BD : ActionBD : FantastiqueLivres

Watchmen (intégrale 09/86-10/87) – Moore & Gibbons

Watchmen
Intégrale (Septembre 1986 – Octobre 1987). 1998

Origine : Etats-Unis
Dessins : Dave Gibbons
Scénario : Alan Moore
Editeur : DC Comics

Faire une critique de Watchmen… Quelle idée… On me dit : « Tu dois absolument lire ce comics-book, c’est un chef d’œuvre ! Cette BD va te retourner ! » Et moi, sceptique, je me dis qu’ils exagèrent, les chefs d’œuvres, c’est trop rare ! Cela remonte à quand la dernière fois où une BD m’a laissé sur le cul ? Allez sois honnête, ça remonte à quand ? Je veux dire, j’ai lu tous les Tintin, tous les Spirou, tous les Astérix,… J’ai très souvent pris mon pied à leur lecture, mais de là à être retourné… Et puis j’ai rencontré Taniguchi et son Quartier lointain, et je suis resté sur le derrière. D’ailleurs, histoire de faire une parenthèse, l’œuvre de ce mangaka m’a souvent bluffé. Donc en chef d’œuvre, j’ai Quartier lointain, quoi d’autre ? Hum, dernièrement, j’ai bien Le Journal d’un ingénu par Emile Bravo, one-shot sur Spirou… Quoi d’autre ? Je fouille, je fouille, ah tiens ! Lapinot et les carottes de Patagonie de Trondheim ! Sin City de Miller, J’ai tué pour elle. Peter Pan, Londres, de Loisel. Le Schtroumpfissime de Peyo. Le Grand pouvoir du Chninkel de Van Hamme et Rosinski. SOS bonheur de Griffo et Van Hamme. Ah et puis des œuvres intégrales telles que Peanuts et Calvin et Hobbes. Arrêtons-là, c’est stupide en fait de faire ce genre de liste. Car en voilà assez peu finalement. Je veux dire, voilà une courte liste de BD qui m’ont marqué et que j’ai de suite classé de façon très subjective dans la catégorie chefs d’œuvres… Alors comme je suis un tant soit peu honnête, quand je suis face à quelqu’un qui me conseille un chef d’œuvre, je suis sceptique, car je sais que son avis est terriblement subjectif.
Et pourtant…
Et pourtant, je me suis laissé tenter. Et j’ai ouvert Watchmen, et je me suis laissé porter par cette histoire. Et… Wahou ! C’est exactement le genre d’œuvre dont on ne veut jamais qu’elle finisse !
Alors par quoi commencer pour vous expliquer pourquoi c’est un chef d’œuvre ?

Et bien, je commencerai par ce qui me semble être le plus flagrant au cours de la lecture : l’exceptionnelle impression que ce que nous découvrons sur ces cases colorées est tellement bien inscrit dans la réalité que l’histoire nous paraît terriblement plausible. En effet, ne vous attendez pas à des super héros volant avec de super pouvoirs. Non. Ici, ce sont des êtres humains qui cherchent à faire justice pour rendre le monde meilleur. Néanmoins, nous découvrons un personnage atypique qui, victime d’une expérience qui a mal tournée, devient le Docteur Manhattan, un être qui peut matérialiser et dématérialiser ce qu’il souhaite en manipulant les atomes. D’ailleurs, il n’est plus humain tellement son état qui le rend sans doute immortel, qui lui permet de réaliser tout ce qu’il souhaite, devenir géant ou de la taille d’un homme, pouvoir créer plusieurs doubles de lui, l’écarte de l’humanité qui s’active devant nous.
Car cette humanité, c’est nous. C’est la peur de la guerre, la peur du communisme, d’une pluie de bombes explosant partout sur la planète. Car la paix n’est garantie à ce stade seulement par le Docteur Manhattan qui a permis aux Etats-Unis de gagner la guerre du Vietnam en quelques jours. Il peut à lui tout seul changer le cours de l’histoire. Et le gouvernement américain, dont Nixon est à sa tête encore dans les années 80, l’a bien compris. Et cette situation convient à tout le monde. L’hégémonie américaine n’est qu’encore plus grande avec son arme absolue, et elle garde avec elle un ennemi puissant qui lui permet de mieux contrôler les masses.
Nous découvrons alors différents héros à travers deux générations. Sans entrer dans les détails, Rorschach qui porte un masque avec des ombres qui se déplacent, effectue une enquête sur la mort du Comédien (un héros violent et nationaliste), persuadé que quelqu’un en veut aux Gardiens (les Watchmen). Car depuis quelques années, les Watchmen ont été mis hors la loi. Ils n’ont plus le droit d’exercer. Certains s’en sont mieux sortis que d’autres et ont continué leurs petites vies d’hommes et de femmes normaux. Reste que Rorschach est recherché par la police et que ce dernier s’évertue à sortir les Watchmen de l’ombre afin qu’ils se défendent. Parallèlement à cela, la fin du monde approche de plus en plus. Quel sera le rôle des Watchmen dans cet inévitable scénario ?

