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Instincts meurtriers – Philip Kauffman

instincts-meurtriers-affiche

Twisted. 2004.

Origine : États-Unis
Genre : Thriller éthylique
Réalisation : Philip Kaufman
Avec : Ashley Judd, Andy Garcia, Samuel L. Jackson, Russel Wong…

Le succès du Silence des agneaux en 1991 a popularisé la figure de l’inspecteur de police déclinée au féminin, qui jusqu’alors n’avait qu’à de trop rares reprises été abordée par le cinéma américain. Aujourd’hui, ces rôles sont devenus monnaie courante et font même figure de passage obligé pour toutes les actrices qui souhaitent sortir du registre dans lequel on les cantonne un peu trop facilement. Ces dernières années, des actrices comme Sandra Bullock (Calculs meurtriers) ou Angelina Jolie (The Bone CollectorDestins violés) ont délaissé leurs rôles habituels pour se frotter à la noirceur du thriller dans la peau d’une femme flic. Le thriller est un genre que Ashley Judd connaît bien pour l’avoir beaucoup fréquenté par le passé du Collectionneur à Crimes et pouvoir en passant par Double jeu. Avec Instincts meurtriers, elle passe un cap supérieur et rejoint ses deux consœurs en interprétant à son tour une femme flic.

Ashley Judd incarne Jessica Shepard, une agent de police toute heureuse d’avoir enfin obtenu le Graal qu’elle convoitait tant : être promue inspecteur à la brigade criminelle de San Francisco. A cette occasion, elle fait la fierté de son mentor et père d’adoption, l’officier John Mills. Mais sa joie est de courte durée. La première enquête sur laquelle elle travaille en compagnie de DelMarco, son nouveau partenaire, l’implique à titre personnel puisqu’elle se rend compte qu’elle a couché avec les deux victimes récemment retrouvées. Chaque corps témoigne d’une signature -une brûlure de cigarette- qui entraîne les enquêteurs sur la piste d’un tueur en série. Un tueur qui pourrait très bien être Jessica en personne, elle qui figure en bonne place sur la liste des suspects. Et pour couronner le tout, elle-même commence à douter de son innocence.

Thriller à l’intrigue passe-partout comme les années 90 en ont tant connu suite aux deux pierres angulaires du genre que sont Le Silence des agneaux et Seven, Instincts meurtriers suscite tout de même l’intérêt à l’aune de son réalisateur. Cinéaste atypique et volatile (il n’est jamais là où on l’attend), il témoigne d’un solide savoir-faire, aussi à l’aise dans la relecture d’un classique du cinéma fantastique des années 50 (L’Invasion des profanateurs) que dans la chronique adolescente (Les Seigneurs) ou encore l’épopée historique (L’Étoffe des héros). En outre, il affiche une belle ambition qui le conduit à s’attaquer à de grands auteurs comme Milan Kundera et son adaptation de L’Insoutenable légèreté de l’être. Néanmoins, son ambition se marie mal avec les impératifs hollywoodiens et l’échec patent de ses derniers films l’amène à espacer de plus en plus ses réalisations, voire même à accepter des œuvres dites alimentaires comme Soleil levant en 1993 ou cet Instincts meurtriers qui nous intéresse ici. Pour l’occasion, il se contente de filmer assez platement cette première enquête de l’inspecteur Shepard. Tout juste s’autorise t-il quelques plans étranges, notamment sur la faune composée de lions de mer qui peuplent la baie de San Francisco, et que le cinéma américain se gardait bien de nous dévoiler jusque là, ou encore sur cette cité nimbée d’une brume épaisse qui renvoie à l’esprit totalement embrumé par le doute et l’alcool de Jessica Shepard.

