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Le Fléau – Mick Garris

The Stand. 1994

Origine : États-Unis
Genre : Fresque apocalyptique
Réalisation : Mick Garris
Avec : Gary Sinise, Jamey Sheridan, Rob Lowe, Adam Storke…

Panique au labo militaire ! L’un des virus mortels sur lequel travaillait l’armée parvient à s’échapper ! Et plutôt que de boucler le site, le préposé aux fermetures ne trouve rien de mieux à faire que de s’enfuir fissa avec femme, enfant… et virus. D’ores et déjà contaminé, le troufion déserteur sème par conséquent ses microbes sur sa route, laquelle se termine dans les pompes à essence d’une station service de la petite ville d’Arnette, Texas, et dans les bras de Stuart Redman, un autochtone. Illico, l’armée envoie ses troupes s’emparer de Redman et de ses amis pour les boucler dans un centre bactériologique du Vermont. Mais le fléau est déjà en marche et la super-grippe, avec son taux de mortalité à 99%, s’apprête à ravager l’Amérique… Dans ce monde qui s’écroule, quelques individus aux quatre coins du pays demeurent imperméables au virus. Parmi eux le fameux Stuart Redman mais aussi le chanteur à la mode Larry Underwood, le sourd-muet Nick Andros, la jeune femme enceinte Frannie Goldsmith, le taulard Lloyd Henreid, le pyromane “Trash”… Tous ces survivants ont pour point commun d’être sujets à des rêves et des cauchemars particulièrement saisissants. Les premiers leur montrent Mère Abagael, une centenaire jouant de la guitare sur le porche de sa ferme du Nebraska, tandis que les seconds concernent le nettement moins sympathique Randall Flagg dit “l’homme en noir”. La première incarne le camp de Dieu, tandis que le second est l’envoyé du Diable… Pour autant, l’humanité est ce qu’elle est, et certains penchent nettement du côté de Flagg. La grande lutte finale entre le Bien et le Mal est en route !

Mick Garris n’avait au début de sa carrière aucun lien particulier avec Stephen King. Alors comment est-il devenu son ami et adaptateur quasi attitré ? A l’origine de cette entente cordiale, La Nuit déchirée. Un film non adapté de l’auteur mais scénarisé par lui, produit par la Columbia. Le réalisateur initialement prévu partant dans des réécritures n’étant ni aux goûts de King ni à ceux du studio, les deux eurent l’idée de faire appel à Mick Garris sur la foi de son Psychose IV -et de ses agents à Los Angeles, les mêmes que ceux de l’écrivain. Ce fut le point de départ d’une amitié dont le dernier fruit, à l’heure où ces lignes sont écrites, est la mini-série Sac d’os (2011). Dans l’intervalle, Garris aura porté à l’écran Riding the Bullet, Le Fléau, Le Dentier claqueur (une nouvelle qui aboutit à l’une des deux parties du téléfilm Quicksilver Highway), Shining et Désolation. Riding the Bullet excepté, toutes ces adaptations furent destinées au petit écran, souvent sous la forme de mini-séries. Un format privilégié en ce début des années 90 sous l’impulsion du succès du Ça signé Tommy Lee Wallace et particulièrement adapté à certains pavés nés de la plume de King. Et lorsque l’on songe à ceux-ci, Le Fléau est peut-être ce qui se fait de plus volumineux et de plus ambitieux (du moins en un seul volume, car la laborieuse Tour sombre et ses 7 tomes le surpasse). Publié tôt dans la carrière de l’auteur, en 1978, ce roman dépassant allégrement les 1000 pages dans son format original aborde ni plus ni moins que la fin de la civilisation et la lutte biblique qui s’ensuit entre le Bien et le Mal. Pléthore de personnages, de lieux, de visions dantesques, d’intrigues croisées… Impossible à adapter sur grand écran, a priori. Et pourtant, c’est bien sous cette forme que fut d’abord envisagée l’adaptation, qui devait associer Stephen King et George Romero. Creepshow, le film à sketchs qu’ils concoctèrent ensemble, fut d’ailleurs lancé dans le but de récolter des bénéfices devant servir à l’adaptation du Fléau à ce moment attribuée au studio Laurel Entertainement co-fondé par Romero. Toutefois, l’argent est une chose, mais le film en lui-même en est une autre. Quel format donner à un tel pavé ? Warner Bros, un temps sur les rails pour appuyer Laurel, demanda à King un scénario qui tiendrait en deux heures. Impossible ! Quant à Laurel, ils hésitaient entre un film de trois heures et deux films de deux heures. Aucune des propositions scénaristiques de King n’étant jugée viable et le temps passant, Romero (qui était également tombé en froid avec son partenaire de Laurel) prit ses distances avec le projet. Au début des années 90, il devint évident pour tout le monde que seule une mini-série pouvait respecter la volonté de King aussi bien que de ses producteurs. La chaîne ABC débloqua ainsi la situation, quoique cela n’empêcha pas King -toujours scénariste- de revoir encore plusieurs fois sa copie. Ce fut également lui qui imposa définitivement le choix de Mick Garris à la réalisation, là où Laurel et ABC proposaient Brian De Palma (peut-être sur la foi de Carrie). Le temps de procéder au recrutement d’un casting conséquent dont le principal point d’achoppement fut le rôle du principal antagoniste (Robert Duvall, David Bowie, James Woods, Willem Dafoe furent entre autre considérés… et au final nous avons Jamey Sheridan) et voilà la mini-série en quatre épisodes lancées sur les rails, dotée d’un budget conséquent encore que gaspillé par la pré-production. Plutôt bien reçue au moment de sa sortie, sa réputation perdit de sa superbe au fil du temps. Tant et si bien qu’à l’instar de Ça, 30 ans après le premier essai, Le Fléau fut une seconde fois porté à l’écran, toujours sous forme de mini-série… qui n’a pas l’air de prendre davantage le chemin de la postérité.

