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Le Joyeux bandit – Rouben Mamoulian

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The Gay Desperado. 1936

Origine : Etats-Unis 
Genre : Mix de genres 
Réalisation : Rouben Mamoulian 
Avec : Nino Martini, Ida Lupino, Leo Carrillo, Harold Huber…

Années 30, extérieur, nuit. Dans une artère importante d’une ville américaine (Chicago ?) deux voitures se poursuivent à grande vitesse et se canardent. Un type sous un porche se fait mitrailler. Dans l’une des voitures, trois gangsters menacent un homme et lui intiment l’ordre de parler. Il n’a pas le temps de le faire qu’ils le tuent à coups de revolver et se débarrassent de son corps en le jetant sur le pavé.
Travelling arrière. Tandis que les voitures continuent leur course folle, on découvre qu’il s’agit en fait d’un film projeté dans un cinéma mexicain. Dans la salle, le public est très varié et chacun réagit à sa façon à la violence montrée à l’écran : peur, indifférence, exaltation, écœurement, attention soutenue… Alors qu’une mitrailleuse apparait en gros-plan et se met à tirer sur la foule, un homme se lève, enthousiaste, et applaudit en approuvant bruyamment ce forfait de plus commis sur pellicule par les “Americanos”. Cet homme, c’est Pablo Braganza, le célèbre bandit mexicain. Un “bandido” qui a emmené ses troupes au cinéma pour y admirer le savoir-faire des gangs américains et s’en inspirer pour leurs actions futures. Lorsque quelqu’un lui dit de se taire, une bagarre générale éclate, les coups pleuvent et les chaises volent.
Pour ramener le calme, le directeur envoie Chivo sur la scène et celui-ci entame un chant lyrique avec cœur et passion. Les coups cessent, les esprits se calment, chacun écoute puis tout le monde se dirige tranquillement vers la sortie. Braganza, très ému par ce qu’il vient d’entendre, fait enlever Chivo et décide de l’engager dans sa bande, de gré ou de force.

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Il ne s’agit là que du début du film et, on le voit, son contenu est déjà très dense et le rythme soutenu. Une belle mise en abime, d’abord, pour nous mettre l’eau à la bouche, avec ce film dans le film et ce décalage entre les personnages montrés, ces gangsters américains à costumes et chapeau tout droit sortis du Scarface d’Howard Hawks, et les Mexicains, souvent dépenaillés et sombrero sur la tête. Ensuite, un premier aspect comique avec cette naïveté de Braganza qui voit le film comme un enfant, au premier degré, le prenant pour un modèle à suivre, un cours de gangstérisme sur écran géant, au point qu’il prendrait presque des notes, s’il savait écrire ; la bagarre est aussi un bon prétexte pour permettre l’entrée en scène de Chivo, qui pousse la chansonnette pour ramener le calme. Interprété par Nino Martini, un authentique ténor italien, sa voix assure la crédibilité du personnage et rend compréhensible l’émotion éprouvée par Braganza. Enfin, son enlèvement et son enrôlement de force parmi les despérados, puis sa relation avec Braganza, faite d’intimidation d’abord puis de respect mutuel, place les personnages et les installe dans un jeu relationnel intéressant et souvent amusant. Le bandit apprécie l’artiste qui apprécie le bandit. Chacun manipule un peu l’autre dans le sens qui l’arrange. Et la musique réunit ces deux êtres que tout séparait, a priori ; la sensibilité et l’émotion aussi.

Vu comme ça, et vu le titre original – The Gay Desperado-, on pourrait penser qu’il s’agit d’une romance entre deux hommes et que l’on va aller faire un tour du côté des Brokeback Mountains mexicaines, avec quelques décennies d’avance sur le film d’Ang Lee. Il n’en est rien. Comme l’indique mieux le titre français : Le Joyeux bandit, il s’agit plus de repeindre le petit monde du film noir, du film de gangsters, où les problèmes se résolvent d’habitude à grands coups de revolver, à l’aide de couleurs vives et claires et d’adoucir ce petit univers brutal à l’aide d’une palette d’émotions riche et fournie. Qui plus est, pas sûr qu’en 1936, le terme “gay” avait déjà le sens qu’il a aujourd’hui.
D’ailleurs, Braganza ne tombe pas amoureux de Chivo mais de sa musique. Et Chivo ne tombe pas amoureux de Braganza mais de Jane. Jane ? Oui, Jane, compagne et future épouse de Bill Shay, riche héritier fuyant son père pour épouser sa belle au Mexique et tombé malencontreusement dans les pattes des brigands.

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The Gay Desperado est loin d’être le film le plus connu de Rouben Mamoulian, lui-même relativement resté dans l’ombre (on lui connaît surtout Docteur Jekyll et Mister Hyde ou Le Signe de Zorro) mais il gagnerait à l’être plus de par sa propension à faire éclore une joie toute communicative et à donner le sourire aux lèvres. On passe du film noir (poursuites en voitures, en motos) au western (chevauchées dans les champs de cactus) en passant par la comédie pure (la déclaration d’amour de Chivo à Jane, qui finit en pugilat), la romance (les deux mêmes, après quelques épreuves), sans oublier, bien sûr, la comédie musicale (même s’il s’agit, ici, de chansons intégrées dans l’histoire et supports de celle-ci et non de passages chantés de l’action, quelque chose que j’abomine en règle générale), un mélange qui pourrait être particulièrement indigeste s’il n’était aussi bien dosé et si les valeurs mises en avant par les personnages ne formaient un tout aussi harmonieux.

Car tous ces despérados, leur “Jefe” en tête, sont des bandits au grand cœur, des hommes d’honneur qui savent tenir une parole et qui placent l’amour sur un piédestal (la preuve : Braganza a déjà été marié 11 fois !). Les chansons de Chivo sont un révélateur de leur sensibilité et de leur émotion, une chose que tout un chacun, spectateur en tête, peut évidemment partager. Comme Braganza au début, devant le film de gangsters, on peut se surprendre à vivre le film plus qu’à le regarder, et comme Chivo, un peu réticent au départ, on est très heureux d’avoir rejoint cette troupe dépareillée de bandits mexicains. Pour un peu, on pousserait presque la chansonnette, à l’image de ce policier auquel Chivo est menotté et qui se laisse entraîner par le souffle lyrique d’un air tiré d’Aïda.

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