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Les Voiles écarlates – Aleksandr Ptouchko

voilesecarlates

Алые паруса. 1961

Origine : U.R.S.S. 
Genre : Aventures 
Réalisation : Aleksandr Ptouchko 
Avec : Anastasiya Vertinskaya, Vasili Lanovoy, Ivan Pereverzev, Aleksandr Lupenko…

A proximité d’un village de pêcheurs vivent la jeune Assol et son père Longren, devenu fabriquant de jouets après la mort de sa femme. Tous deux subissent le mépris de la plupart des habitants, et même leurs moqueries en ce qui concerne Assol. Car depuis qu’elle est enfant, elle attend que s’accomplisse la prédiction qu’un vieux magicien lui a faite lorsqu’elle était enfant. Selon lui, un beau jour, un navire aux voiles écarlates mené par un prince accostera pour venir la chercher. Dans un autre pays, pendant qu’Assol rencontrait son magicien et grandissait patiemment, un gamin de la noblesse nommé Arthur Gray rejetait l’éducation stricte et la condition huppée de sa famille pour partir à l’aventure comme matelot, puis comme capitaine de son propre navire…

Pour un occidental, Aleksandr Ptouchko qui adapte Les Voiles écarlates du romancier Aleksandr Grin, ça ne signifie pas grand chose. Par contre, en Union Soviétique, cela signifiait la rencontre entre le maître de l’animation locale et un classique de la littérature abusivement étiquetée “jeunesse”. Ptouchko fut en effet un pionnier en matière d’effets spéciaux, animant des marionnettes en stop-motion jusqu’à la sortie en 1935 de son propre propre long-métrage, une adaptation à la soviétique des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift mélangeant stop motion et prises directes avec une complexité jusqu’ici inédite. Suite à ce succès dont la renommée s’exporta au delà du cordon sanitaire imposé par les puissances ennemies, Ptouchko bénéficia de son propre département d’animation au sein de la prestigieuse Mosfilms, où, la plupart du temps dans l’ombre, il supervisa la conception et la production de plusieurs courts et longs métrages. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il eut l’honneur de réaliser le premier film soviétique en couleurs (La Fleur de pierre), puis plus tard le premier film soviétique en cinémascope et stéréo (Ilya Muromets). En 1961, profitant du relâchement du jdanovisme sous Khrouchtchev, il adapta donc Les Voiles écarlates, roman d’aventures datant de 1922 à l’origine d’une tradition à Leningrad, où depuis la fin de la Grande Guerre Patriotique un navire similaire à celui du roman parcourt la Neva pour symboliser la fin de l’année scolaire. L’auteur du roman, Aleksandr Grin, mort en 1932, est une figure notoire du romantisme russe, refusant toute politisation de son œuvre qu’il veut apatride et portée sur un imaginaire pas forcément fantastique.

Des caractéristiques que l’on retrouve dans cette adaptation à la tonalité légère et à la morale très “conte de fée”. Les Voiles écarlates prennent donc un malin plaisir à piétiner la normalité et le fatalisme pour mieux prôner la puissance des rêves. Une rupture marquée avec le réalisme dans laquelle, à l’instar de n’importe quel autre conte, les dés sont comme qui diraient pipés. Il est très clair que Assol (merci aux anglophones de ne pas faire de jeux de mots) clouera le bec à ceux qui se moquent d’elle et que Arthur réussira à s’imposer sur les mers. Bien qu’ils ne soient amenés à se rencontrer qu’à la fin du film, les deux personnages grandissent côte à côte par la magie du montage alterné. Ils sont donc amenés à concrétiser la prophétie du vieil homme qui se prétendait magicien. Mais l’était-il vraiment ? L’originalité première des Les Voiles écarlates est qu’il se refuse à plonger dans le fantastique. Les deux personnages vivent leurs vies comme des rêves sans pour autant avoir affaire à des évènements aussi improbables que ceux auxquels est confronté un Baron de Munchausen. Ils s’échappent de leur quotidien et attendent leur heure avec une joie permanente, sans jamais tomber dans le piège de la sinistrose posé par leurs ennemis respectifs (les villageois pour l’une, les parents pour l’autre). Ce qui en plus d’égayer particulièrement le film permet justement à Assol et Arthur d’être toujours au-dessus de toutes les considérations trop terre-à-terre sans vivre des aventures légendaires. Certains pourront voir dans cette capacité d’évasion par le rêve une discrète trace de subversion au sein du paradis socialiste. Il y en a très certainement, mais elle ne s’adresse pas moins à un régime socialiste qu’à un régime capitaliste où qu’à n’importe quelle organisation sociale. Que ce soit pour fuir une foule de villageois rancuniers ou un père aristocrate tyrannique, le rêve sert à fuir une situation qui est avant tout personnelle. D’abord mentalement, puis physiquement, en s’évertuant à le réaliser. Comme le suggère le silence sur les endroits et sur l’époque de l’intrigue, cela s’applique en tous temps et en tous lieux. Certains autres personnages s’y adonnent également, comme par exemple ce domestique de la famille Gray qui a donné le goût des voyages à Arthur. C’est cette universalité qui rend Les Voiles écarlates très accessible et capable de séduire n’importe qui, n’importe quand, et n’importe où. Mais il n’y a pas que ça.

Pour remplacer le fantastique, Ptushko utilise donc les caractères de ses deux personnages principaux. La demoiselle lunaire et l’aventurier impétueux. Mais il utilise aussi son savoir-faire en termes esthétiques. De nombreux décors sont à couper le souffle, alors même qu’il n’y a aucun effet véritablement spécial. Les voyages d’Arthur (ou les représentations qu’il se fait, lorsqu’il est enfant, des récits du domestique) sont ainsi l’occasion pour nous montrer des combats de pirates, des bateaux tanguant sur des mers déchaînés, ou prisonniers des glaces sous des aurores boréales… Cantonnée dans son village, Assol n’est pas en reste : elle vit en bord de mer, également non loin d’une vieille forêt, aidant son père à construire des jouets (ce qui les rattache donc à l’imaginaire… d’autant que leurs spécialités sont les bateaux en bois). Leur petite maison est biscornue, le père inspire une pitié solennelle, mais cette misère excessive permet d’accentuer la différence entre les villageois et Assol. Ptouchko travaille ses éclairages de façon à atteindre un certain niveau d’onirisme en phase avec le sujet de son film. Il a également bénéficié de sa renommée pour mobiliser une logistique importante : le navire d’Arthur est en effet un véritable navire de l’école navale de Rostov, et l’arrivée des “voiles écarlates” (le climax du film, émotionnellement du moins) a été tournée sans artifices, au grand plaisir des habitants du coin, sur la mer Noire.

Les Voiles écarlates est un film simple, court, très épuré et qui par sa rationalité cherche à rester toujours proche de ses spectateurs. Les enfants, mais aussi les adultes, charmés par l’optimisme ambiant. Ce qui a très certainement contribué à son succès, lequel permit de relancer la tradition de Leningrad en lui faisait quelque peu perdre la signification politique qu’elle contenait au temps de Staline. Les voiles écarlates sont désormais le point d’orgue du célèbre festival des nuits blanches de Saint-Pétersbourg et l’aura du film de Ptouchko demeure intacte. Par son propos, par la façon dont il a été conçu, il se soustrait au temps qui passe, preuve que ce conte de fée sans fées mais avec un imaginaire débordant réussit à s’inscrire dans la tradition de Perrault ou des frères Grimm.

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