Ça – Andrés Muschietti
It. 2017Origine : États-Unis
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Lorsque Brian DePalma réalise Carrie au bal du diable en 1976, il joue sans le savoir les entremetteurs entre Stephen King et le cinéma. De cette réussite inaugurale découle une longue histoire d’amour qui comme toutes les histoires d’amour connaît ses hauts et ses bas. Pendant près de 20 ans, les adaptations issues de l’œuvre de Stephen King ont généré toute une flopée de films de qualité portés indifféremment par des grands noms du 7e Art (Stanley Kubrick/Shining, George Romero/Creepshow et La Part des ténèbres, John Carpenter/Christine, David Cronenberg/Dead Zone) comme par de moins illustres (Rob Reiner/Stand by Me et Misery, Lewis Teague/Cujo et Cat’s Eye, Fraser C.Heston/Le Bazaar de l’épouvante, Frank Darabont/Les Évadés). Par la suite, les choses se sont sérieusement gâtées avec des adaptations dont le caractère prestigieux (La Ligne verte, Dreamcatcher) masque mal leur médiocrité. A la longue, les gens ont fini par se lasser de ces adaptations, au point d’ignorer les rares réussites récentes comme The Mist de Frank Darabont. Il fallait se rendre à l’évidence, l’estampille Stephen King faisait de moins en moins recette.
Et puis la tendance a fini par s’inverser… grâce à la télévision. Lorsqu’il s’est agi d’adapter Stephen King à l’écran, la télévision n’a pas été en reste voyant là le terreau idéal à des téléfilms de luxe. L’écrivain lui-même s’est servi du médium en écrivant des scénarios inédits (La Tempête du siècle, Rose Red) ou en impulsant la nouvelle adaptation de Shining, dont il n’a jamais apprécié la version de Stanley Kubrick, sous la forme d’une mini-série réalisée par le fidèle Mick Garris. Pour autant, ce mariage n’a guère abouti à des œuvres impérissables. Il a donc fallu l’adaptation en 2013 de Dôme déclinée en série et du succès qui en a suivi pour assister à une forme de retour en arrière avec une nouvelle profusion d’adaptations. Pour la seule année 2017, on dénombre pas moins de quatre films (La Tour sombre, Ça, Jessie et 1922) et deux séries (The Mist et Mr. Mercedes) tirés des œuvres de l’écrivain. Du jamais vu depuis des lustres.
Derry – 1989. L’année scolaire touche à sa fin pour Bill, Richie, Eddie et Stanley. Inconsolable depuis la disparition de son petit frère, Bill Denbrough projette, avec l’aide de ses amis, d’occuper son été à le rechercher. Au cours des premiers jours de vacances, les quatre compères font la connaissance de Ben, Beverly puis Mike. Trois adolescents qui partagent avec eux une même solitude et bientôt, des visions cauchemardesques. Ils doivent se rendre à l’évidence, une entité démoniaque accroît son emprise sur la ville et n’est pas étrangère aux nombreuses disparitions d’enfants. Sous l’impulsion de Bill, la petite bande décide de faire front commun contre ce mal grandissant.
Par sa densité (plus de 1000 pages), sa construction (Stephen King imbrique les événements du présent avec ceux du passé) et sa noirceur, adapter Ça tient de la gageure. Bien qu’assez fidèle au roman, le téléfilm en deux parties que Tommy Lee Wallace réalisa pour la chaîne ABC en 1990 n’avait pas complètement su contourner l’écueil, le versant contemporain de l’intrigue faisant triste mine comparée à son pendant adolescent. Une version cinématographique est envisagée dès 2009 mais à force de bouleversements inhérents à Hollywood (Cary Fukunaga, le premier réalisateur et co-scénariste envisagé est finalement éconduit pour les sempiternels différends artistiques après avoir rédigé deux scénarios), ce n’est qu’en 2017 que ce Ça nouvelle génération voit le jour sous la houlette du peu expérimenté Andrés Muschietti, auteur de Mama auréolé du Grand Prix du festival de Gerardmer en 2013. Il a très vite été décidé que le film abandonne la narration bi-temporelle du roman au profit du seul récit du premier affrontement entre la bande des Losers et Pennywise. A cela deux raisons : la possibilité que cela offrait, en cas de succès, d’avoir une suite clé en main relative aux retrouvailles des Losers à Derry 30 ans plus tard, et celle de surfer sur le retour en grâce des années 80 à la sauce Amblin (E.T., Gremlins, Les Goonies, etc). Avec sa patine vintage (les plus observateurs s’amuseront de l’affiche de Beetlejuice dans la chambre de Bill Denbrough, ainsi que de la devanture du cinéma de la ville qui propose au cours du récit Batman, L’Arme fatale 2 ou encore Freddy V – L’Enfant du cauchemar) Ça marche sur les traces de Super 8 et surtout de la série Stranger Things avec laquelle il partage l’un de ses jeunes comédiens principaux. Les principaux ingrédients sont là : la petite bourgade à l’aspect bucolique, les parents relégués au second plan, les vélos comme moyen de locomotion et les vannes échangées entre les gamins.
