Cujo – Lewis Teague
Cujo. 1983.Origine : États-Unis
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Alors que Vic, son mari, est parti en voyage d’affaires, Donna, accompagnée de leur fils unique Tad, emmène sa voiture chez Joe Camber, un garagiste installé loin du centre-ville. Sur place, elle ne trouve personne si ce n’est Cujo, le chien des Camber, un solide Saint Bernard victime de la rage. Dans l’impossibilité de redémarrer sa voiture, Donna est contrainte d’y rester à l’abri sous peine de s’exposer aux morsures du chien enragé. Mais le temps passant, Tad souffre de plus en plus de déshydratation. Donna va devoir agir…
Depuis l’adaptation de Carrie par Brian De Palma en 1976, les écrits de Stephen King ne cessent d’intéresser le cinéma. Les adaptations de ses livres tendent alors à se multiplier, pour des résultats plutôt inégaux. L’année 1983 atteste du fort engouement du cinéma pour l’écrivain avec pas moins de trois adaptations. Ce tir groupé –composé de Christine, Dead Zone et Cujo– témoigne de la grande diversité de l’œuvre de Stephen King. Pour faire court, voiture hantée et adolescent vampirisé dans Christine, don de voyance qui mène à la solitude dans Dead Zone, et lutte acharnée entre une mère et un chien enragé sur fond de culpabilité et de peurs enfantines dans Cujo.
Peter Medak, le réalisateur initialement prévu, ayant quitté le navire au bout d’une seule journée de tournage, la mise en scène échoit à Lewis Teague dont L’Incroyable alligator (1980) avait durablement marqué Stephen King. Parachuté de dernière minute, Lewis Teague ne traite pas pour autant le film par dessus la jambe, et s’attache à poser calmement l’intrigue avant d’en arriver au suffocant huis clos que constitue la dernière demi-heure.
Les Trenton revêtent tous les aspects de la famille heureuse. Cependant, ce bonheur comporte bien des zones d’ombre, dont l’adultère de Donna n’est pas la moindre. Plutôt que de nous asséner ça de façon grossière, Lewis Teague préfère procéder par petites touches. Quelques regards gênés en présence de Steve, menuisier et amant, et le silence de plomb qui accompagne ses dîners avec Vic, son mari, trahissent un certain malaise. La culpabilité la ronge d’autant plus fort que son mari se comporte de manière irréprochable. Mari aimant, bon père, il ne semble souffrir d’aucun défaut si ce n’est un manque de fantaisie. Parallèlement à ça, leur fils Tad fait de fortes crises d’angoisse, persuadé qu’un monstre se tapit dans son placard, attendant la nuit tombée pour se jeter sur lui. Une peur enfantine finalement assez courante mais qui prend ici une dimension supplémentaire, presque inconsciente. C’est comme si Tad, ciment inaltérable du couple, mettait tout en oeuvre pour attirer l’attention de ses parents, et ainsi, leur faire oublier leur perte de complicité. Davantage que le noir, c’est la perspective de la séparation de ses parents qui l’effraie. De son côté, Vic, le cocu de l’histoire, met un certain temps à se rendre compte de ce qui se trame dans son dos. Il s’aperçoit bien que quelque chose cloche, qu’il n’y a plus trop de dialogues entre sa femme et lui, et que sans leur fils, l’ambiance serait bien morne à la maison. Étonnamment, sa seule réponse au problème est d’avoir un second enfant. Son amour pour sa femme n’est pas à remettre en cause, toutefois, il paraît plus à l’aise dans son rôle de père que dans son rôle de mari. Ou du moins, il délaisse le second au profit du premier.
Et, pendant que le couple Trenton s’effrite, fragilisé par l’ennui et les non-dits, un chien nommé Cujo se laisse peu à peu gagner par la rage. La diffusion de son mal se fait progressive et épouse les derniers soubresauts du couple Trenton. La maladie prend le dessus sur le brave chien au moment où le couple vacille du mauvais côté de la balance. Désormais Vic sait, et il profite d’un voyage d’affaires pour s’accorder le temps de la réflexion, laissant Donna seule avec sa culpabilité qui prend la forme de Cujo. Le choix d’un Saint Bernard comme bête féroce ajoute une touche ironique au récit. Traditionnellement, ce chien a plus vocation à sauver les gens qu’à les tuer. Et de l’aide, Donna en aurait bien besoin pour se soigner de sa culpabilité. Le combat qui l’oppose à Cujo est autant celui d’une mère qui lutte pour la survie de son enfant, que celui d’une femme déboussolée qui décide d’affronter ses démons intérieurs. D’abord assez passive, elle se mue petit à petit en furie que rien n’arrête. Lorsqu’on sait à quel point Vic est attaché à son fils, sauver Tad revient à sauver son couple.
La construction en crescendo de Lewis Teague prend tout son sens avec cette dernière demi-heure particulièrement éprouvante. L’hystérie qui s’empare du jeune Danny Pintauro est criante de vérité, tout comme le sont les assauts répétés de Cujo. Lewis Teague les filme sans fioritures et de manière brutale, ce qui rend palpable la rage qui anime le chien. A ce propos, le travail effectué par les dresseurs est proprement hallucinant. Plus qu’une simple présence menaçante, Cujo apparaît comme un personnage à part entière du film, acquérant tout au long du récit un semblant de personnalité. Le réalisateur use de nombreux gros plans sur ce regard si expressif, qui nous font percevoir la moindre étape de l’évolution de son mal. Une certaine empathie naît pour ce chien dont le dernier sursaut “d’humanité” lui a permis d’épargner son jeune maître. Le combat qui l’oppose à Donna n’en devient que plus intense, entre deux êtres mus par un mal profond.
Crédible, le film le demeure tout du long, ce qui ajoute à l’angoisse qu’on peut ressentir devant ce huis clos. Stephen King l’a prouvé tout au long de sa carrière, le danger émane de toute part. Il a trouvé en Lewis Teague un parfait illustrateur, qui a su aborder le sujet avec tout le sérieux requis et un sens très sûr de la mise en scène. Néanmoins, il n’a pu s’empêcher une petite faute de goût, héritière des slashers, en l’occurrence le réveil du monstre qu’on croyait mort. Cela mis à part, Cujo est un bon film d’angoisse dont la fin a la bonne idée de ne rien résoudre du problème de couple des Trenton.