Cette œuvre s’appuie sur plusieurs forces qui font d’elle une œuvre hors norme. En premier lieu, le contexte historique exceptionnellement mis en valeur à travers le développement de personnages plus que secondaires qui s’entremêlent à la vie des uns et des autres Watchmen. Ce contexte fait la part belle à l’écriture scénaristique qui épouse chaque folie humaine avec une impression de réalisme qui fait froid dans le dos. Quand on lit les pages de ce comics, on a l’impression de lire une réalité parallèle. Tout est si terriblement plausible qu’on reste scotchés au livre pour comprendre chaque détail, chaque tenant et chaque aboutissant de cette histoire.
En second lieu, outre le contexte, c’est bien évidemment les personnages et leur utilisation qui font de Watchmen une œuvre à part. Chaque héros à sa part d’ombre. L’un est violent et violeur, l’autre a un sens de la justice bien particulier, un autre est un mégalomane… Ces personnages, des êtres humains qui ont décidé un jour de devenir des héros, se retrouvent confrontés à leur passé, et plus encore à l’avenir qui se dessine sans eux. Peuvent-ils faire partie du futur, si tant est qu’il y en ait un ? Et le présent ? Quel rôle doivent-ils y jouer ? Doivent-ils laisser faire les choses ? Doivent-ils être interventionnistes ? L’humanité ne mérite finalement-elle pas ce qui lui arrive ? Peut-on servir un état autoritaire seulement par sens de la justice ? Quelle légitimité ont les super-héros à faire régner l’ordre ?
En troisième lieu, l’écriture du récit fait non seulement de cette œuvre un O.V.N.I, mais encore plus un modèle. Chaque chapitre est accompagné de textes, parfois des articles en rapport avec l’histoire, parfois des extraits de récits, parfois des analyses. L’écriture est aussi et surtout accompagnée par une richesse graphique ahurissante qui offre au récit une dimension encore plus réaliste. La capacité du scénariste à créer et à maîtriser ses flashback sans jamais perdre le cours du récit et surtout son rythme nous immerge encore plus dans cette œuvre. On est ainsi plongé au cœur de cet univers et on est happé par l’incroyable capacité des auteurs à nous construire un récit hyper moderne, très structuré, mais aussi original et intemporel. D’ailleurs cette intemporalité est marquée par la présence omniprésente d’une horloge à chaque chapitre, s’approchant toujours un peu plus de l’heure de la fin du monde. Bien sûr, cette montre fait écho au titre de la BD.

Je ne sais comment mieux exprimer combien Watchmen est une œuvre forte, complète et exceptionnelle. Il n’appartient qu’à vous de vous plonger dedans et de vous faire votre propre avis. Tout amateur de BD se doit de lire ce monument tellement il a influencé et chamboulé l’univers du comics-book et de la BD. Véritable roman-graphique (c’est-à-dire une œuvre dont l’écriture se retrouve aussi dans le dessin, et généralement en un seul tome, bien que Watchmen fut publié en plusieurs fois), Watchmen est à la BD ce que 1984 par exemple est à la littérature. Une œuvre puissante, forte, une référence absolue.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.