La Sentinelle des maudits – Michael Winner
The Sentinel. 1977Origine : États-Unis
|
Michael Winner, c’est Un justicier dans la ville. Le succès hautement polémiste de ce film -et des deux séquelles qu’il lui a donné- a fini par occulter complètement la longue filmographie de ce réalisateur pourtant hétéroclite, et qui en dépit de ses opinions aussi tranchées que publiquement claironnées n’est peut-être pas si difficile à vivre, puisqu’il ne rechigna jamais à réaliser des films ostensiblement commerciaux, soit en servant de véhicules à une star (Oliver Reed ou Charles Bronson de préférence), soit en épousant l’ère du temps. Le changement de genre ne dérangeait pas trop Michael Winner, et contrairement à Don Siegel, à qui le film fut d’abord proposé, il ne ressentit pas de scrupule à s’engager sur La Sentinelle des maudits, appartenant à un genre avec lequel le réalisateur n’était pas familier. Quoique… Il ne s’était livré qu’une seule fois à l’exercice, mais pour un film guère différent de celui-ci : Le Corrupteur (1971), préquelle aux Innocents de Jack Clayton (ou au livre Le Tour d’écrou de Henry James). Assisté par Jeffrey Konvitz, auteur du scénario et du livre dont il est l’adaptation, Winner se retrouva ainsi à la tête d’un casting globalement prestigieux, fait de seconds couteaux charismatiques, de vedettes vieillissantes mais toujours bon pied bon œil et de jeunes pousses prometteuses. Burgess Meredith, Arthur Kennedy, Ava Gardner, Eli Wallach, Martin Balsam, John Carradine, José Ferrer, Christopher Walken, Jeff Goldblum, ce n’est peut-être pas Le Jour le plus long ni La Tour infernale, mais ce n’est pas rien pour un film qui dans le fond n’est qu’une exploitation de la veine démoniaque lancée par Rosemary’s Baby et L’Exorciste. Et ce qu’il y a de bien avec un tel casting sans star au firmament, c’est qu’aucun de ces acteurs ne cherche à tirer la couverture à lui. Probablement aidé par l’expérience (ou la timidité en ce qui concerne les nouveaux venus), chacun reste à sa place et se satisfait de rôles souvent minimes voire ingrats, et qui auraient en fait très bien pu être interprétés par des acteurs moins connus. Les premiers rôles sont tenus par Cristina Raines et Chris Sarandon, tous deux relativement débutants. Ce qui n’est pas fortuit, puisque leurs personnages entrent comme des oies blanches dans un monde séculaire de complots, de soupçons et de mystères.
Alison Parker (Cristina Raines) est une jeune mannequin qui monte, mais qui revient de loin. Grâce à l’aide de son petit ami Michael Lerman, avocat, elle est sur la voie de la guérison après de gros ennuis personnels, dont des tentatives de suicide. Pour se prouver sa propre autonomie, elle désire obtenir son propre appartement à New York, où elle espère bien retrouver son équilibre mental avant d’accepter la proposition de mariage de Michael. Las, l’appartement déniché, situé dans une bâtisse aussi luxueuse qu’imposante, ne met pas beaucoup de temps à la déstabiliser. Ses voisins étranges n’y sont pas pour rien, et les bruits qu’elle y entend la nuit provenant de l’appartement au-dessus d’elle ne sont pas là pour la rassurer. D’autant plus lorsqu’ils la sortent d’un cauchemar surréaliste. Alison contacte donc l’agent immobilier qui lui a proposé le bail. Et selon l’agent, Alison n’a aucun voisin hormis un prêtre aveugle reclus au dernier étage, placé là par le propriétaire : l’Église elle-même.
