L’Horrible invasion – John “Bud” Cardos
Kingdom of the Spiders. 1977
Origine : Etats-Unis
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Catastrophe pour le fermier Walter Colby ! Sa génisse, promise au triomphe lors de la prochaine foire agricole, est retrouvée mourante. Craignant une maladie contagieuse parmi le bétail, le vétérinaire “Rack” Hansen demande des examens en ville. Le résultat, amené par l’entomologiste Diane Ashley, le laisse sceptique : la génisse serait morte de morsures d’araignées. Les investigations continuent autour de la ferme Colby, où un gigantesque nid d’arachnides est découvert, puis détruit. Mais rien n’y fait, les mygales s’incrustent, et gagnent du terrain…
Dresser la liste des animaux ayant fait office de tueurs à l’écran serait une vaste entreprise. Il existe toutefois des valeurs sûres, qui bien plus que les limaces, les lapins ou les vers de terre, reviennent régulièrement sur le devant de la scène. Il y a déjà les requins, ces grosses bêtes pleines de quenottes acérées, qui, jurisprudence Dents de la mer oblige, font office de stars du genre. Il y a ensuite les serpents, avec leurs faciès souvent menaçants, leurs crochets, leur venin et leur côté biblique. Et enfin il y a les araignées, qui ne payent pas de mine mais qui bénéficient d’une arachnophobie fort développée en occident pour occuper un rang que d’aucun pourrait trouver un peu usurpé. Car après tout, les araignées font pâle figure vis à vis des squales ou des squamates : un coup de talon suffit à écrabouiller le plus gros spécimen arachnide, leur venin n’est que rarement dangereux, leur aspect n’est pas spécialement répugnant et elles tissent de délicates toiles soyeuses. « Pour peu qu’on lui jette un œil moins superbe, tout bas, loin du jour, la vilaine bête murmure : Amour ! »… Mais non. Victor Hugo a beau s’escrimer dans son poème à réhabiliter l’arachnide, rien n’y fait et l’on ne voit toujours en elle que cette bestiole aux pattes anguleuses qui, tapie dans un recoin sombre, guette sa proie pour lui sauter dessus tous chélicères dehors. Et comme elle a le malheur de croiser régulièrement notre chemin, elle décroche le pompon de la bête la plus détestée dans nos contrées, qu’elle soit chétive ou non. D’où la place de choix qu’elle occupe dans le sous-genre des animaux tueurs, lequel -quoi que n’ayant jamais été délaissé- a connu son apogée à la suite des Dents de la mer.
C’est dans cette tendance que s’inscrit L’Horrible invasion réalisé par un John “Bud” Cardos plus souvent acteur mais qui commençait depuis quelques années à se piquer de réalisation. Après un western et deux films d’action, il se lance donc dans l’horreur, et ses premiers pas se révèlent pour le moins fort classiques. Pendant environ une heure, L’Horrible invasion ne fait que singer l’histoire des Dents de la mer comme bon nombre de films du même genre. Et c’est donc parti pour une exposition centrée sur des personnages sans grand relief permettant d’entrer très progressivement dans le vif du sujet. Les scènes croustillantes se font rares et concernent en fait surtout la ferme et le bétail du pauvre fermier incarné par Woody Strode. La génisse, le nid d’araignée, une vache recouverte de bestioles…. Les humains sont mis de côté, réduits à faire lentement avancer cette intrigue convenue, faisant des découvertes et étant parfois confrontés à une mygale solitaire, voire à tout un groupe, sans que cela ne les émeuvent plus que ça. Ce qui est logique pour l’entomologiste, mais un peu plus surprenant pour les autres. Il faut dire que dans l’ouest des États-Unis où se situe l’intrigue, les gens sont bourrus et ils en ont vus d’autres… Bref personne ne s’active vraiment, il y a beaucoup de parlotte et pas vraiment de sensation, à moins d’être soi-même victime d’arachnophobie, auquel cas effectivement voir le nid pourra amener son lot d’émotions fortes. Mais pour en revenir aux personnages, outre le fermier qui voit surtout dans les mygales les meurtrières de son bétail, personne ne s’inquiète vraiment. Et certainement pas le maire, qui tient trop à sa prochaine foire agricole pour prendre des mesures sanitaires.
