Mad Max 2 – George Miller
Mad Max 2, the road warrior. 1981Origine : Australie
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Aux normes australiennes (et même aux autres), Mad Max premier du nom a cassé la baraque. Avec un budget de 350 000 dollars australiens (ce qui équivalait à peu près à autant de dollars américains), le film ramassa plusieurs dizaines de millions de dollars à travers le monde. De quoi mettre en chantier une séquelle qui allait multiplier plus de dix fois le budget du premier film, mettant à disposition de Miller une logistique inédite dans le cinéma australien, très proche de celle des films hollywoodiens. Et il en avait bien besoin, le George, pour assumer ses ambitions démesurées. S’attachant aux répercutions d’une vengeance dans un monde de plus en plus violent, le premier Mad Max prenait des allures intemporelles en se déroulant à une époque et dans un lieu non donnés. Sa séquelle débute par une remise en contexte de la vengeance de Max, affirmant ainsi un changement d’orientation dans une histoire qui n’est pourtant nullement oubliée. Ainsi apprend-on que l’unité de police dans laquelle travaillait Max Rockatansky était un résidu de pouvoir officiel qui cherchait encore à maîtriser ses citoyens après une dévastatrice guerre du pétrole entre deux puissances ennemies. De longues années plus tard, lorsque débute Mad Max 2, la barbarie a triomphé. La civilisation n’existe plus, et les routes sont squattées par des tribus qui s’affrontent pour un peu d’or noir. Quant à Max, après avoir vengé sa famille des bikers meurtriers, il continue à écumer les routes, sans but, et ne fait parti d’aucune tribu. Le hasard va pourtant l’amener à renouer avec ses semblables : lui aussi en quête de pétrole, il apprend l’existence d’une ville-citadelle abritant une raffinerie et une citerne. La population qui y habite, dirigée par Pappagallo (Michael Preston) est en conflit avec les sauvages guerriers d’Humungus (Kjell Nilsson) et projette de déserter les lieux en emportant la citerne avec eux avant que les hordes d’Humungus ne leur tombe dessus. Max voit là l’occasion d’obtenir un peu de pétrole, et propose donc ses services pour ramener un semi remorque capable de tracter le précieux réservoir. Malgré les insistantes demandes, il refuse de s’engager au-delà…
Si tout le discours social et philosophique du premier Mad Max passe à la trappe, Miller n’en continue pas moins de disserter sur la vie de son personnage une fois que sa vengeance est accomplie. Avec le discours d’introduction sur le mode “Il était une fois” ouvrant le film, Max cesse d’être la personnification d’un raisonnement général pour devenir un héros à part entière, appelé à être au cœur de la fresque qui s’apprête à être narrée. Le réalisme du premier film cède la place à un univers science-fictionnel à mi-chemin entre l’anticipation et la fantasy du Conan de Robert Howard. Le jeune homme détruit de la fin du film précédent est devenu un homme avec un cœur de pierre, solitaire, taciturne, vivant au jour le jour. De toute évidence il ne s’est pas reconstruit. Ses blessures morales sont désormais bien enfouies sous une âpreté qui lui permet de survivre tout en rejetant le commerce des autres humains, comme le montre si bien sa première apparition à l’écran, lorsqu’il séquestre avec sadisme le pourtant sympathique aviateur incarné par Bruce Spence. Mais, toujours selon l’introduction, le film concerne un homme “qui réapprend à vivre”. Mad Max 2 doit donc montrer Max regagner petit à petit son humanité perdue. Ce processus ne découle pas d’une volonté de Max de se mettre subitement à apprécier la proximité humaine. Ce sont d’abord de petits détails qui laissent à penser que la carapace de Max peut parfois révéler une faille : déjà la présence d’un chien auquel il tient, ensuite le ramassage d’un petit mécanisme musical qu’il donnera à un enfant sauvage dont il s’attirera la sympathie. Bien qu’il cherche à ne pas le montrer, la réciproque est vraie. Max semble se forcer à demeurer dans son mutisme, refusant l’offre initiale de Papagallo de conduire le semi-remorque déplaçant la citerne au milieu des “chiens de guerre” d’Humungus. Une attitude en fait assez puérile, que Papagallo perce immédiatement en rappelant à Max qu’il n’est pas le seul à avoir perdu des êtres chers, mais qu’en décidant de ne pas s’en remettre il fait preuve de faiblesse. La réaction violente de l’intéressé est un aveu. Elle est à mettre sur le même plan que celle d’Humungus, qui au détour d’un plan révèle les photos de sa famille, ou que celle de Wez, le chien de guerre d’Humungus