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L’Exploit de l’éclaireur – Boris Barnet

exploiteclaireur

Подвиг разведчика. 1947

Origine : U.R.S.S. 
Genre : Espionnage 
Réalisation : Boris Barnet 
Avec : Pavel Kadochnikov, Sergei Martinson, Amvrosi Buchma, Boris Barnet…

Avant toute chose, commençons par le sujet qui fâche : voilà un film soviétique se déroulant pendant la Grande Guerre Patriotique, produit qui plus est à l’époque de Staline. Le nom du diable personnifié est lâché, les ardents défenseurs de la liberté de licencier peuvent écumer de rage et jouer au enchères sur le nombre de morts imputables au Petit Père des Peuples. Qu’ils se rassurent : bien que le film se déroule pendant la guerre, il n’est pas ici question de glorifier la lutte acharnée des soviétiques face à l’envahisseur nazi, mais tout bêtement d’un film d’espionnage, comme il en existe aussi en occident.

Militaire soviétique pendant la seconde guerre mondiale, Aleksei Fedotov (Pavel Kadochnikov) est envoyé en mission d’infiltration dans l’Ukraine occupée avec pour objectif d’obtenir des informations auprès du général Kuhn (Boris Barnet, le réalisateur lui-même), émissaire d’un des membres de la garde rapprochée d’Hitler. Doté d’un passeport en règle, il revêt l’identité d’un industriel désireux de s’associer à la maison Pommel, célèbre famille marchande dont le fils Willi (Sergei Martinson) est sous les ordres de Kuhn. La mission de Fedotov, renommé Ekhert, sera d’autant plus risquée que de leur côté, les allemands ont également leur propre espion, un traître ukrainien chargé d’infiltrer la résistance bolchévique et donc les contacts de Fedotov.

Si propagande il y a, celle-ci se montre extrêmement discrète. Bien sûr, le camp soviétique se montre bien plus humain que le camp allemand, mais il faudrait être sacrément tordu pour reprocher à l’un des destructeurs du nazisme, tout communiste soit-il, de s’offrir le beau rôle à l’écran et de dédier le film à la mémoire des “éclaireurs” morts pendant la guerre. En revanche, le fait que l’espion allemand soit un nationaliste ukrainien (refusant d’écouter de la musique russe sous prétexte que “Moscou a sa musique, nous avons la nôtre”) pourra faire grincer quelques dents aux plus acharnés bolchevophobes, qui ne manqueront pas de mettre en avant la soit-disante aversion de Staline pour l’Ukraine , oubliant au passage que le film présente plusieurs résistants ukrainiens.

Mais trêve de polémique, là n’est pas le sujet du film. Réalisé par le chevronné Boris Barnet, L’Exploit de l’éclaireur n’est bien évidemment pas comparable aux James Bond, pas même à Bons baisers de Russie, le plus sérieux d’entre eux. Fedotov / Ekhert ne se donne pas en spectacle, ne réussit pas des coups d’éclats à tour de bras. Les allemands qu’il affronte n’ont rien d’exceptionnel. La tâche de l’espion soviétique consiste justement à ne pas éveiller leurs soupçons. Symbole de sa mission d’infiltration, une large partie du film se déroule de nuit, ce qui permet non seulement à Fedotov de se planquer dans les recoins sombres de la ville pour contacter la résistance, mais aussi à Barnet de générer cet esprit de mystère et de suspense propre aux films d’espionnage, encore renforcé par l’esthétique même de la ville, très vieillotte, presque gothique. Les allemands arpentent les rues, et la mission de Fedotov n’en est que plus dangereuse. Il est constamment sur la brèche, et le danger peut survenir n’importe quand, notamment lorsqu’un prisonnier allemand autrefois détenu à Moscou le reconnaît dans la rue. Ce genre de risques, le récit en regorge. L’Exploit de l’éclaireur est plein de mots de passe, de rencontres anonymes, de rendez-vous secrets, de personnages doubles… Sa force est aussi de savoir pimenter son intérêt en isolant petit à petit Fedotov de ses contacts, victimes de l’espion nazi. Ainsi, le spectateur dispose constamment d’un temps d’avance sur le personnage principal. Il sait que la route de celui-ci l’amènera forcément à rencontrer le faux partisan après avoir été dérouté par ses manœuvres. La recette du suspense n’a rien d’original, mais devant la densité avec laquelle Barnet traite son sujet (la résistance apparaît comme une véritable toile d’araignée, très fragile) le résultat est saisissant. Cette mission d’espionnage consiste en fait pour Fedotov à s’immiscer dans la hiérarchie allemande, en commençant par nouer des liens avec le vieil industriel Pommel pour terminer après maints obstacles auprès du général Kuhn par l’entremise du fils Pommel, dindon de la farce que Fedotov ne manque pas de tourner en ridicule. Cette touche d’humour osée sera le seul élément à venir perturber le réalisme de l’ensemble en donnant des allures “james-bondiennes” au personnage principal. Autrement, pas ou peu de sentimentalisme (seul le départ à la guerre en utilise, dans l’introduction), pas d’armes à feu, pas de chichis. Barnet préfère donner dans le réalisme froid. Le héros, dépourvu d’artifices autres que sa capacité à assimiler les tactiques ennemies, n’en apparaît que comme plus héroïque. Ce qui joua certainement beaucoup dans le chaleureux accueil (mérité) réservé par la jeunesse soviétique.

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