Le début des vacances d’été aidant, Ça distille au détour de certaines scènes un doux parfum buissonnier qui se double d’un éveil à la sexualité par l’entremise de Beverly dont le naturel nimbé de candeur échauffe les sens de ces – jeunes – messieurs. Toutefois, en ce qui concerne ses rapports avec les garçons de la bande, Andrés Muschietti se gardera bien d’aller aussi loin que Stephen King. Sur ce point, il fait preuve d’une pudibonderie qui contrebalance de manière hypocrite avec le déferlement d’horreur dont il abreuve le spectateur. Dès la mort inaugurale et traumatique de Georgie, le réalisateur annonce la couleur. Les effets chocs seront privilégiés au détriment de la construction d’une atmosphère viciée, pourtant plus à même de dépeindre l’inexorable mainmise de Pennywise sur la ville. Sous prétexte de présenter chaque gamin, la première partie du film se borne à n’être qu’une suite rébarbative d’attaques orchestrées par le clown maléfique jouant sur les peurs de chacun. Des visions souvent proches du grand-guignol sur fond de musique tonitruante avec corps décapité, personnage de tableau prenant vie ou encore clochard répugnant dont l’aspect n’est pas sans rappeler Emil après qu’il ait été aspergé par le contenu toxique d’une cuve dans Robocop. Alors que dans son précédent film, Andrès Muschietti avait su faire preuve de retenue dans ses effets horrifiques, cherchant davantage à effrayer durablement qu’à surprendre ponctuellement, il fait ici tout l’inverse suivant en cela la mode connue sous le nom peu glamour de “torture porn” initiée par Saw. Avec cette débauche d’effets superfétatoires, Pennywise s’apparente par moment à un Freddy Krueger, notamment lorsque les gamins l’affrontent pour la première fois dans les ruines de la demeure où il a élu domicile. Ce manque de subtilité se retrouve jusque dans la manière de traiter les personnages secondaires. Les adultes tout d’abord, qui lorsqu’ils ne sont pas de lointaines silhouettes (le père de Bill Denbrough, celui de Stanley) s’avèrent de grosses caricatures (le père aux élans incestueux de Beverly, la mère obèse et accroc à la télé de l’hypocondriaque Eddie voire le pharmacien libidineux). Les membres de la bande d’Henry Bowers ne sont pas en reste, sorte de ramassis de délinquants qui ne semblent exister que pour brutaliser de pauvres gosses. Ils incarnent néanmoins une menace plus tangible et la manière dont les Losers sauront les terrasser pour la première fois annonce la voie à suivre pour triompher de Pennywise. Autrement dit, se serrer les coudes et faire front commun contre l’ennemi. De manière générale, le traitement de ces personnages secondaires pâtit d’un problème d’adaptation. Andrés Muschietti ne parvient jamais à faire ressentir que leur caractère outrancièrement mauvais découle de l’emprise maléfique de Pennywise. L’échec est d’ailleurs patent lors de l’utilisation d’Henry Bowers en bras armé reléguée au rang de péripétie, laquelle rallonge inutilement la sauce d’un climax déjà bien riche. Autre souci d’adaptation, l’incompréhensible inversion des rôles entre Ben Hanscom et Mike Hanlon, ce dernier se voyant dépossédé de son statut d’historien de Derry au profit du premier, minimisant du même coup l’importance du seul personnage noir du film.
Tout n’est pourtant pas à jeter dans cette nouvelle adaptation. En dépit de l’inégale importance de chacun des Losers, le film peut compter sur l’interprétation sans faille des jeunes comédiens. Il en résulte une belle dynamique de groupe, laquelle prend toute sa dimension lors des passages clés. Sur le plan de l’horreur, lorsque André Muschietti met la pédale douce sur les effets racoleurs, il lui arrive de tutoyer les sommets de la trouille par des idées simples (la scène des diapos). Pennywise gagne lui aussi à cette simplicité, jamais plus inquiétant que lors de cette courte danse désarticulée effectuée lors de l’ultime affrontement.
Fort d’un succès inattendu dans de telles proportions, la deuxième partie est d’ores et déjà annoncée pour 2019 avec, pour le moment, toujours Andrés Muschietti à la réalisation. Une manière de le récompenser pour ses bons et loyaux services.
Ce nouveau Ça est plus direct et a l’air d’être plus efficace que le téléfilm qui racontait une histoire certes bancale (la deuxième partie perdant en intérêt avec les adultes) mais offrait une atmosphère particulière qui était propre au film lui-même mais aussi à la période où le film a été tourné à savoir les années 90.
Je crois que ce que l’on a gagné en instantanéité et efficacité, on l’a perdu dans la création d’une histoire, de personnages, et d’une atmosphère. On a privilégié des effets à un résultat pas parfait mais un résultat quand même.
Le film est bon mais il est le reflet de cette génération qui ne peut plus regarder un film que quand cela explose, blague, éructe du mouvement. Maintenant, les histoires ne peuvent plus prendre le temps de s’installer, et c’est cela qui me manque, et me fait regretter le téléfilm.