qui lui aussi perd un être cher pendant le film. Tous deux réagissent également avec violence, montrant ainsi que les plus durs sont souvent en fait les plus faibles, et que les gens comme Papagallo et sa tribu (plusieurs femmes, un éclopé…) sont mentalement bien plus forts. Les autres se sont laissés dominés par leurs émotions. Quelque part, Max est resté le jeune homme assez romantique qu’il était dans le premier film avec ses sentiments à fleur de peau. Il semble avoir peur de s’attacher à quelque chose ou à quelqu’un qui risque à tout instant de mourir, comme ce fut le cas pour sa femme et son fils. S’investir dans une société désireuse de se reconstruire malgré les nombreux dangers qui la guette est donc pour lui hors de question. Il tente donc de fuir, mais il se retrouve coincé par les hommes d’Humungus. En quelque sorte, le siège de la citadelle est aussi celui des sentiments de Max : pour sortir tête haute, il doit prendre la tête du camion citerne qui symboliquement apparaît comme le seul espoir d’une société civilisée. Une sorte de nouveau Mayflower. L’interrogation demeure cependant : Max agit-il en humain, ou agit-il par fierté ? Le narrateur indiqua que Max retrouva là ses penchants humains. Pourtant à la vision du film, rien n’est moins sûr : Max ne s’engage nullement auprès de personne, et sa décision fut prise dans le secret, Miller n’ayant nullement dévoilé l’état d’esprit de Max. La fin du film et la destinée de Max restent donc un mystère. Et le héros de s’envelopper d’une aura qui fait de lui l’un des personnages les plus emblématiques du cinéma d’action… tout comme l’est le film en lui-même.
Car si est devenu une référence incontournable, ayant modelé tout un pan du cinéma d’action (sans compter les “post-nuke” à travers le monde), ce n’est pas qu’à son personnage qu’il le doit. George Miller n’a pas eu recours à un budget aussi gros pour se contenter d’une étude de caractère. Il a tout simplement réinventé la façon dont le cinéma d’action est conçu, le mélangeant allègrement avec d’autres genres qui lui furent souvent associés. C’est le cas du western, qui occupait d’ailleurs déjà une belle place dans le premier Mad Max. La ville assiégée par des bandits devient ici une citadelle futuriste, l’or devient l’or noir, les hors-la-loi et leurs chevaux deviennent des barbares motorisés, l’élan pionnier devient le grand départ pour reconstruire, les plans larges ne cernent plus le désert américain mais l’outback australien. Et Max n’est autre que le mercenaire inconnu digne de l’homme sans nom de Sergio Leone. Miller remet au goût du jour un genre qui lui-même s’inspirait des productions asiatiques. Un énorme travail fut effectué sur la désolation du monde (pour cela, l’outback a joué un grand rôle, avec ses teintes dorées), sur l’aspect poussiéreux de la citadelle faite de bric et de broc et bien sûr sur le look des personnages, les troupes d’Humungus devenant des punks (la costumière Norma Moriceau se fit connaître pour ses compositions punks) tandis que les gentils adoptent des allures de nomades. Et c’est bien ce qu’ils sont : le “no future” semble être le leitmotiv des uns et le “déménagement” l’objectif des autres. Quant à Max, il est resté dans sa combinaison de flic en cuir noir, ce qui lui donne non seulement un profil iconique mais l’englue aussi dans son passé revanchard.
Mais le côté révolutionnaire le plus évident de Mad Max 2 demeure ses scènes d’action, dominées par la rudesse des scènes motorisées en totale adéquation avec la nature de ses personnages “à vif”. Le premier film franchissait déjà un palier, et le second vient définitivement asseoir Miller comme l’un des metteur en scène les plus doués à ce niveau. La course-poursuite finale, étirée sur un quart d’heure, relègue Bullit aux oubliettes et influencera à l’avenir bon nombre de films hollywoodiens. Miller ne détourne jamais son attention du camion conduit par Max, et à l’aide de caméras spéciales il réussit à donner une impression de grande vitesse sans même avoir recours aux habituels points de vue depuis les pare-chocs. Les quads, motos et voitures, les utilisations d’armes, les duels en corps à corps, tout ceci est retranscrit comme un véritable ballet violent, sans aucun temps mort grâce à un montage qui ne rompt jamais l’action. Sans être un plan séquence, cette course-poursuite (qui n’a à ce jour jamais été surpassée) se fait de façon limpide donnant l’impression de suivre l’action en temps réel, sans aucune ellipse de temps. C’est tout simplement la scène d’action parfaite ! L’ensemble du film n’est lui-même pas loin d’être parfait…