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Evil Dead – Sam Raimi

evildead

The Evil Dead. 1981

Origine : États-Unis
Genre : Horreur
Réalisation : Sam Raimi
Avec : Bruce Campbell, Betsy Baker, Hal Delrich, Ellen Sandweiss…

Comme beaucoup de premiers films réalisés à cette époque où tout le monde n’avait pas la chance de disposer d’une caméra prête à l’emploi, Evil Dead s’est fait dans la douleur pour son réalisateur, Sam Raimi, qui abandonna ses études pour se consacrer à son premier-long métrage. Financé avec les moyens du bord (budget total : environ 350 000 dollars), plaçant ses amis devant la caméra aussi bien que derrière, Raimi dut étaler son tournage sur quatre longues années. De la secousse, les acteurs s’en allèrent pour revenir, parfois remplacés par des gens de bonne volonté prêts à remplacer leurs collègues défaillants au pied levé, sous couvert d’un épais maquillage, d’un cadrage adéquat ou autres subterfuges. Raimi, son producteur Robert Tappert et son acteur principal Bruce Campbell, durent ainsi mettre la main à la pâte, se sacrifiant pour les besoins d’un tournage très éprouvant, entre les hectolitres de sang versés, les lentilles de contact douloureuses à s’en arracher les yeux et les risques pris pour des raisons techniques. La conception de Evil Dead ne relève ainsi ni plus ni moins que du système D. Malgré l’évident mérite des concepteurs, il n’était guère évident dans ces conditions de donner vie à un chef d’œuvre. Les approximations techniques sont notables, les effets spéciaux sont parfois criant d’amateurisme, quant au scénario, dérivé d’un précédent court-métrage de Raimi nommé Within the Woods, il ne brille pas par sa cohérence. Sa simplicité se montre entachée de divers trous dus à la fois à des effets impossibles à concevoir et à une volonté de ne pas se compliquer la vie encore davantage. Difficile d’expliquer comment le démon parvient à prendre possession des amis du pauvre Ash (Bruce Campbell), partis passer du bon temps dans une cabane perdue au fond des bois. La bête immonde (que l’on ne verra pas) a bien été réveillée par les incantations trouvées sur les bandes du magnétophone laissé à la cave par le propriétaire des lieux, mais il est difficile de dire comment le mal se transmet. De même, il est plutôt étrange que plusieurs scènes s’attardent sur l’amour liant Ash à Linda (Betsy Baker), alors même que leur relation n’ait aucune incidence sur le récit. Mais qu’importe !

Comme d’autres films avant lui, et pas des plus mauvais (Massacre à la Tronçonneuse, La Nuit des Morts-Vivants), Evil Dead se regarde pour lui-même, et non pour une quelconque mythologie plombante venant empiéter sur la primauté de son histoire. Tel Tobe Hooper, dédaignant de parler du passé de sa famille cannibale, tel George Romero omettant de dévoiler l’origine de ses zombies, Sam Raimi se concentre uniquement sur le temps présent, et les quelques remarques liées au passé (la bande magnétique) n’interfèrent pas avec le spectacle. Celui-ci, sans toutefois revêtir une quelconque portée sociale comme le film de Romero (ou même celui de Hooper), se veut un spectacle total, très pur. Evil Dead s’inscrit donc dans le prolongement du cinéma d’horreur des années 70. Mais il n’est pas non plus sans anticiper le cinéma de la nouvelle décennie. Et ceci, c’est à la culture de Sam Raimi qu’il le doit. Le réalisateur, tout comme Bruce Campbell, est un grand amateur de cartoons et de bande-dessinées. Ce qui le conduisit, de façon encore assez retenue, à infliger avec jubilation à son personnage principal un véritable calvaire : de véritables geysers de sang lui sont envoyés en pleine poire à plusieurs occasions, et on ne compte plus les coups qu’il est amené à se prendre du fait de ses ex-amis possédés cherchant davantage à le faire tourner en bourrique qu’à le transformer en l’un des leurs. L’hilarité permanente de ces démons en dit long sur leur volonté de jouer avec les nerfs de Ash, allant même à une occasion jusqu’à lui faire croire que la situation est redevenue normale. Avant même que le surnaturel ne débarque, le “héros” est déjà brimé par Scott, le mauvais blagueur de la bande. Cheryl, l’hystérique premier témoin des manifestations surnaturelles , passera également ses nerfs sur lui. Devenir le seul survivant, sans sa petite amie, sans même la présence du peu scrupuleux Scott (qui au début se charge lui-même du démembrement des démons), le conduira à se former sur le tas au métier de dur à cuire. Une formation ardue, puisque nécessitant la décapitation de sa copine Linda, la prise en main d’une tronçonneuse et la vision de ses amis en train de mourir de façon atroce. Ceci plus tous les coups reçus suffit à faire de Ash un héros de cartoon ressemblant davantage au pauvre Coyote qu’au fier Bip-Bip. La mise en scène, étonnamment bien pensée pour un débutant disposant d’aussi peu de moyens, suit ce principe, et le style de Raimi fera école. Ces visions subjectives à vitesse éclair (en réalité à la vitesse d’une moto, le cinéaste n’ayant pas hésité à enfourcher une bécane caméra au poing) dynamise un film qui peut en outre compter sur un sens du montage évitant tout temps mort (mais pas quelques erreurs de raccord).

