CinémaFantastique

Darkman – Sam Raimi

darkman

Darkman. 1990

Origine : États-Unis 
Genre : Simili super-héros 
Réalisation : Sam Raimi 
Avec : Liam Neeson, Frances McDormand, Larry Drake, Colin Friels…

Sam Raimi a une culture bien définie. Comics, cartoons, pulps, films et romans noirs, tout ceci se retrouve à des degrés divers dans ses premiers films, les deux Evil Dead et Mort sur le grill. Il était donc logique qu’il cherche un jour ou un autre à réaliser un film de super-héros dans la lignée du comic Batman ou de The Shadow, deux héros imprégnés de la marque des récits policiers qu’il essaya de transposer au cinéma, sans succès. N’obtenant pas les droits de ces oeuvres, il décida donc de créer son propre (anti-)super-héros, conçu comme un amalgame de ses influences. Un projet ambitieux si il en est, qu’il ne put mener à bien avec son vieux complice de producteur Robert Tapert qu’avec l’aide de la Universal, et au terme d’un développement de trois ans. Entre-temps, le script présenté à l’origine par Raimi au studio dût passer par un certain nombre d’évolutions avant de devenir un scénario définitif. Au final, Sam Raimi fut donc aidé de Tapert, de son frère Ivan, d’un ancien de l’US Navy, des frères Goldin et bien entendu de l’Universal elle-même. Mais cette profusion d’associés ne gêna pas trop le réalisateur, qui pesta plutôt contre l’obligation de revoir son montage suite à des projections-tests décevantes. C’était là sa première incursion dans le système hollywoodien, et visiblement, cela ne l’a pas découragé d’y réaliser d’autres films de super-héros (encore que les Spider-Man aient été produits par la Columbia).

Scientifique plein de promesses, Peyton Westlake (Liam Neeson) est à deux doigts d’inventer la reconstitution synthétique de tissus endommagés. Une photo suffit à son scanner pour recomposer une main, un nez, un visage… Le seul hic est que ces tissus artificiels se mettent à fondre au bout d’une heure. Peyton compte bien solutionner ce problème prochainement. Hélas pour lui, il n’en aura pas le temps. Ayant pénétrés chez lui pour récupérer un document compromettant déniché par la copine de Peyton, avocate de profession, des mafieux le prennent à parti, le torturent et le laissent pour mort dans l’explosion de l’appartement. Il n’en est rien. Éjecté au loin par la déflagration, Peyton a survécu. Défiguré, il est retrouvé par des médecins qui s’empressent de le considérer comme un sans-abris, et qui à des fins d’expérimentations suppriment toute sa sensibilité nerveuse, avec pour conséquence d’accroître démesurément sa sensibilité émotionnelle. Ainsi, lorsque Peyton parvient à s’échapper de la clinique, il est rongé par la colère et utilise sa technique de reconstitution des tissus pour devenir le Darkman et se venger des mafieux.

L’ennui avec les films hautement référentiels, c’est qu’il y a un risque pour qu’ils finissent par devenir des mosaïques partant dans tous les sens, devenant alors des amas plus ou moins disgracieux dans lesquels l’hommage se transforme en catalogue au détriment de toute forme de narration. Dans le pire des cas, nous obtenons des parodies faciles (Scary Movie) ou bien des films qui tentent de faire du neuf avec du vieux tout en se voulant respectueux, mettant le plus souvent en exergue un manque d’imagination couvert par un pseudo hommage (cf. la renaissance du cinéma d’horreur français des années 2000). Cela peut aussi donner des résultats très “poudre-aux-yeux”, appréciés sur le coup mais en fin de compte vite oubliés. Le meilleur exemple en est le cinéma de Quentin Tarantino, principalement Pulp Fiction et Kill Bill. Enfin, il y a des gens comme Joe Dante, qui tout en truffant leurs films de références plus ou moins discrètes arrivent à pondre des chefs d’œuvre en sachant se créer des thématiques personnelles au travers de reprises gérées en fonction de leur apport de forme ou de fond. Quant à Darkman, disons qu’il se situe quelque part entre la catégorie “Tarantino” et la catégorie “Dante”. Si le film repose incontestablement sur un scénario apte à lui faire dépasser le simple rang du film d’action, il ne présente pourtant rien de révolutionnaire, Raimi se contentant en gros de thématiques traditionnelles associées aux super-héros ou autres créatures porteuses. Ainsi, la destinée du Darkman est celle du Shadow et de nombreuses autres créatures pleines de pathos.

