CinémaHorreur

The Borrower – John McNaughton

The Borrower. 1991.

Origine : États-Unis
Genre : A en perdre la tête
Réalisation : John McNaughton
Avec : Rae Dawn Chong, Don Gordon, Tom Towles, Antonio Fargas, Neil Giuntoli, Tony Amendola.

Au beau milieu de la nuit, les braconniers Bob Laney et son fils assistent à l’atterrissage d’une navette spatiale d’où s’extrait ce qui semble être un humain prisonnier d’un extraterrestre. N’écoutant que son courage, et parce qu’il était de toute façon venu pour faire un carton, Bob tire sur l’alien et le fait fuir. Alors que son fils s’en va chercher des secours, Bob se fait arracher la tête par le captif en guise de remerciement. Celui qu’il avait pris pour un humain n’est autre qu’un dangereux criminel condamné sur terre à l’exil après avoir subi une dévaluation. Ainsi pourvu d’un nouveau visage, l’extraterrestre se fond au sein de la population bigarrée de Los Angeles, changeant de tête à chaque fois que son corps subit une altération. Ses pérégrinations sanglantes finissent par attirer l’attention des autorités, lesquelles diligentent les inspecteurs Diana Pierce et Charles Krieger afin de mettre fin au carnage. Seulement les deux collègues naviguent à vue, ne comprenant pas grand chose à ce qu’il se passe. En outre, Diana a d’autres chats à fouetter, préoccupée par Scully, un psychopathe de premier ordre qui s’est évadé peu de temps après qu’elle ait réussi à le coffrer.

Pour importante qu’elle puisse être dans la carrière d’un cinéaste, la réalisation d’un premier film s’avère moins déterminante que celle du second film, pouvant déjà être perçue comme une forme d’accomplissement. Des films uniques ont ainsi fleuri tout au long de l’histoire du cinéma, souvent initiés par des acteurs désireux de s’essayer à un autre exercice. Auprès des chefs d’oeuvre La Nuit du chasseur de Charles Laughton et Johnny s’en va t-en guerre de Dalton Trumbo, citons également Le Carnaval des âmes de Herk Harvey, Wanda de Barbara Loden ou encore Police puissance 7 de Philip D’Antoni. Cela peut relever de l’accident, du caprice ou tout simplement d’une occasion à saisir. En réaliser un second n’est pas toujours chose aisée, à plus forte raison lorsque le coup d’essai s’est avéré un coup de maître. Il peut alors se poser la question de vouloir se montrer à la hauteur des attentes, de tenter de construire une oeuvre cohérente. Des questionnements qui sont loin de phagocyter les pensées de John McNaughton qui au moment de se lancer dans le tournage de The Borrower, est davantage préoccupé par la perspective que son film soit vu. A cette époque, son premier film Henry, portrait d’un serial killer n’avait pas encore connu de distribution en salles. Seule sa sélection au festival international du film de Chicago en 1986 lui avait permis de se confronter au public. Par la suite, le comité de censure fit des siennes, interdisant purement et simplement son exploitation à cause d’un contenu jugé trop violent et sulfureux. Une interdiction qui s’est éternisée jusqu’en 1990. The Borrower répond donc davantage à un besoin de tourner rapidement la page qu’à un véritable coup de coeur pour une histoire à l’entêtant air de déjà-vu.