Avec cette optique très “Tex Avery”, le gore cesse quelque peu de servir de répulsif pour servir la cause de l’exagération. En cela, Evil Dead se montre plus proche des séquelles aux Griffes de la nuit que de Zombie. Mais le pas séparant l’horreur sardonique de la gaudriole n’est pas encore totalement franchi. Raimi, en partie grâce au côté amateur des maquillages, en partie grâce à ses décors de film d’horreur typique, en partie grâce à son point de vue (se moquer du personnage principal) réussit à conserver ce côté foncièrement dégueulasse propre aux chairs en putréfaction, aux lambeaux de peau déchirés, aux démembrements à coup de hache. Son gore a beau être cartoonesque, il n’en demeure pas moins que Evil Dead ne cesse jamais d’être autre chose qu’un film d’horreur. Certains pourront même lui trouver un côté effrayant voire dérangeant, et ce dès la première manifestation horrifique : le viol d’une jeune femme par des branches d’arbres malintentionnées. Une scène exclue de certaines versions étrangères du film. Evil Dead a même eu l’insigne honneur d’être classé dans les “video nasties” britanniques, ces VHS fortement censurées ou carrément bannies du Royaume (les anglais, tout comme les allemands, durent attendre 2001 avant de voir le film dans son intégralité).

Aujourd’hui devenu un classique, Evil Dead n’est pourtant pas un chef d’œuvre. Ses erreurs sont évidentes, qu’elles soient dues à la jeunesse de son réalisateur, à son manque de moyens ou aux particulières conditions de tournage. Mais c’est incontestablement un film ayant participé à la revitalisation d’un genre, lui insufflant une énergie permanente et une irrévérence salutaire. Tout comme Tobe Hooper, tout comme George Romero, tout comme Wes Craven, Sam Raimi entra ainsi dans la catégorie des réalisateurs ayant réussi à imposer une œuvre majeure dès leur premier film. Une réussite après laquelle courent beaucoup de jeunes réalisateurs de notre époque, à coup de caméra DV et de nobles références citées à tour de bras. Tous ces jeunes réalisateurs (Eli Roth et son pitoyable Cabin Fever en tête) en oublient même de chercher à leur tour à renouveler le genre.
Quant à tous les vrais brillants débutants, certains ont passé leur carrière à tenter de retrouver la grâce de leur premier film sans jamais y arriver, d’autres y réussirent de temps à autres, et certains ont même réussi à s’élever au firmament d’Hollywood, en restant dans l’horreur ou en s’en affranchissant. Sam Raimi fait partie de cette dernière catégorie. Perfectionniste, l’homme alla même jusqu’à corriger les défauts de Evil Dead en lui attribuant une séquelle sous forme de remake, plus professionnelle, plus fortunée, accentuant encore davantage le côté “cartoon”. Objectivement meilleure que le premier film, mais certainement moins spontanée.

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