L’histoire de ce beau petit couple dont la vie est brisée par des crapules sans nom est un drame au moins aussi fréquent que celui de l’homme assoiffé de vengeance ou que celui du monstre complexé vis-à-vis de sa promise par sa nature monstrueuse. Tout ceci a été mille fois vu et revu. Cependant, on ne peut nier que Raimi inscrit ces clichés dans une progression psychologique naturelle chez le personnage de Peyton / Darkman. Cette évolution se fait de façon assez subtile, sans diviser le film en compartiments bien délimités et en conservant du début à la fin une homogénéité scénaristique reposant sur l’habile mélange des sentiments du personnage principal, qui ne cesse jamais d’être à la fois un vengeur, un monstre et un homme normal. Tout est en fait question de dominance, et il est par exemple difficile de ne pas voir que derrière la colère de Darkman se cache aussi le désespoir de ne pas pouvoir revenir à sa vie “d’avant”, et inversement. Les meilleures scènes à ce sujet sont sans aucun doute celles dans lesquelles un Darkman dissimulé sous la peau synthétique de Peyton tente de faire revivre son couple, chose qui est totalement impossible tant que l’ex scientifique n’aura pas trouvé le moyen de prolonger la durée de vie de son “masque”. Cela donne un héros psychologiquement assez riche, schizophrène, et dont les sentiments sont brillamment illustrés par la musique de Danny Elfman, pour lequel Darkman semble être une répétition générale avant Batman Returns… Tout comme il est un avant-goût de Spider-Man pour Sam Raimi. A ceci près que si Elfman surpassa sa performance dans le film de Burton (meilleur film de super-héros à ce jour, m’est avis), Raimi ne parviendra pas à retrouver le niveau qui est le sien ici, la faute en gros à un scénario bien plus centré sur les préoccupations adolescentes que sur l’évocation des thèmes gothico-tragiques héritées aussi bien de The Shadow que du Fantôme de l’Opéra, les deux principales influences pour le personnage de Darkman. Le film dont nous parlons ici se révèle beaucoup plus adulte, et ce n’est pas uniquement valable pour son principal protagoniste.

Car outre son personnage, Darkman est aussi et surtout un film profondément évocateur de cette époque un peu surannée qu’est celle de la création des super-héros et des pulps. On y décèle que très peu cette volonté de plaire au sein d’une époque en particulier qui est par exemple caractéristique de quasi tous les films de super-héros produits à la suite de X-Men et de Spider-Man. On y retrouve plutôt un style profondément naïf, caractéristique des “raccourcis” pris par les auteurs des années 30. Tout s’enchaîne extrêmement rapidement, et Raimi n’a aucune honte à jouer sur certains points totalement irréalistes, à commencer par la fameuse invention de Peyton. Le coup du masque organique qui fond au bout d’une heure est un prétexte digne des serials, lorsque tout était bon pour faire naître le suspense. Le passage éclair de Peyton dans la clinique où il est désensibilisé ne vaut guère mieux. Même remarque concernant la plupart des scènes d’action, que ce soit pour le coup de l’hélicoptère trimballant Darkman au dessus du vide ou le combat final sur la structure métallique d’un gratte-ciel en construction. Les personnages secondaires y participent aussi : principal ennemi de Darkman, Durant (Larry Drake) est un mafieux caricatural à la gueule carrée. Le politicien véreux est un blanc-bec séducteur, et la copine de Peyton est une blonde vaporeuse. Ce ne sont pas tant ces clichés en eux-mêmes qui ramènent le film aux serials, mais plutôt le second degré qui reste toujours présent et qui sans être forcément très drôle (voire parfois lourd) montre que Raimi a voulu garder une certaine distance le séparant d’une intrigue qu’il sait pleine de facilités.

Ainsi, même dans ses moments les plus tragiques, le Darkman n’en appelle jamais vraiment au pathos grec, ni même au gothique de Mary Shelley. Il reste avant tout un film empreint de culture “pop”, et plusieurs éléments purement visuels le confirment, notamment la mise en scène de Raimi, très connotée “BD”. Les décadrages, les zooms, les arrières-plans psychédéliques (probablement conçus sur fond vert), tout cela ne fait qu’inscrire les différents sentiments dans un processus d’exagération propres aux comics. C’est aussi “gros” que la désensibilisation nerveuse de Peyton et l’accroissement de sa sensibilité émotionnelle. Le cadre du film, cette vaste citée cosmopolite, fait quant à elle songer aux Etats-Unis des années 30, sans aller aussi loin que ne le faisait Mort sur le grill, et le laboratoire du Darkman est typique de celui des savants fou, plein de gadgets fantasques. Le fond et la forme du film sont pleinement complémentaires, et Darkman est indéniablement une réussite. Ce n’est qu’un film hommage, une resucée de thèmes et de visuels traditionnels, mais Raimi parvient à tout lier avec talent, évitant l’aspect mosaïque évoqué au tout début de ce texte. Un film modeste mais solide.

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