Roman fleuve, Le Fléau est dans sa première partie un récit typique de fin du monde. L’équivalent littéraire d’un film catastrophe profitant de son format écrit pour gagner en ampleur. C’était là la principale gageure à relever pour King et Garris : savoir montrer la fin de la civilisation de façon crédible, de ses prémices à sa finalité, et surtout en sachant retranscrire l’étendue du désastre. Au passage, la montée du COVID en 2020 donne a posteriori un nouveau regard sur la façon dont les deux pilotes s’y sont pris 30 ans plus tôt en dressant des points de comparaison qui, qu’on le veuille ou non, frappent inévitablement l’esprit du spectateur tant la parenté entre le coronavirus chinois et le “grand voyage” de King est prononcée -taux de mortalité mis à part. Dans les deux cas il s’agit d’une “super-grippe”, dans les deux cas la fulgurance de l’épidémie prend de court les scientifiques à la recherche d’un remède (encore que Le Fléau ne dispose pas de son pourtant théâtral professeur Raoult et de ses bruyantes groupies) et dans les deux cas l’origine du virus est liée à un laboratoire (ce qui reste à démontrer dans la réalité et est avéré dans la fiction). Foncièrement, la mini-série part donc d’un postulat pertinent. Elle ne saurait toutefois apparaître prophétique pour la simple et bonne raison qu’à la différence de la réalité elle s’appuie sur un ressort pour le coup très cinématographique : la quête effrénée des autorités pour endiguer l’épidémie tout en faisant taire ceux qui en sont témoins. Nos propres dirigeants ont globalement été dépassés comme le seront les militaires du Fléau. Mais s’ils ont pu à l’occasion mentir sciemment ou par méconnaissance (le coup des masques et les interventions de Sibeth Ndiaye en France), on ne saurait dire qu’ils aient voulu nier l’épidémie une fois celle-ci déclarée sur leur territoire. C’eut de toute façon été peine perdue. C’est pourtant l’orientation que prend Le Fléau, dont tout le côté militaire paraît superflu : que l’on connaisse ou non le roman de King, il est bien évident que l’on sait dès le départ que l’épidémie va se propager. De là, toutes les scènes avec Ed Harris (le gradé en charge du problème) apparaissent clairement superflues, de même que celles racontant les déboires de Stuart Redman avec les autorités scientifico-militaires qui le séquestrent dans une chambre hermétique (que les plus conspis pourraient toutefois comparer au confinement obligatoire du COVID). Du temps d’antenne qui aurait été bien mieux consacré à faire monter la tension de manière un peu moins convenue, en montrant la réaction des autorités politiques plutôt que militaires et en sortant des seules frontières états-uniennes (le reste du monde est le grand absent du film). Or, Le Fléau ne déborde jamais de son cercle de pontes demeurant dans l’ombre et cherchant à faire taire les voix potentiellement dangereuses pour elles, y compris avec des moyens totalement crétins (fusiller une animatrice radio recueillant des témoignages alors qu’elle est en direct !). Cela a pour conséquence de sévèrement amoindrir la montée et l’ampleur prise par l’épidémie. King et Garris se tirent une balle dans le pied et cèdent à des tendances hollywoodiennes faciles qui leur sont également fort utiles dans le but de la poursuite du récit, qui fera de quelques survivants les éléments centraux de la société post-apocalyptique : il est évident que les quelques individus “témoins” disséminés au quatre coins du pays joueront plus tard un rôle central. A des fins de crédibilité, il aurait été pertinent de se pencher sur le pays dans sa globalité plutôt que de se concentrer sur quelques individus isolés. Tant et si bien que l’épidémie, loin d’être le point important du film, sert surtout à amener ce qui est -hélas- le véritable thème du Fléau : la lutte biblique entre le bien et le mal.