Comme dans Les Dents de la mer et bien de ses avatars, les autorités sont ici coupables de risquer la vie de leur population par pur intérêt financier. Cette défiance du pouvoir, toujours palpable en ces années post-Nixon, se double ici d’une certaine conception écologique, puisqu’il s’avérera que des pesticides, en détruisant les proies habituelles des mygales, ont conduit celles-ci à s’adapter biologiquement et à s’attaquer à de plus grosses bêtes. Rien de bien profond, ceci dit, et Cardos a le mérite de ne pas vouloir se faire passer pour un révolutionnaire vert en enfonçant des portes ouvertes. La nature se venge pour des raisons, mais ces raisons ne pèsent pas lourd dans le scénario, qui n’insiste pas énormément là dessus et ne cherche qu’à meubler une progression crescendo menant vers un point d’orgue qui ne viendra qu’en fin de film, épousant en cela la structure des Dents de la mer. Pour combler l’heure que dure ce développement progressif, le réalisateur ajoute un semblant d’intrigue amoureuse entre l’entomologiste, le vétérinaire et la belle-sœur de celui-ci. Là encore, rien que de très conventionnel : le mâle viril séduit la blonde intellectuelle, pour le plus grand désespoir d’une belle-sœur (incarnée par la femme de William Shatner) qui se serait bien vue dans les bras du frère de feu son époux, ne serait-ce que pour apporter une présence masculine à une petite fille qui a besoin de découvrir la vie. Évidemment, cela n’est pas très intéressant, et L’Horrible invasion finit par donner l’impression de tourner à vide, laissant craindre une dernière ligne droite escamotée et ne justifiant nullement cette exposition creuse et longuette, assez typique des films d’animaux tueurs.
Rien ne laissait donc présager ce que L’Horrible invasion allait devenir dans sa dernière demi-heure : l’un des meilleurs films du genre ! Rien que ça ! Faisant oublier sa banale exposition, John “Bud” Cardos se met alors à orchestrer la fameuse invasion promise par le titre, qui arrive assez soudainement, avec une ampleur inattendue. Un dixième du budget est passé dans l’achat d’araignées, et tout cet investissement se retrouve concentré dans cette dernière ligne droite qui peut en outre compter sur des spécimens en caoutchouc, voire, pour les plans d’ensemble, sur des peintures de mygales. Bilan : les araignées sont partout, et généralement réalistes ! Et avec elles, leurs cortèges de cadavres enveloppés dans la toile, leurs scènes de panique en pleine ville et leurs intrusions en nombre par la moindre ouverture d’un bâtiment. Bien sûr, ce n’est pas cela qui rehausse le niveau des personnages, et le rôle de ceux-ci reste assez convenu : le héros joué par William Shatner prêt à défendre la veuve et l’orpheline, les seconds couteaux qui essaient de survivre, et les quidams, victimes désignées – le réalisateur aurait-il d’ailleurs pu en demander davantage à des acteurs recrutés avant tout sur la seule compétence de savoir ne pas paniquer face à une mygale ? Mais bon, les stars du film sont les araignées et ce que Cardos en fait. Il préside à un véritable chaos donnant lieu à des images quasi apocalyptiques. La chaussée du patelin est envahie de mygales, les voitures volent dans le décor parce que leurs conducteurs sont trop occupés à se débattre, les gens sont recouverts de bestioles ou agonisent en pleine rue. Et ne parlons même pas du plan final… Bien des films catastrophe, avec leurs évènements naturels hors de proportion (et généralement des moyens accrus) n’atteignent pas ce degré de folie. Limiter l’intrigue à un seul petit patelin permet vite de donner l’impression que l’humanité tout entière est surpassée, les survivants étant poussés à bout de nerfs par les efforts déployés pour ne pas se laisser eux aussi dominer. La comparaison avec Les Dents de la mer ne tient alors plus la route : c’est bel et bien à La Nuit des morts-vivants que se réfère alors Cardos, qui enferme ses personnages dans une maison où ils n’ont alors plus aucune perspective si ce n’est celle de bloquer toutes les issues d’où pourraient survenir les araignées. Et contrairement aux zombies de Romero, les bestioles peuvent survenir de n’importe où sans effet d’annonce : fenêtres cédant sous le poids du nombre, cheminée, conduits d’aération… L’enfer sur terre pour les arachnophobes. L’avantage d’avoir recours à ces araignées à taille réelle est qu’il n’y a aucun moyen d’en venir à bout. Il est inutile de vouloir se débarrasser d’elles une par une, tout comme il est impossible d’avoir l’œil sur chacune d’entre elles : elles ne peuvent que vaincre. En un sens, Romero adoptera le même sens de la démesure dans Zombie, et lui aussi aura recours au même climat apocalyptique. S’il faut bien admettre que Zombie ne pâtissait pas d’une longue et stérile exposition et qu’il se doublait d’un propos un peu plus profond que la simple invasion, ses ressorts sont les mêmes qu’ici. Alors oui, L’Horrible invasion est un film limité, mais qui finit par se démarquer de la plus belle des manières des productions animalières post-Dents de la mer.