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Allemagne année zéro – Roberto Rosselini

 

allemagneanneezero

Germania anno zero. 1949

Origine : Italie 
Genre : Drame 
Réalisation : Roberto Rossellini 
Avec : Edmund Moeschke, Ingetraud Hinze, Franz-Otto Krüger, Ernst Pittschau…

Dans le Berlin de l’immédiate après-guerre (la deuxième), Edmund est un gamin de 13 ans dont la famille est, comme nombre d’autres familles, dans l’impasse. Son père est mourant et son frère, ancien membre de la Wehrmacht qui s’est battu jusqu’au bout, refuse de se livrer aux autorités, et de ce fait ne peux avoir le droit à un quelconque rationnement. Edmund erre dans les rues, se débrouillant pour apporter de l’aide à sa famille. Et les relations qu’il se fait ne sont pas forcément recommandables…

Une fiction, certes, mais une fiction qui dépeint une réalité tangible, qui constituait à n’en pas douter le quotidien du peuple berlinois, et allemand en général. Et même au-delà : c’est la période de l’après-seconde guerre mondiale qui nous est présentée, mais on peut aisément imaginer que chaque après-guerre, quel que soit le pays, est du même calibre.
Le premier enjeu du film est clair : livrer un constat sur la vie à cette époque. A cet égard, Rossellini nous décrit tout d’abord l’aspect général de Berlin. Les premières images du film sont celles de la ville en ruines, désolée, sans activités humaines. Puis l’on passe dans “l’appartement” de la famille d’Edmund, le gamin. En fait d’appartement, il s’agit d’un immeuble dans lequel ont été placé d’office plusieurs familles, au grand dam du propriétaire des lieux, carrément hostile. La consommation de gaz, d’eau, d’électricité y est rationnée, et les familles se regardent d’un mauvais œil pour savoir qui pratique des abus qui vont probablement mener purement et simplement à la coupure d’électricité et d’eau chaude. Toujours sur le plan quotidien, la pénurie de nourriture est également évidente : les patates sont les denrées les plus courantes, et le tout est rationné. Certainement pas évident pour la famille d’Edmund, avec un père mourant, un fils planqué, un autre qui n’est pas en âge de travailler, et une fille… qui reste une fille, au foyer, comme le voulaient les usages d’alors. Bref la nourriture vaut cher, de même que les cigarettes. C’est Edmund qui se charge de tout cela. Car la description de la vie de cette époque aborde aussi les moyens de survie.

Des moyens véritablement désespérés, conduisant à des comportements immoraux. Ainsi, les dernières solutions consistent à avoir recours à des actes comme le vol ou la prostitution (bien que jamais ouvertement présentée, cette dernière est omniprésente, essentiellement parmi les femmes dont le mari est mort ou prisonnier). Et bien entendu, la jeunesse, livrée à elle-même dans la rue, est la première à faire face à ce phénomène. Les jeunes s’entraînent les uns les autres vers les bas-fonds, vers le banditisme, où sexe, argent et violence constituent le quotidien. Edmund en sera le plus bel exemple. Il est le personnage central du film, et il symbolise à lui seul tout l’état de cette société détruite, où les valeurs n’existent plus et où la nécessité de survivre prend le pas, souvent dans la sauvagerie, sur l’entraide mutuelle. Tout d’abord, Edmund va tenter de travailler, mais il va vite se faire repérer : il n’a pas l’âge, et se fait donc renvoyer. Il va aussi être amené à traîner avec les jeunes de la rue, qui vont tenter de l’entraîner avec eux dans la débauche. Enfin, il va rencontrer son ancien professeur. Comme probablement toute une frange de l’Allemagne d’alors (voir également dans le très bon quoiqu’un peu chiant Europa de Lars Von Trier), c’est un nostalgique de l’avant-guerre, du IIIème Reich. C’est un des résistants actifs de l’empire hitlérien. Sous couvert des plus bonnes intentions, s’appuyant sur la nouvelle société brisée sous le contrôle des alliés, et s’appuyant sur la nécessité de survie d’Edmund (sur lequel la famille dépend en grand partie), il va entraîner le jeune garçon vers des extrémités. D’abord, diffuser en public un discours d’Hitler, moyennant finance. Et puis il va également lui faire part de sa vision de la société. A Edmund, lui parlant de son père malade, qui se considère comme un boulet pour sa famille, il va répondre qu’il est normal que le père meurt, que cela serait un bien pour lui et sa famille, et que de toute façon, les faibles doivent laisser leur place aux forts. Ce qu’Edmund, étant un gamin encore influençable, va prendre au pied de la lettre. Le reste du film plongera le garçon et sa famille dans des abimes de noirceur, au moins aussi durs que la période de guerre. Une noirceur rarement vue au cinéma, dont le réalisme ici totalement cru est typique de certains réalisateurs italiens (on pense un peu à Pasolini, dans un registre légèrement différent).

Mettant en scène un pessimisme des plus noirs, Rossellini ne vise pourtant pas qu’à décrire le chaos social, moral et politique régnant dans l’Allemagne d’après-guerre. Comme le dit le carton au début du film, les actes décrits, la finalité de la vie d’Edmund ne doivent pas servir à fossoyer le moral du public d’alors (car ce qui est désormais un film historique était alors un film social), mais bien à faire réapprendre aux gens, aux jeunes, à aimer de nouveau la vie. Son film a montré l’histoire d’une famille et d’un gamin touchant le fond, en appuyant sur toutes les dérives qui ont conduit à cette situation. Maintenant que ces dérives sont connues, que le spectateur en est conscient, et maintenant qu’il a vu à quoi elles pouvaient mener, il va pouvoir chercher à les éviter, et à ré-apprendre à vivre.

Un chef d’œuvre, unique de par sa vision emprunte de (néo-)réalisme. Chaque plan montre un nouvel aspect de la vie de l’époque, une vie où la misère domine. Loin de condamner ou d’encenser le peuple allemand, le film se concentre sur l’humanisme, qui ne doit jamais être oublié, qu’elle qu’aient pu être les raisons de la désolation. Un message qui peut certes paraître simpliste, mais que le spectateur est amené à découvrir lui-même à l’aide de ce qu’il a sous les yeux (d’où l’aspect “documentaire”). De ce fait, on ne peut taxer Rossellini de niaiserie béate. Sa morale s’appuie sur un scénario tout ce qu’il y a de plus tragiquement réaliste. Sur la vie quotidienne. Plus qu’un film sur l’Allemagne d’après-guerre, Allemagne année zéro est un film sur la vie dans les sociétés dévastées par la guerre, un film au réalisme dérangeant.

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