Profondément manichéen, Le Fléau se vautre dans des caractérisations faciles. Jeune femme enceinte, bon bougre un peu rude de l’Amérique profonde, petit vieux très sage, simple d’esprit serviable, handicapé au grand cœur ou encore rock star en quête de rédemption sont ainsi au menu. S’ils ne sonnent pas systématiquement faux (King a le don pour rendre sympathiques ses personnages…), tous sont néanmoins bien trop “gentils” et manquent clairement de profondeur -autant que de charisme. Par conséquent, on préférera ceux qui versent du côté des “méchants”, qui s’ils sont moins nombreux, tout aussi peu charismatiques (plus en raison de l’écriture de leurs personnages que des acteurs) et apparaissent moins souvent à l’écran sont plus à même de verser dans l’ambiguïté. Ouvertement avec deux spécimens qui se sont au début égarés du côté des gentils avant se raviser progressivement, et de façon plus feutrée avec ceux qui petit à petit en viennent à douter de Flagg. Mais dans aucun cas les motivations de ces personnages ne sont développées ou relèvent de psychologies complexes : ils sont essentiellement là pour montrer que le Bien ne peut que triompher du mal, que le pêcheur sera puni à moins de faire sa rédemption avant le “Jugement dernier” qui ici sera la résolution du conflit entre Mère Abagail et Randall Flagg. Bref, en creux, ces personnages qui auraient pu rendre le film plus profond ne sont que les faire-valoir des trop nombreux “bons gars” formant un petit groupe d’élus qui à grand coup de sacrifice feront office de sauveurs à la solde de Dieu. Rien que ça ! Et ce n’est pas tout : sous la houlette de mère Abagael, les chants religieux sont de sortis. Quant à l’administration de leur communauté, une fois celle-ci soudée, la voilà qui se réunit pour débattre en entonnant le “Star and Stripes”. Et ne parlons pas des couples qui se forment et des enfants qui naissent… Dieu, la patrie, la famille. L’American Way of Life dans toute sa splendeur propagandiste et qui perdure au-delà de la catastrophe, épurée de ses éléments les plus “rock and roll”, tous versés dans le camp du mal (Larry Underwood le gentil rockeur tient plus de Michael Bolton que de Sid Vicious). Les symboles ne laissent guère place au doute : là où les affreux se rassemblent à Las Vegas, cité du vice par excellence, les angéliques se donnent pour lieu de rendez-vous cette petite ferme du Nebraska, dans une Amérique profonde très largement idéalisée. Là où la prophétesse Abagael brille par sa bienveillance et sa modestie -allant jusqu’à s’autoflageller lorsqu’elle pense avoir cédé à la vanité-, le satanique Flagg dirige en autocrate, préside à des assemblées façon bamboches nazies à Nuremberg et sa meute se montre prompte aux coups tordus… Si le film ne manque pas de scénario, se muant peu à peu en guerre froide (le personnage le plus intéressant du lot étant d’ailleurs le cinglé pyromane à la solde de Flagg, désireux de balancer une bombe nucléaire), la virulence et la longévité du prêchi-prêcha “born again” empêche de savourer à plein ce qui se serait voulu comme une histoire épique… En considérant que ce téléfilm a eu l’aval de Stephen King (qui y tient même un petit rôle… dans le camp des “justes”), on peut légitimement penser qu’entre cela et son interminable et laborieuse Tour sombre, King n’est décidément pas fait pour ce genre de format au long cours…

