CinémaDrame

Europa – Lars von Trier

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Europa. 1991

Origine : Danemark / Suède / France / Allemagne / Suisse 
Genre : Drame 
Réalisation : Lars Von Trier 
Avec : Jean-Marc Barr, Barbara Sukowa, Udo Kier, Ernst-Hugo Järegård…

En Octobre 1946, Leopold Kessler, un américain, arrive dans une Allemagne en ruines pour y commencer un stage de contrôleur de train, désirant participer modestement à la reconstruction du pays. Ayant sympathisé avec une famille de riches industriels au passé trouble, il se retrouvera pris au milieu du chaos qui règne dans un pays où l’occupation américaine se fait envahissante et où le nazisme n’a pas totalement été érradiqué, comme en atteste la présence des “loups-garous”, c’est-à-dire des terroristes nostalgiques du IIIème Reich.

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Concu comme le dernier film d’une trilogie dédiée à l’Europe, Europa marque en quelque sorte le passage définitif de Lars Von Trier du statut de modeste cinéaste danois à celui de nouvel espoir d’un cinéma européen résolument différent de son homologue américain. Co-production entre plusieurs pays, Europa, primé à Cannes (nomination à la Palme d’Or, prix du jury, prix de la technique, prix de la meilleure contribution artistique), est en effet très bizarre, et s’il est effectivement fort différent des productions classiques, il est également tout autant éloigné du dogme, que ce cher Lars Von Trier imposera quelques années plus tard. Le film est en noir et blanc, mais pas d’un noir et blanc classique : le noir domine largement, et le blanc se fait plutôt d’un gris très morne, très travaillé. L’image est très propre, très lisse, les contours des personnages et des décors ressortent particulièrement bien, donnant au film une patine étrange, à la fois fort moderne (on croierait parfois à du numérique) et digne des films expressionistes. Le chaos de l’Allemagne d’après-guerre est ainsi très bien rendu, et le pays semble effectivement s’être arrêté sur l’enfer, comme le suggèrent également la symbolique recurrente du train qui fait des tours et des détours pour finalement tourner en rond, ou encore la voix off de Max Von Sydow, qui cherche complètement à hypnotiser son spectateur (le film s’ouvre ainsi sur un plan de rails qui défilent, tandis qu’un décompte s’opère, au terme duquel nous serons arrivé en “Europa”). Von Trier se permet également de faire intervenir de la couleur, elle aussi assez surréaliste, donnant un peu l’impression d’avoir affaire à des séquences colorisées a posteriori, mais cependant beaucoup moins pertinentes, puisqu’elles ne servent en gros qu’à faire ressortir les moments clefs.

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Il ne faudrait cependant pas croire que Europa n’est qu’un film de technicien : Von Trier, en représentant de l’Europe, s’attache en effet à nous dépeindre cette Allemagne d’immédiate après-guerre qu’avait si bien su rendre Roberto Rosselini avec Allemagne année zéro (1949). Nous sommes en zone d’occupation américaine, et le pays dévasté n’est encore pas sujet à la reconstruction, mais au contraire les occupants s’evertuent à détruire les derniers vestiges de la vieille Allemagne. Les usines pouvant servir au réarmement sont détruites, et les collaborateurs du régime nazi sont impitoyablement traqués. Au cours d’un de ses voyages en train, Kessler pourra ainsi voir quelques “loups-garous” pendus sur le bord de la voie, avec un panneau infamant accroché à leurs dépouilles. Il sera la plupart du temps un acteur passif des évènements, et le spectateur sera amené à s’identifier à lui à travers la voix off, qui s’adresse non pas au spectateur en lui racontant ce que ressent le personnage, mais en employant le pronom “vous” pour le plonger véritablement au coeur du film. Car malgé lui, Kessler se retrouvera pris au piège d’une famille pour le moins ambiguë : des industriels du transport férrovière, enrichis par le transport des juifs vers les camps d’extermination, et pourtant, avant-guerre, amis d’un général américain qui continue a avoir besoin d’eux pour la futur reconstruction du pays et pour le transport de soldats. Une famille composée d’un frère antinazi, d’une fille loup-garou repentie et d’un père humilié par l’aumone que lui accorde les américains et par les lettres de menaces que lui adresse les loups-garous. La situation est complexe, et Kessler sera manipulé par plusieurs groupes d’intérêt, le faisant à la fois agir comme un terroriste, comme un agent américain ou comme un contre espion. La situation est à l’image du pays : infernale, incontrôlable, et plongera tout droit Kessler vers la folie.
En filigrane derrière cette situation très noire, Von Trier cherchera à montrer la situation paradoxale d’une Allemagne qui ne peut s’extirper du nazisme par la faute même de ceux qui ont contribué à libérer le pays. L’occupation et la désolation sociale qu’elle laisse s’installer apparaissent ainsi comme une véritable colonisation, comme le prolongement de l’état de guerre : il n’y a pas d’égards pour le peuple allemand, celui-ci a perdu sa liberté, son identité, et les loups-garous voient là l’occasion rêvée pour se livrer à des actes terroristes, concrétisations d’un sursaut d’une nation qui ne veut pas disparaître ni plier sous la botte de l’occupant. Pour eux, c’est presque comme si la guerre redémarrait dans le sens inverse (là aussi apparaît la symbolique du temps tournant en rond) : l’Allemagne se fait envahir, et les nazis apparaissent comme les résistants. Von Trier bien entendu ne prend pas parti : il se borne à refléter le chaos d’un pays détruit, ravagé, perdu entre les derniers soubressauts nationalistes nazis et le prix de la défaite militaire. Le réalisateur adresse même même une pique à la Scandinavie, qui a majoritairement produit le film, en montrant un homme réquisitionner le chauffage d’un train à titre de dédomagement pour la Scandinavie. Les vraies victimes de cette situation sont bien entendus les allemands en temps qu’individus, qui ont à subir une situation qui rend véritablement fou le personnage principal.
Europa est un film très noir, sans une once d’espoir, et si son esthétisme un peu trop travaillé pourra parfois lui donner un certain côté prétentieux, il n’en demeure pas moins que son sujet est intelligent, très original et qu’il est à des coudées au dessus de ce que Von Trier produisit par la suite.

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