Dès ses premières images, The Borrower s’impose en parfait négatif de Hidden dont il partage le postulat – un extraterrestre qui change constamment d’aspect – et le lieu de l’action. Là où le film de Jack Sholder arpentait les grandes artères des quartiers huppés de Los Angeles à bord de décapotables rutilantes diffusant du rock FM à fond les ballons, John McNaughton se cantonne quant à lui aux quartiers interlopes de la ville, frayant plus volontiers avec les déclassés et les exclus. A l’ironie du premier qui brocarde l’outrecuidance des années Reagan, John McNaughton préfère l’envers du décor, montrer ce que les gouvernants souhaitent cacher. Au-delà de l’aspect sordide et réaliste que cela confère à son film, dans la droite lignée de son précédent opus, ce choix est aussi dicté par un souci de cohérence. L’extraterrestre du film est lui aussi un déclassé. Un criminel dont les siens ne veulent plus assumer la charge et qui choisissent la planète Terre pour s’en débarrasser. Le constat est sans appel, notre planète n’est plus cet éden que les populations extraterrestres nous enviaient au point de venir régulièrement nous en disputer le contrôle. Aux yeux du monde intergalactique, elle n’est plus bonne qu’à être une “décharge” où y déposer ses rebuts. Une trentaine d’années plus tard, cette assertion a pris tout son sens. Dans ce contexte, être transformé en humain équivaut à la pire punition possible. Il n’est donc ici nullement question d’invasion extraterrestre, ni même d’un alien belliqueux contrairement à ce qu’il laisse entendre dans la navette qui l’amène sur Terre. Certes, il tue mais davantage par nécessité que par plaisir ou dans un but de domination. L’altération de son programme génétique arrive de manière tellement soudaine qu’elle ne lui laisse même pas le temps de choisir sa victime, arrachant la tête du premier être vivant qu’il a sous la main. Ce qui occasionne quelques désagréments comme avec ce chien qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Un exemple supplémentaire de la parenté entre The Borrower et Hidden puisque dans ce dernier, un chien sert également de véhicule momentané à l’extraterrestre. Toutefois, par le modus operandi de l’extraterrestre banni qui consiste à changer de tête en arrachant celle qu’il convoite, cette séquence renvoie à tout un pan du cinéma d’horreur des années 50 à base de monstres improbables. En dépit de la bonne tenue des effets spéciaux signés Kevin Yagher et KNB, la série B du départ se colore de Z dans ce qui s’avère n’être finalement qu’une respiration amusée avant le grand final. John McNaughton assume pleinement les aspects grotesques de son scénario qu’il contrebalance régulièrement avec les scènes d’une plus grande noirceur qui mettent en avant le psychopathe Scully. L’extraterrestre représente un danger de moindre importance que le psychopathe, ce dernier ne répondant à aucun autre stimuli que le simple plaisir de faire du mal. On peut même éprouver un peu d’empathie pour ce représentant du Troisième type tellement paumé qu’il en met de côté les tendances criminelles qu’on lui prête, faisant même preuve d’une certaine innocence au contact de ce nouveau monde.

Il y a donc deux films en un dans The Borrower. Deux lignes de récit qui se déploient parallèlement, se croisent et se recroisent avant de se rejoindre totalement lors d’un dénouement un brin forcé. Cette dualité résulte de l’arrivée de Rae Dawn Chong au sein du projet. Si son nom garantit un budget plus conséquent à John McNaughton, sa participation nécessite néanmoins quelques ajustements au niveau du scénario. Ce dernier, qui avait déjà subi de nombreuses réécritures, est retouché une énième fois de manière à donner plus de présence aux duos d’inspecteurs alors même que John McNaughton et son scénariste Richard Fire s’étaient justement ingéniés à les mettre en retrait. C’est ainsi qu’apparaît le personnage de Scully dont le contentieux avec Diana Pierce nourrit l’autre versant du film. Littéralement obsédée par le psychopathe en dépit de son arrestation – elle en cauchemarde la nuit – elle se laisse rongée par une tension permanente que son partenaire a bien du mal à contenir. Loin de lui changer les idées, la recrudescence de corps décapités et des témoignages tous plus farfelus les uns que les autres la renvoient à ses démons. L’inspecteur Connie et elle composent un duo de flics qui s’éloignent des codes du buddy movie. Pas plaisantins pour un sou, ils abordent cette enquête improbable comme n’importe quelle autre, avec sérieux et méthode. John McNaughton use de la même approche. Son extraterrestre en goguette, pour perdu qu’il soit dans son nouvel environnement, n’est pas vecteur de comédie. Par son côté imprévisible, il véhicule même une certaine tension lorsqu’il fraye avec des représentants de l’humanité, comme cette fille qui l’amène à l’hôpital après l’avoir percuté en voiture. Sa vie ne tient alors qu’à un fil et on s’attend à ce qu’elle se fasse décapiter à tout instant. L’humour n’est cependant pas absent du film mais celui-ci se teinte plus volontiers de noir plutôt que viser la grosse gaudriole. John McNaughton ne prend jamais de haut son sujet, lui apportant indéniablement sa patte naturaliste. Plus ouvertement divertissant que son prédécesseur, The Borrower n’en reste pas moins un film crasseux et glauque jusque dans sa conclusion dans les couloirs d’un institut médico-légal.

Avec The Borrower, John McNaughton persiste et signe. A l’instar d’un Frank Henenlotter (Frères de sang, Elmer, le remue-méninges, Frankenhooker) voire d’un Jim Muro (Street Trash), il inscrit son horreur dans un réalisme social marqué. Mais contrairement aux deux réalisateur précités, il jouera de malchance puisque après que Atlantic, la boîte de production, ait déposé le bilan, les bobines du film ont été confisquées pendant deux ans. Le début des années 90 marque donc pour lui la fin de la malédiction. Ces deux films sortent coup sur coup et, particulièrement impressionné par Henry, Martin Scorsese lui offre sur un plateau Mad Dog and Glory qu’il se propose de produire. La fin des emmerdes serait-on tenté de penser alors qu’en réalité, il ne s’agira que d’une parenthèse enchantée.

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