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Indiana Jones et le temple maudit – Steven Spielberg

Indiana Jones and the Temple of Doom. 1984.

Origines : États-Unis
Genre : Aventures
Réalisation : Steven Spielberg
Avec : Harrison Ford, Kate Capshaw, Amrish Puri, Roshan Seth, Ke Huy Quan.

En l’espace d’un seul film, Steven Spielberg et son complice George Lucas sont parvenus à hisser Indiana Jones au panthéon des grandes figures cinématographiques. A tel point que son seul nom apposé sur l’affiche suffit à nous promettre les plus folles aventures, où qu’elles se déroulent. Les deux hommes en ont pleinement conscience et jouent là-dessus pour tromper les attentes du public. Si Indiana Jones et le temple maudit est aussi riche en action que Les Aventuriers de l’arche perdue, il joue moins sur le côté globetrotter de son héros en l’enfermant durant une bonne partie du film dans les arcanes du temple du titre. Cette fois-ci, l’aventure se déroule, pour l’essentiel, en lieu clos, ce qui participe à la tonalité plus sombre de ce second épisode.

Shanghai, 1935. Indiana Jones réchappe in extremis au guet-apens que lui a tendu Lao Che dans son cabaret, alors que les deux hommes avaient convenu d’un échange de relique d’une manière plus civilisée. Dans sa fuite, il entraîne Willie Scott, la chanteuse vedette de l’endroit, et rejoint Demi-Lune, son jeune protégé, qui les emmène au plus vite à l’aérodrome. A partir de là, les choses vont de mal en pis pour le trio. Les deux pilotes de l’avion désertent l’appareil en plein vol, obligeant leurs passagers à effectuer un improbable saut à la suite duquel ils se retrouvent dans un village touché par le malheur et qui requiert leur aide. Laissant parler son instinct d’archéologue, Indiana Jones s’engage à ramener la pierre sacrée qu’on leur a dérobé et à libérer les enfants kidnappés. 

Dès l’entame du film, on sent l’envie de Steven Spielberg de se démarquer du précédent opus, tout en se permettant quelques clins d’oeil au cinéma qu’il affectionne. Le film démarre par un spectacle de danse que n’aurait pas renié Busby Berkeley, célèbre chorégraphe de Hollywood, spectacle qui annonce l’entrée en scène de Indiana Jones, ceint dans un smoking blanc impeccable qu’on croirait sorti tout droit de la garde robe de James Bond. Cela nous change considérablement du temple aux pièges multiples, perdu au fin fond de la jungle sud-américaine des Aventuriers de l’arche perdue. D’ailleurs, le changement semble avoir été le mot d’ordre de cette suite. Ainsi, nous ne retrouvons aucun des personnages du premier film, les Marcus Brody, Sallah ou encore Marion. L’absence de cette dernière est plus logique dans la mesure où Le Temple maudit se déroule un an avant les événements narrés dans Les Aventuriers de l’arche perdue. Maintenant que le personnage nous est familier, que l’on connaît son double statut de professeur en archéologie et d’archéologue-aventurier, il n’est dès lors plus nécessaire de lui faire refouler le sol des Etats-Unis. Steven Spielberg s’appuie sur la complicité nouée avec le public en un film pour distiller quelques références à la première aventure. Cela passe par le dialogue (évocation de son métier d’enseignant), par des scènes qui renvoient à l’identité même du personnage (sa phobie des serpents) ou par d’autres qui renvoient à des moments forts de l’aventure précédente (un nouveau duel face à des adversaires armés de sabres à l’issue différente). Car si son environnement et ses compagnons de route changent, Indiana Jones reste le même. Il demeure cet homme intrépide et valeureux à la chance insolente, quoique sa timidité initiale se soit changée en une légère arrogance vis à vis de la gent féminine. Harrison Ford se fond toujours avec autant de bonheur dans ce rôle, et continue de façonner cette figure de héros à visage humain, ne perdant pas de vue que ce sont ses faiblesses qui le valorisent à nos yeux. Pour cette seconde aventure, Spielberg lui adjoint Willie Scott, une chanteuse de cabaret habituée au luxe et au confort, et un garçonnet débrouillard du nom de Demi-Lune, lequel voue une admiration sans borne au docteur Jones. Le trio prend alors des allures de famille recomposée aux vacances bien peu reposantes. La présence de Demi-Lune peut paraître étonnante, d’autant qu’on a du mal à imaginer Indiana Jones s’encombrer d’un gosse. Cette présence découle de la nouvelle orientation que Steven Spielberg donne à sa carrière depuis la sortie du premier Indiana Jones. Lui, l’homme sans progéniture, montre un intérêt certain pour leur univers, intérêt qui se matérialise avec E.T., film presque entièrement réalisé à hauteur d’enfants. Par la suite, ses réalisations (son segment de La Quatrième dimension) comme ses productions (Gremlins) attestent de cette nouvelle inclination. Paradoxalement, c’est en intégrant des enfants à l’univers d’Indiana Jones qu’il réalise l’épisode le plus sombre de la saga.