Une jeune femme se sentant oppressée dans un endroit foncièrement sinistre, des voisins au nombre desquels figure un petit vieux excentrique, un complot de plus en plus palpable, un songe cauchemardesque et un petit ami dont le rôle est incertain. Pas de doute : La Sentinelle des maudits s’inscrit bien plus dans la lignée de Rosemary’s Baby que dans celle de L’Exorciste. Michael Winner hérite non seulement d’une histoire sensiblement similaire, mais il l’illustre en plus avec le même soin que Polanski pour la mise en scène, et avec une musique discordante digne de ce genre de film. L’étrangeté de cette bâtisse massive, sombre et décorée d’un luxe ancien qui ne dépareillerait pas dans un film comme La Maison des damnés est au cœur de l’angoisse que le réalisateur cherche à faire naître. Chaque angle de caméra est travaillé pour obtenir une sensation d’écrasement de l’héroïne, qui dans ses petites tenues apparaît bien fragile au milieu de la majestuosité de son appartement et même de son immeuble. Ainsi, même si les inévitables allées et venues nocturnes dans des couloirs noirs ne sont pas de la plus grande originalité et que plus généralement le film ne peut prétendre devenir une nouvelle tête de file du mouvement “démoniaque”, au moins sont elles très soignées, lui conférant ainsi un certain standing apte à en faire une œuvre plus efficace que le commun des films de maisons hantées, auxquels ces scènes se rattache. Il en va de même pour le casting, et plus exactement ce voisinage qui sans être ostensiblement menaçant se montre inquiétant par plusieurs aspects, que ce soit l’excentricité trop marquée de Burgess Meredith ou la décomplexion provocatrice de ce couple de lesbiennes ressemblant par trop à des sorcières. Des personnalités qui à l’instar du bâtiment sont trop imposantes pour laisser insensible la frêle Alison Parker, dont on vient en outre à se méfier du petit ami, qui pourtant n’habite pas avec elle. Tout converge vers cette idée essentielle : l’héroïne est cernée puis broyée au milieu d’un processus qui la dépasse, elle qui n’a aucune idée de l’endroit où elle a mis les pieds et qui était déjà une victime désignée en arrivant. A partir de ce schéma d’autant plus clair que Alison vit seule, Winner peut donc dérouler son film… L’étape de l’introduction et du non-dit est passée plutôt brillamment, mais le plus dur reste à faire, et c’est là que le film échoue à devenir un classique.
Winner ne fait pas dans la dentelle et ouvre son film sur une assemblée de prêtres italiens se préparant à affronter on ne sait trop quoi. Dès lors, il est inévitable que le fin mot de l’histoire soit rattaché au genre fantastique, ce qui exclut de fait que tout cela sorte de l’esprit tourmenté d’Alison. Certaines scènes en apparaissent inutiles, notamment celles qui tournent autour du passé de la mannequin, dont la véritable finalité n’est autre que de justifier l’apparition du spectre paternel dans la demeure maléfique. Évènement qui aurait pourtant dû faire naître le doute sur la santé mentale d’Alison, mais qui avec ce pré-générique en Italie tourne à vide. Plus grave, la séparation du métrage en deux parties distinctes : la très bonne première partie, où se concentrent toutes les qualités évoquées plus haut, et la seconde partie qui nous fait sortir de l’appartement, rompant ainsi le charme créé pour bifurquer vers un thriller plus classique lorsque Michael entreprend de faire des recherches sur l’immeuble et sur le prêtre qui y loge. Réfugiée chez son petit ami, Alison se trouve dans l’expectative, son pari de l’indépendance étant déjà perdu. Qu’elle trouve refuge auprès du prêtre qui se trouve derrière toute la machination n’a finalement aucune incidence sur le récit, qui n’avance que par les recherches de Michael. Jusqu’au final -spectaculaire sans être grand-guignol- le spectateur n’a alors plus trop l’impression d’assister à un film d’épouvante, surtout lorsque Winner insiste sur la suspicion de la police envers Michael, qui équivaut à une tentative désespérée (et superflue) du scénariste pour enrayer la trop grande linéarité nous conduisant vers le fin mot de l’affaire. Mais là encore, puisque la nature fantastique de l’histoire a été trahie dès l’entame, difficile de prendre au sérieux les soupçons pesant sur les motivations inquisitrices du petit ami enquêteur. Il aurait été préférable de faire progresser l’intrigue en restant dans la demeure tant mystérieuse, pourquoi pas en exploitant le personnage du prêtre aveugle, très sous-exploité.
En revanche, l’enquête de Michael permet aussi de faire surgir une autre qualité… Celle, profondément originale, de placer sur un même niveau les forces démoniaques et les membres du clergé. Après tout, le prêtre incarné par Arthur Kennedy et celui qui sert de sentinelle au dernière étage de l’immeuble sont par leur solennité aussi inquiétants que les voisins fantômes. Alison se retrouve piégée dans la lutte entre le bien et le mal, mettant en exergue l’absence totale de libre arbitre qui parachève et justifie comme il se doit l’idée d’écrasement soulevée par la première partie du film. Et à ce titre, Winner dresse un constat plutôt féroce et que l’on ne retrouve ni dans Rosemary’s Baby ni dans L’Exorciste (un peu dans La Malédiction, par contre) : tout comme la politique, le monde religieux ne rechigne pas à la manipulation, justifiant lui aussi d’intérêts supérieurs. Alison Parker ne pourra en sortir indemne, quel que soit le camp qui l’emporte. Une observation très individualiste plus subtile que celle d’Un justicier dans la ville, mais finalement pas très différente dans sa méfiance envers une institution donnée, autant qu’envers un ennemi intime. La Sentinelle des maudits sera passé par un cheminement parfois décevant (il aurait vraiment fallu trouver un moyen pour ne pas perdre tout le côté “épouvante” en cours de route), mais sa logique permet aisément d’en faire un bon film, très bon par moments, et qui se distingue suffisamment de Rosemary’s Baby pour ne pas ressentir l’impression de déjà vu.