire, et il n’y a pas lieu de revenir en arrière (contrairement à ce qu’aime faire le cinéma américain). Autant donc créer une figure toute neuve. Lord Courtley est cette figure, et il évoque immanquablement la personnalité de Victor Frankenstein dans sa folie créatrice. La magie noire remplace la science, les débris de Dracula (la cape, la gourmette et des flacons de sang) remplacent les morceaux de cadavres. Cependant, il n’y a pas la volonté de concurrencer Dieu : Courtley ne recherche que le mal et les plaisirs interdits. Il présente d’ailleurs son objectif aux trois notables comme étant la vente de leur âme au diable. C’est pour eux un jeu de hasard basé sur leur masochisme moral, et ce n’est pour lui qu’une façon d’exploiter les penchants pervers de trois imbéciles. Figure manipulatrice, Courtley est en ce sens assez brillant, et la création d’un vampire repose avant tout sur les penchants de l’humanité à créer le mal. Au passage, Sasdy se livre à une satire discrète sur ces bons bourgeois prêts à tout pour échapper à la monotonie de leur vie puritaine… mais sans que cela se sache. Les répercussions de leurs actes seront pourtant terribles pour eux et pour ceux qu’ils souhaitent dominer (ici, Alice, fille de Hargood). Et pourtant, ils ne veulent pas affronter leurs responsabilités, faisant passer leur malaise sur leurs proches.
Dans Une messe pour Dracula, du moins dans sa première partie, la figure du vampire n’a plus rien de mythologique : ce n’est que le prolongement des bas instincts humains, exploités par une personnalité cynique. Joué par l’excellent Ralph Bates (qui brillera tout autant l’année suivante dans Dr. Jekyll & Sister Hyde, en tandem avec Martine Beswick) Lord Courtley est un personnage au fort potentiel, doté d’un charisme qui aurait amplement mérité de pouvoir s’exprimer sous la forme du vampire.

Hélas, Christopher Lee étant revenu, le sacrifice de Courtley entraîne la mort de celui-ci et la transformation de son cadavre en bon vieux Dracula. Excuse franchement grotesque. Dracula lui-même semble s’en rendre compte, puisque son objectif est pour une fois singulièrement altruiste : venger son serviteur. Il reste dans l’ombre, et même lorsqu’il s’aventure à boire quelques gorgées de sang à même la carotide de fraiches donzelles, c’est pour mieux en faire les bras armés de sa vengeance. Il reste lui-même en retrait, ce qui trahit le fait qu’il a été parachuté dans un scénario au sein duquel son personnage n’avait rien à faire. Courtley aurait été un vampire différent, aussi manipulateur de son vivant que de sa mort, et faire effectuer ses besognes par les enfants de ses anciens alliés aurait été on ne peut plus logique. Ça aurait été l’ultime bravade faite à ces bons bourgeois qui se sont livrés au mal avec stupidité. Sous sa coupe, il aurait été très ironique de voir Alice se transformer effectivement en servante du démon, concrétisant par la faute de son père les accusations jusqu’ici mensongères et hypocrites formulées par celui-ci.

Il se trouve donc par malheur que ce n’est pas Courtley qui est derrière tout cela, mais Dracula. Lequel n’est pas fait pour rester en retrait. C’est un buveur de sang, et il est illogique de le voir abandonner sa véritable nature pour orchestrer une vengeance trouvant ses racines dans la personnalité de feu son serviteur. Christopher Lee a d’ailleurs l’air très paumé dans cette fonction qui ne lui demande d’autre effort qu’apparaître à l’écran (il ne s’implique pas outre mesure dans sa tache, comme si il avait conscience de son intrusion dans un sujet qui ne le concerne pas), et Dracula n’en sort certainement pas grandi. Pas vraiment diminué non plus, du reste, puisque la présence de Lee, pour stérile qu’elle soit, reste imposante… C’est juste que ce n’est pas son film. En ayant parachuté le plus célèbre monstre maison dans le scénario sans lui demander de s’y adapter, la Hammer a plutôt rabaissé un film qui était parti sur de très bonnes bases. Reste que les méfaits d’Alice (et dans une moindre mesure de son amie Lucy) sont eux toujours empreints de ce qu’ils auraient dû être et que le film, si il perd son étude du vampirisme, garde la satire bourgeoise en nous montrant la terreur (et la culpabilité) venant s’emparer de Hargood et de ses acolytes. Alice devient en fait le véritable mal du film, loin devant le Dracula ressuscité malgré lui. Et Linda Hayden impose une autre figure originale du vampirisme : plutôt qu’une créature livide, elle garde au contraire son caractère. Distante avec son père et rayonnante avec son amie au cours d’une scène de toute beauté, synthèse de l’esthétique Hammer, où elle l’entraîne dans le repère de Dracula en passant par les bois. L’occasion pour Sasdy et ses techniciens d’avoir recours au savoir-faire des décorateurs et directeurs photo de la Hammer.

Une messe pour Dracula n’a rien de déshonorant, surtout quand l’on considère son caractère improvisé. C’est dire si le film était potentiellement riche. Sasdy aurait pu accoucher d’une véritable réorientation de l’image du vampire de la Hammer, qui aurait très bien pu figurer en marge des Dracula suivants, mais cette tentative de redémarrage a été tuée dans l’œuf par les pressions commerciales (elle n’est en fait que reportée à 1974, date à laquelle la Hammer tente une nouvelle saga avec Capitaine Kronos, tueur de vampires). En attendant, il prouve tout de même qu’il n’est pas obligatoire d’avoir un Christopher Lee ou un Peter Cushing cantonnés dans leurs rôles habituels pour accoucher d’un bon film de vampire gothique à l’ancienne. Ni même de structure classique de chasse au vampire, puisqu’après tout, le présent film n’a pas de véritables personnages positifs, si ce n’est le petit ami d’Alice qui ne révèle son âme de héros que dans les dernières minutes ! Mais les goûts du public changeront vite en cette nouvelle décennie, et il n’est pas dit que la perspective ouverte par Une messe pour Dracula aurait de toute façon perduré. Après quelques temps, même Christopher Lee ne suffira pas à enrayer la crise connue par la firme, en dépit d’une ouverture sur le gore et l’érotisme, plus explicitement utilisés. Capitaine Kronos n’y parviendra pas plus. De quoi faire regretter que la Hammer ait dû faire des concessions inutiles à ses distributeurs américains, dévalorisant le film de Peter Sasdy.

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