CinémaWestern

Saludos Hombre – Sergio Sollima

saludoshombre

Corri uomo corri. 1968

Origine : Italie / France 
Genre : Western 
Réalisation : Sergio Sollima 
Avec : Tomas Milian, Donald O’Brien, Chelo Alonso, John Ireland…

Deux ans après Colorado et toujours sous la direction du grand Sergio Sollima, Tomas Milian reprend les frusques de Cuchillo, l’as du couteau. Il est cette fois dans son pays natal, le Mexique, où il vit en vagabond en échappant au courroux de Dolores, sa copine, qui exige le mariage. Après un de ses petits larcins, Cuchillo sera envoyé en prison, où il sera mis dans la même cellule que Ramirez, poète rebelle avec lequel il va s’évader et qu’il suivra jusque dans un village servant d’abri aux révolutionnaires. Très vite, les choses vont mal se passer : Ramirez est le seul détenteur d’un secret, celui de l’endroit où est planqué l’or de la Révolution, et ce savoir va attirer des bandits du coin, désireux de le faire parler. Ramirez sera assassiné en protégeant une mère et son enfant, non sans avoir préalablement révélé à Cuchillo l’endroit où est caché l’or (à Burton City, au Texas). Le petit vagabond est alors investi de la mission de retrouver le trésor et de l’emmener à Santillana, le chef des révolutionnaires. Mais sa route sera longue et nombreux seront les envieux : le pistolero américain Cassidy, les bandits mexicains, deux français à la solde du gouvernement mexicain, une jeune membre de l’Armée du Salut et même Dolores, la copine de Cuchillo, toujours décidée à lui mettre le grappin dessus… Pour échapper à tout ce petit monde, Cuchillo va devoir faire ce qu’il sait faire le mieux : fuir.

Cuchillo n’est pas le héros classique des westerns spaghetti. Ce n’est pas un solitaire taciturne, il ne touche jamais aux armes à feu, il n’aime pas la violence, il n’a pas non plus les grands idéaux des habituels héros de westerns-zapata, cette branche du western spaghetti consacrée aux révolutionnaires mexicains. Il est permis de le voir comme l’équivalent western de ce que sera le Monnezza des polars de la décennie suivante, un de ces personnages facétieux qui contribueront grandement à la célébrité de Tomas Milian. C’est un débrouillard, un voleur de petite envergure aux grands talents de bonimenteurs capable de se sortir des situations les plus périlleuses en usant de ses couteaux, qu’il planque partout sur lui. Ce n’est donc pas a priori l’homme parfait pour porter sur ses épaules la responsabilité de la Révolution, et du reste, on ne sait pas trop si en se lançant à la recherche du trésor dévoilé par Ramirez, Cuchillo n’agit pas dans un but personnel et n’envisage pas de se garder le magot de trois millions de dollars rien que pour lui. De ce décalage entre les nobles idéaux révolutionnaires et la personnalité du héros naît l’humour, encore renforcé par l’énorme différence qui sépare Cuchillo de ses principaux poursuivants, qui pour le coup, eux, sont typiques des westerns classiques : le gringo pistolero qui pourrait aussi bien avoir été interprété par un Clint Eastwood ou un Franco Nero, les bandidos mexicains crasseux et sans scrupules et les français classieux et prétentieux. Toutes les oppositions entre ces personnages et Cuchillo donnent lieu à des scènes classiques (duels, tortures…) se démarquant pourtant par l’humour dont fait preuve Cuchillo, qui semble prendre tout ceci à la rigolade, comptant toujours sur sa bonne étoile qui il est vrai ne manque jamais d’intervenir. L’interprétation de Tomas Milian est excellente, et même si ses numéros de comique pourront en agacer certains, il parvient en tout cas à rendre à la perfection l’énergie de son personnage de vagabond, faisant preuve d’une bonne humeur communicative.

Mais les oppositions les plus croustillantes sont encore lorsque Cuchillo rencontre des femmes. Dolores, sa copine, fougueuse mexicaine au mauvais caractère, se fait ainsi toujours berner et revient toujours violemment à la charge, essayant même d’empêcher son éternel futur mari d’aller empocher les trois millions de dollars du trésor, source de présents et de futurs ennuis. Il y a aussi cette soldat de l’Armée du Salut, qui recrute Cuchillo comme assistant pour l’aider à prêcher la bonne parole chrétienne dans les villages. Mais Cuchillo n’est pas très fidèle aux principes religieux, et il ne croit pas un mot de toutes ces histoires de pêchés de chair et de vœux d’austérité, il mettra donc bien peu de cœur à l’ouvrage, allant même jusqu’à inciter son public à voler la nourriture, parce que le pain leur appartient. Ce sera là le seule geste ouvertement politique de Cuchillo. Saludos Hombre n’est pas vraiment du même genre que El Chuncho ou que Le Mercenaire, il ne décortique pas le mouvement révolutionnaire et son organisation, se contentant de prôner une liberté totale, symbolisée par l’éternelle fuite de Cuchillo, qui parcours au galop les vastes étendues désertiques et magnifiques (format scope, en plus) du Mexique ensoleillé et du Texas enneigé sur fond de musique bien comme il se doit, une chanson révolutionnaire à la mélodie obsédante. En évitant de présenter le mouvement révolutionnaire comme un groupe organisé, Sollima se rapproche bien plus de l’anarchie que du marxisme, contrairement à quelques autres fleurons du western-zapata. Mais tout comme eux, il utilise les ennemis de la Révolution pour construire l’intrigue du film, très riches en personnages. Des gens qui ne vivent que pour l’argent, d’autres qui utilisent la Révolution comme alibi à leurs exactions, d’autres encore qui défendent le pouvoir en place… Tout cela donne une histoire bien fournie, que Sollima magnifie par une mise en scène plus qu’inspirée, qui n’a certainement pas à pâlir de la comparaison avec les films de Sergio Leone. La résistance de Cuchillo et de son allié du moment, le Pistolero américain, qui par une belle nuit tentent de décimer tout le gang de bandidos mexicains dans une ville déserte est ainsi un grand moment de cinéma. Mais bien plus que les aventures vécues par Cuchillo, c’est le sentiment de liberté absolue qui rend Saludos Hombre attrayant. L’humour souligne d’ailleurs l’absence de barrières idéologiques, légales et géographiques dans le mode de vie de Cuchillo (sans parler du refus de sa marier) : ce vagabond hors la loi aime cette vie de mouvements, sans aucune contrainte, dans laquelle il ne possède rien mais s’approprie tout, toujours dans le respect de l’autre. Trop libre pour entrer dans un mouvement révolutionnaire organisé, il épouse pourtant dans le fond les idéaux libertaires prônés par Ramirez et ses hommes, qu’il applique sans en avoir conscience et en survivant grâce à son expérience du monde pratique.

Voici donc un film comme on en fait plus, porté par un acteur principal qui semble avoir vécu toute sa vie dans la situation de Cuchillo et par un réalisateur ayant pleinement conscience de l’énorme force du western, sa possibilité d’illustrer l’esprit combatif et engagé du Mexique de l’époque révolutionnaire et même des Etats-Unis de la conquête du far west. Sans offense aucune, nous sommes très loin du classicisme des westerns américains à la John Wayne, et pour tout dire, je considère que cette conception du western est la meilleure qui puisse être.

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