Dracula et les femmes – Freddie Francis
Dracula has risen from the grave. 1968Origine : Royaume-Uni
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Un an s’est écoulé depuis que Dracula s’est retrouvé prisonnier des glaces (dans Dracula : Prince des ténèbres). Le village à proximité de son château espérait bien être définitivement délivré du vampire. Pensez-vous ! Par un beau matin, le cadavre d’une jeune femme est retrouvé dans le clocher de l’église avec deux morsures au cou. Aucun doute, Dracula (toujours Christopher Lee) est bel et bien revenu. Les autochtones et le curé local sont de nouveau paralysés par la terreur, et c’est Ernest Mueller (Rupert Davies), prélat venu de Keinenberg, qui tente de leur porter secours en exorcisant le château du comte. Ne pouvant plus rentrer chez lui, Dracula décide alors de se venger en suivant Mueller à Keinenberg dans le but de s’en prendre à sa nièce Maria (Veronica Carlson).
Si l’on met de côté Les Maîtresses de Dracula, dans lequel le célèbre vampire (et son interprète attitré) n’apparaissait pas directement, Dracula et les femmes est le troisième Dracula de la Hammer. Le Dracula du changement, puisque Terence Fisher, empêché par un accident de la route, n’en est pas le réalisateur. Freddie Francis se trouve donc promu réalisateur de la franchise phare de la Hammer, après avoir fait ses armes sur L’Empreinte de Frankenstein ainsi que sur plusieurs films réalisés en dehors du cadre de la Hammer. Avec son passé de directeur de la photographie, il incarne une valeur sûre. Autre évolution : cette fois Dracula part en ville, à Keinenberg, assez loin de son château. A changement de cadre, changement de look : les allures automnales et rurales disparaissent au profit d’une ville réduite à trois endroits entre lesquels tous les protagonistes circuleront la majeure partie du temps, en marchant sur des toits gothiques : la demeure de Mueller, là où vit également Maria et la mère de celle-ci, l’auberge où travaille Paul (Barry Andrews avec une coiffure à la Roger Daltrey) le petit ami de Maria, et le sous-sol de cette auberge, là où Dracula a élu domicile. Préjudiciable, la répétition des lieux confère au film une certaine monotonie et rend caduque l’urbanisation du vampire. Avoir ainsi recours à une auberge, lieu essentiel des premiers Dracula, constitue la plus belle preuve de l’inexploitation d’une idée qui avait pourtant de quoi séduire. Étonnamment, compte tenu de ses capacités, Freddie Francis peine à donner du charme à ses décors, les éclairages typiquement britanniques ayant fait la réputation de la Hammer n’ayant pas l’occasion d’être souvent utilisés (et ce ne sont pas les scènes sur les toits, limités à deux perspectives, qui vont changer la donne). Seule la présence de Dracula justifie l’intrusion de filtres colorés donnant des apparences d’arc en ciel aux bords de l’écran, confinant au grotesque au vu de la surexploitation de la chose…Bref, n’y allons pas par quatre chemins : sur le plan visuel, Dracula et les femmes déçoit beaucoup. Heureusement, Christopher Lee impose une nouvelle fois son charisme dans la peau d’un personnage froid et sadique qu’il maîtrise tout à fait (et qui est à l’origine d’effusions sanguines de plus en plus marquées).
Le scénario est en revanche un peu plus intéressant. En transposant l’intrigue dans un milieu urbain, Freddie Francis évacue les personnages de villageois apeurés, et les remplace par des personnalités bien moins complexées, n’ayant pas peur de Dracula car ne sachant pas grand chose de lui. Confronter Paul, jeune athée issu d’un milieu populaire, à un ponte de l’Eglise catholique renouvelle l’opposition faite à Dracula en posant la question de la foi. Ayant déjà pris le parti d’amoindrir les aspects catholiques de l’œuvre de Bram Stoker, la Hammer franchit une nouvelle étape, et semble même défier la religion en la mêlant intimement au mal. Ainsi, la présence d’un curé maudit à la solde de Dracula laisse à penser que le manichéisme de la dévotion (soit du côté du bien, soit du côté du mal) érige une frontière pouvant être franchie à tout moment. Dracula n’est il pas lui-même né de la religion ? L’athéisme, au contraire, est nettement moins soumis à la crédulité et aux cérémonies, ce qui confère à ses représentants une liberté d’action appréciable. Pas de blocages obscurantistes, pas de sensation de damnation… Bien que traité en filigrane, ce sujet tend à prendre le pas sur l’histoire à proprement parler, c’est-à-dire à la volonté de Dracula de transformer Maria en l’une de ses adeptes. Nous retombons là dans les conventions, et c’est ainsi que l’on songe au personnage de Mina dans le roman de Bram Stoker. Freddie Francis délaisse au passage une bonne part des sous-entendus érotiques de Terence Fisher, replaçant sans conviction quelques figures imposées (la morsure sous cape, les nuisettes dans la nuit) et versant même dans la vulgarité avec les étudiants de la taverne et la serveuse peu farouche…
Ce troisième Dracula constitue donc une semi-déception. Au final, ce sont les scènes se déroulant dans les environs du château de Dracula (c’est à dire au début et à la fin) qui emportent l’adhésion. Bien qu’il s’agisse du Dracula le plus fructueux commercialement parlant, Freddie Francis ne reprendra plus les rênes de la série pour le compte de la Hammer. Par contre, il réalisera un Son of Dracula rock’n’roll en 1974, réunissant Dracula, la créature de Frankenstein, le loup-garou, la gorgone… et Ringo Starr.