Écrit par une femme -Sarah Thorp- tout l’intérêt de Instincts meurtriers réside dans le portrait de son personnage principal. Femme travaillant dans un milieu d’hommes et régenté par les hommes, Jessica doit prouver en permanence son aptitude à officier en tant qu’agent de police. Le machisme ambiant jette en permanence un voile de doute quant à ses mérites, ces derniers se trouvant ternis par le spectre omniprésent de la promotion canapé. Bien entendu, ce constat n’est pas propre à ce corps de métier, et pourrait être étendu à tous les autres. Néanmoins, celui-ci prend de l’ampleur dans le cas présent du fait de l’exigence d’un tel métier, à fortiori lorsqu’on l’exerce sur le terrain avec tout ce que cela présuppose de tensions permanentes, d’accrochages réguliers et de visions d’horreur. Trop fragile car trop sensible, la femme ne peut décemment pas apporter les garanties nécessaires quant à sa capacité à agir avec sang froid dans les moments chauds. Jessica Shepard souhaite tordre le cou à ces clichés, se confectionnant une solide carapace de dure à cuire. En service, elle ne laisse rien paraître d’une quelconque faiblesse et se met parfois en danger en officiant seule, sans l’apport d’aide extérieure. Une manière pour elle de prouver « qu’elle en a » ! Les premières scènes s’attachent à nous la présenter : d’abord en plein travail (arrestation d’un assassin), puis fête entre collègues pour fêter sa promotion (avec exercice impromptu pour tester son sens de l’observation et par là même nous éclairer quant à ses qualités professionnelles), ensuite virée en solitaire dans un bar obscur pour se trouver un mec, et enfin, retour à la maison avec force détails sur ses fêlures. Son image de femme forte n’est qu’un masque qu’elle arbore en société pour taire ses démons intérieurs nés de son enfance. Orpheline depuis que son père -lui-même officier de police- s’est donné la mort après avoir assassiné sa mère, Jessica vit en permanence sur le fil du rasoir. Si son père a été remplacé par John Mills, homme duquel découle son envie d’entrer dans la police, l’absence de sa mère se fait plus criante au fil des années. Sa chaotique vie sentimentale trouve son origine dans le drame familial qui l’a touchée. En collectionnant les relations d’un soir avec des hommes dont elle ne sait rien et dont elle ne veut rien savoir, elle évite de s’exposer à d’autres déceptions sentimentales inhérentes à la perte d’un être cher. Elle ne veut pas s’attacher à quelqu’un ni être dépendante de ses sentiments. Or l’affaire sur laquelle elle travaille la renvoie directement à sa vie intime en la confrontant bien malgré elle à la mort de ses amants d’un soir, comme si tout ce qu’elle touchait était voué à disparaître. Et de railleries de collègues indélicats en pertes de connaissance récurrentes suite à l’absorption quotidienne d’alcool, en passant par ses propres doutes quant à sa santé mentale, l’intrigue avance cahin-caha jusqu’à un dénouement des plus prévisibles. Qui plus est, l’image de femme forte des premières scènes se dilue peu à peu pour celle nettement plus classique d’une femme psychologiquement fragile, incapable de s’interroger, par exemple, sur ses fréquentes pertes de connaissance au bout d’à peine deux – trois verres de vin. Je veux bien que le vin de Californie soit de mauvaise qualité, mais quand même pas à ce point là ! Si Ashley Judd joue au flic complètement déboussolé avec une belle conviction, il n’en reste pas moins que son personnage perd de son intérêt au fil de la mise en place de l’intrigue. D’enquête, il n’y en a pas, juste une ébauche pour justifier le rôle d’Andy Garcia, pas plus que de progression dramatique. Quant aux relations entre les personnages, elles pâtissent des fausses pistes disséminées tout au long du film, et qui plus est trop téléphonées (en gros, tous paraissent suspects, hormis le véritable coupable), ce qui les rend superficielles car trop instrumentalisées.

Dans la pléthore de films de ce genre qui sortent chaque année, Instincts meurtriers n’a même pas pour lui les atouts d’un générique ronflant puisque la plupart bénéficient aussi de grands noms pour un résultat somme toute bateau. Réalisateur peu concerné, acteurs en guidage automatique et scénario prévisible, autant de raison pour nous envelopper de nos atours de spectateur passif avec juste de quoi grignoter à portée de main. Mais gare à ne pas reproduire trop souvent l’expérience ou c’est l’obésité qui nous guette.

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