Le choix de cette tonalité lui a été soufflé par George Lucas, pour qui un second épisode se doit d’être toujours plus noir que le premier. Dans Indiana Jones et le temple maudit, cela se traduit par l’enfermement des principaux protagonistes dans le cadre suffocant des profondeurs du somptueux palais de Pankot. Nous sommes alors plongés dans les rites séculaires des Thugs, confrérie religieuse adoratrice de Kali, déesse de la mort. Après les nazis, Indiana Jones est confronté à d’autres illuminés sanguinaires, mais à la portée moindre puisque nettement moins ancrés dans l’imaginaire collectif et appartenant à un passé qui semble révolu. Cela autorise quelques excès à Steven Spielberg et son équipe, aussi bien pour les décors (le lieu de culte se situe au-dessus d’un cratère abritant de la lave en fusion), que pour les éclairages à dominante rouge et jaune qui confèrent une aura diabolique à ces lieux, que pour quelques effets gores dont le point d’orgue demeure l’arrachage à vif du coeur d’un sacrifié. L’imagerie mortuaire domine toutes les scènes du temple avec cette profusion de cadavres en putréfaction, de crânes humains à usage multiple, et de ses enfants aux corps décharnés. Car oui, chose jusque là inédite dans l’oeuvre du cinéaste, les enfants sont maltraités. Ils sont enlevés à leur famille, asservis, affamés et drogués. Ce sont les premiers sacrifiés sur l’autel de la fortune et de la gloire qui conféreraient la toute puissance aux Thugs, désireux d’imposer leur culte au détriment des autres religions qui régissent l’Inde. Cette violence envers les enfants n’épargne pas Demi-lune, qui connaîtra lui aussi quelques émotions fortes. Néanmoins, si Spielberg se refuse à dépasser certaines limites dans la noirceur, l’image d’enfants enchaînés travaillant sous le joug du fouet de leurs geôliers suffit à dévoiler un aspect plus dur et monstrueux de l’univers de Indiana Jones, qui se veut aussi un reflet de notre propre société.  

Au-delà de ce versant plus obscur de l’univers de l’archéologue-aventurier, Steven Spielberg révèle de belles aptitudes à la comédie. Il y a d’abord cet humour, un peu facile mais efficace, issu du décalage entre le côté sophistiqué de Willie Scott et l’environnement pour le moins hostile de la jungle. Spielberg use aussi de ce décalage lors du banquet au palais dont les mets servis ne conviennent pas au palais délicat de la chanteuse. Le résultat est moins efficace du fait de la lourdeur du procédé (chaque plat est plus repoussant que le précédent) et du fait que ces inserts humoristiques soient mis en parallèle de façon grossière avec la discussion autrement plus intéressante entre Indiana Jones et ses hôtes. Par contre, le jeu de séduction qui suit entre Willie et Indiana brille par l’intelligence de sa construction, toute en parallèles et mimétismes. Et le personnage féminin de se débarrasser du même coup de la pesante image de la compagne hystérique du héros, pour se montrer sous un jour plus amène et plus riche. Elle possède ce côté enfantin inhérent à de nombreux personnages “spielbergiens” ainsi que cette obstination qui la pousse à suivre les pas du héros et à surmonter ses craintes. Dans un registre différent de celui du personnage de Marion, Willie Scott revêt autant d’importance pour le nouvel éclairage qu’elle apporte à la personnalité du célèbre aventurier.

Bien que désavoué par son auteur (Spielberg a toujours regretté la violence de son film), Indiana Jones et le temple maudit n’a pas à rougir de la comparaison avec son illustre modèle. Il s’agit là encore d’un excellent film d’aventures qui ne noie jamais ses personnages sous un flot d’actions ininterrompues et qui, au contraire, les laisse respirer pour aboutir à un résultat à la fois spectaculaire et vivant. Du grand art !

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