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Ivan le Terrible – Serguei Eisenstein

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Иван Грозный. 1944 – 1946* 

Origine : U.R.S.S. 
Genre : Drame historique 
Réalisation : Sergei Mikhailovich Eisenstein 
Avec : Nikolai Tcherkassov, Ludmila Tchelikovskaia, Serafima Birman, Mikhail Nazvanov…

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Las des vexations que lui infligent depuis trop longtemps les boyards, le jeune Ivan, grand-duc de Moscovie, se fait couronner tsar de toutes les Russies et il gagne très vite la confiance de son peuple. Le mariage d’Ivan avec Anastasia, qui lui donnera un fils, Dimitri, ne fait qu’attiser la jalousie des boyards ; après la victoire d’Ivan contre les tartares à Kazan, ils empoisonnent la tsarine. Désespéré, Ivan veille auprès de son cercueil dans la cathédrale même où s’étaient déroulés leurs noces et il prend la résolution de renoncer au trône pour se retirer dans un monastère.
Le peuple, qui compatit à sa souffrance, réclame le retour de son souverain légitime. Les boyards trament alors une nouvelle conjuration, décidés cette fois à se débarrasser d’Ivan. Euphorisinia Staritzkaïa, la propre tante du tsar, est la principale instigatrice du complot, car elle souhaite voir couronner son fils Vladimir, un incapable, qu’elle compte manœuvrer à sa guise. Au cours d’un banquet, Vladimir, sous l’effet de l’ivresse, dévoile involontairement le complot à Ivan. Comme par jeu, celui-ci fait endosser à son cousin ses vêtements royaux…

En 1941, la Mosfilm décide de produire Ivan le terrible, le film que préparait S.M Eisenstein sur la vie du tsar Ivan IV. Mais l’invasion allemande, qui survient au mois de juin de la même année, fait ajourner le tournage. Le film ne sera mis en chantier qu’en 1943, dans les studio d’Alma-Ata, au cœur de l’Asie centrale. En cours de tournage, Eisenstein va étoffer son scénario, pour faire de son film, initialement prévu en deux parties, une trilogie. Modifications qui lui vaudront d’ailleurs de sérieux ennuis avec la censure, qui désapprouvera vivement la seconde partie du film.
Eisenstein désirait, après Alexandre Nevski (1938), célébrer à nouveau les grands héros du nationalisme russe et raviver ainsi les sentiments patriotiques du peuple soviétique face au pangermanisme. Ivan IV, grand-duc de Moscovie au XVIème siècle, s’était fixé un dessein grandiose, déjà conçu par Ivan III : réunir toutes les Russies sous l’autorité d’un souverain unique, le tsar.
Le cinéaste a toujours été fasciné par la personnalité complexe de ce souverain cruel et impitoyable, mais par ailleurs idéaliste et visionnaire à bien des égards. Il souhaite donc “humaniser” cette figure de légende en l’expliquant par un contexte historique spécifique. Il ne fait pas de doute que, dans sa lutte pour l’unité nationale et le pouvoir absolu, Ivan ne recula devant aucun moyen. Ce qui n’en fait pas pour autant un “monstre” – sinon du reste le film n’aurait aucun intérêt. A cette époque, rappelle Eisenstein, l’Europe tout entière était agitée par des conflits sanglants et féroces et les conceptions morales étaient différentes. D’ailleurs le terme même de “terrible” n’a pris que récemment une nuance péjorative et l’adjectif russe “grozniy” signifie plus exactement “qui provoque la crainte et l’émerveillement”. C’est le sentiment qu’Eisenstein va s’attacher à dépeindre.

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Dans ses oeuvres précédentes, le cinéaste partait d’une réalité objective, parvenait à une dimension épique par la restructuration et par le rythme. Il arrive dans Ivan le terrible à une sorte d’expressionnisme. La composition plastique des images est privilégiée par rapport au montage. Le jeu des acteurs, très hiératique, ainsi que l’utilisation symbolique de la couleur, à l’opposé du réalisme naturaliste, renforcent l’intensité dramatique. Secondé par deux grands chefs opérateurs, Edouard Tissé et Andreï Moskvine, Eisenstein joue sur le contraste entre la clarté limpide des extérieurs (filmés par Tissé) et l’obscurité chatoyante de l’intérieur du palais (filmé par Moskvine) afin de souligner l’atmosphère de complots permanents qui règne à la cour du tsar.
La musique de Prokofiev, moins intimement liée à la structure du film que dans Alexandre Nevski, offre un superbe contrepoint dramatique aux images et l’on a pu parler à propos de Ivan le terrible d'”opéra cinématographique”.
Le film est construit sur un enchaînement d’épisodes significatifs : la prise du pouvoir par Ivan (affirmation de l’autorité) au détriment de ses régents, alors qu’il est encore un enfant, son couronnement à l’âge de dix-sept ans, malgré l’opposition des boyards et de sa propre tante, son mariage fastueux, son ascendant irrésistible sur la foule, dont il calme la panique par sa seule présence, la défaite des tartares à Kazan, la trahison des boyards et la déloyauté de ses amis lorsqu’il tombe malade, l’empoisonnement de la tsarine par ses ennemis, sa fuite de Moscou et son retour triomphal, qui clôt la première partie, qui sort en 1944 et qui sera couronnée deux ans plus tard par le prix Staline.

La seconde partie décrit la terrible vengeance d’Ivan, qui s’entoure désormais d’une armée de garde fanatiquement dévoués, les “opritchniki”. A l’intérieur de la cathédrale, le tsar échappe, grâce à sa vigilance, à l’attentat tramé par ses proches. Enfin, malgré la trahison et la corruption qui s’infiltrent chaque jour dans son entourage, il conduit ses troupes à l’assaut des châteaux teutoniques et se dirige vers les rives de la Baltique.
La Conjuration des boyards sera terminée en 1946. Le comité central du parti communiste soumet le film à un groupe de cinéastes inféodés au régime, ceux-ci ne ménagent pas leurs critiques : jugeant au nom du réalisme socialiste une oeuvre profondément subjective et symbolique, ils déclarent : “Eisenstein a prouvé son ignorance des faits en faisant de la force progressiste des opritchniki une bande de dégénérés semblable au Ku-Klux-Klan et en faisant d’Ivan, homme plein de volonté et de caractère, un Hamlet sans volonté ni caractère…
Coïncidence tragique, le réalisateur qui ignore alors encore ces critiques fielleuses, est presque terrassé par un infarctus le jour où paraît l’article dans la Pravda, alors qu’il fête avec des amis le prix Staline obtenu pour la première partie du film. Dès qu’il sort de l’hôpital, il décide de terminer son oeuvre.

Renonçant à la trilogie projetée, il se propose de compléter La Conjuration des boyards avec les séquences déjà tournées en vue de la troisième partie. Mais sa convalescence sera longue et il n’aura pas le temps de mener à bien cette entreprise. Il meurt en 1948, à la suite d’une seconde crise cardiaque. Il faudra attendre douze ans pour que La Conjuration des boyards obtienne enfin son visa de censure. Le film ? Présenté à l’Exposition internationale de Bruxelles, remportera aussitôt un véritable triomphe, marquant, en dépit de son caractère inachevé, une date dans l’histoire du cinéma.

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* : Le film se compose de deux parties : Ivan le terrible (1944 – Première à Moscou le 30décembre 1944) et La Conjuration des boyards (1946 – première sortie en 1958 à Moscou).

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