Ceci étant, n’allons pas jusqu’à dire que Le Fléau ne dispose d’aucune qualité. Vu sa durée (4 parties et 6 heures au total !), il aurait été difficile d’en venir à bout s’il n’en disposait pas au moins un peu. Certes, elles sont vite noyées par ses défauts, mais il convient toutefois d’admettre qu’elles sont bien là. Si son manichéisme exacerbé, ses personnages convenus et sa frilosité vis à vis de l’épidémie renvoient immédiatement Le Fléau à son statut de téléfilm -et à cette époque, la télévision n’était pas celle qu’elle est actuellement-, il faut reconnaître que globalement, il affiche une fort honorable “production value”. Sous ce terme qui n’a pas vraiment d’équivalent en français, entendons que Mick Garris sait donner à l’ensemble un style qui entérine le fait que lui-même, ainsi que King et leurs producteurs, ambitionnaient bien de donner à leur adaptation une ampleur compatible avec l’objectif de se parer d’une tonalité épique. Ainsi, ils ne rechignent pas à insuffler du mouvement à leur narration. Les États-Unis sont traversés en long, en large et en travers au gré des déplacements des personnages : la campagne, la ville, les autoroutes, le désert, la montagne, et tout cela dans différentes saisons. A ce titre Le Fléau s’apparente quelque peu à un road movie apocalyptique et post-apocalyptique. Quelques scènes fugaces viennent même rappeler la gravité de la situation : c’est le cas notamment de la traversée du tunnel Lincoln, à New York, véritable tombeau pour les automobilistes morts en tentant de fuir la ville et l’épidémie. C’est aussi le cas pour la sortie de Stuart Redman de son hôpital militaire, sens dessus dessous et avec des cadavres partout. C’est enfin le cas pour les patelins désertés dans lesquels la moindre activité humaine entraîne la suspicion sur la nature du personnage qui va se montrer… En réalité, dès que Garris montre les traces de l’épidémie foudroyante qui a décimé le pays, il sait attirer l’attention… et susciter des regrets sur ce qui n’a pas été fait. Pas étonnant qu’un George Romero aurait été intéressé par la réalisation du Fléau : non seulement il n’avait plus à prouver son sens de la mise en scène lorsque l’humanité est au bord du gouffre (l’entame de Zombie et la frénésie du studio télé demeure un des meilleurs moments du film), mais en plus il aurait pu trouver là du grain à moudre en s’attardant sur la nature humaine lorsque la situation est critique, et sur la gabegie politique qui l’accompagnerait. Le fond aurait été bien moins téléfilmesque, mais également moins fidèle au roman de King, qui lui aussi souffre grosso modo des mêmes tares que son adaptation par Garris. N’empêche qu’il aurait néanmoins été meilleur. Le Fléau, tel qu’il est dans sa version 1994, n’est pas une catastrophe. Il brille en réalité par sa fadeur, empêtré qu’il est dans le très imparfait roman de King et des conventions télévisuelles du moment. Comme quoi, si le format mini-série était à l’époque le plus adapté, il ne représentait pas non plus la panacée… Car dans le fond, pour un Ça (à peu près) réussi, entre ce Fléau frustrant et ces autres insipidités que sont Les Tommyknockers, Les Langoliers, voire Shining, le bilan global de cette époque n’est guère reluisant…

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