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Embrasse-moi vampire – Robert Bierman

Vampire’s Kiss. 1989.

Origine : États-Unis
Genre : Tragi-comédie vampirique
Réalisation : Robert Bierman
Avec : Nicolas Cage, Maria Conchita Alonso, Jennifer Beals, Elizabeth Ashley…

Difficile d’innover sur le thème du vampirisme tant celui-ci répond à tout un cahier des charges issu en grande partie de la bible du genre : le Dracula de Bram Stoker. Dans le domaine, il existe plusieurs écoles. Il y a ceux qui œuvrent dans le classicisme en reprenant le célèbre personnage du comte ainsi qu’une bonne partie des protagonistes qui l’entourent, se bornant à revisiter le roman originel en y piochant ce qui leur plaît. Puis il y a ceux qui transposent le mythe dans notre époque, cherchant à lui redonner un second souffle en s’éloignant le plus possible de la préciosité et du romantisme chers au dix-neuvième siècle. Enfin, il existe une troisième voie, moins usitée, qui consiste en une approche plus psychologique du vampirisme tel Martin de George Romero, un modèle du genre. Embrasse-moi vampire explore à son tour cette voie en étant le récit d’une aliénation plutôt que celui d’un énième cas de vampirisme.

Peter Loew travaille en tant qu’agent littéraire à New York. C’est un boulot plutôt tranquille qui lui permet de bien gagner sa vie mais pas d’être heureux. Il voit régulièrement une psychanalyste afin d’essayer de comprendre pourquoi il n’arrive pas à se fixer avec une femme. Chaque soir, il court les bars et les discothèques de la ville pour draguer. Et immanquablement, il en revient avec une nouvelle conquête quand bien même la précédente avait tout pour lui convenir. Il ne cesse de papillonner de femme en femme jusqu’à sa rencontre avec une mystérieuse brune -Rachel- qui, durant leur étreinte, le mord dans le cou. Mais qu’est ce qui a bien pu passer par la tête de cette jeune femme ? Serait-ce un vampire ? En tout cas, Peter le croit et, dès lors, son comportement change radicalement.

Embrasse-moi vampire écarte sciemment tout élément fantastique pour se concentrer sur la descente aux enfers de Peter Loew. Celle-ci n’est d’ailleurs pas sans rappeler la nuit de folie vécue par Paul Hackett dans After Hours. A cela rien d’étonnant puisque les deux scénarios sont l’œuvre du même homme : Joseph Minion. Dans les deux cas, nous avons affaire à un homme totalement submergé par des événements qui le dépassent après qu’il ait voulu jouer au joli cœur avec une charmante demoiselle. Sauf que la comédie échevelée de After Hours cède ici la place à un ton plus tragi-comique. Sous le vernis d’une réussite apparente, Peter Loew est un homme désespérément seul. Sorti de son travail, il n’a personne avec qui aller boire un verre : pas un ami, pas une fiancée, rien. Alors il rentre chez lui, enfile un costume propre et se pomponne en vue d’arpenter les bars du coin à la recherche d’une femme. Par bien des aspects, sa vie s’apparente déjà à celle d’un vampire : le jour, il se terre dans son bureau à l’abri de la lumière du soleil ; la nuit, il sort affronter le monde à la recherche d’une femme à entraîner dans son lit tel le nosferatu en quête d’une proie pour étancher sa soif. Véritable créature de la nuit, Peter Loew ne paraît à l’aise que lors de ces instants de séduction, aussi concis qu’efficaces puisque le bougre ne rentre jamais bredouille. Et on peut dire qu’il a la main heureuse ! Toutes belles, ses conquêtes ne se refusent jamais à lui, comme si elles avaient succombé à ce charme magnétique du prédateur qu’on prête au seigneur des Carpates. Pourtant, il n’arrive jamais à nouer une relation stable et durable avec aucune d’elles. Il demeure constamment écartelé entre l’individualisme à tout crin de son époque et ce désir un peu naïf de vivre une belle histoire d’amour avec une femme qui lui ressemble en tous points. En attendant de réussir à faire un choix, la seule présence féminine immuable de son existence est sa psychanalyste, personne vers qui il se tourne pour faire part de son mal être et de son incapacité à aimer. Dans l’absolu, elle ne lui apporte aucune aide, ou en tout cas aucune réponse concrète à ses tourments, mais pour lui, être perclus de solitude, la psychanalyste fait figure de présence rassurante, toujours à l’écoute et au minimum disponible une fois par semaine. Alors qu’elle ne voit en Peter Loew qu’un cas parmi tant d’autres, qui ne suscite un réel intérêt de sa part que lorsqu’il lui fait part des sentiments troubles qu’il a pu ressentir en chassant la chauve-souris venue inopinément interrompre ses ébats. Cela ajoute un peu de piment à des récits par ailleurs relativement plats et assez quelconques. Peter Loew est un new-yorkais parmi d’autres, avec des soucis propres aux gens de son âge. Toutefois, il semble avoir des prédispositions à la dépression, que sa rencontre avec Rachel va mettre en lumière.

A force de multiplier les conquêtes, Peter a dû rencontrer toutes sortes de femmes aux pratiques sexuelles aussi diverses que variées. Il se trouve que cette jeune femme aime mordre son partenaire. A priori, il n’y a pas là matière à écrire un bouquin. Or cette morsure trouve une résonance insoupçonnée dans son esprit, comme une sorte de déclic qui lui fait complètement lâcher prise avec la réalité. Dès lors, il ne s’appartient plus, se considérant comme l’élu de ce vampire. La lumière du soleil lui paraît de plus en plus insupportable, son teint devient livide et il est sujet à de nombreuses crises de paranoïa comme lors de cette scène où il s’effraie de ne plus voir son reflet dans le miroir …alors qu’il y est bel et bien. Peter Loew sombre petit à petit dans la folie, se comportant de manière imprévisible et devenant même carrément odieux avec son employée Alva. Contre cette dernière, il libère toute la somme de ses frustrations nées de sa dépendance à la mystérieuse jeune femme adepte des morsures. La nuit tombée, il vit sous son joug, bien déterminé à lui prouver son amour en agissant comme un vampire. Il est alors en position de faiblesse. Le jour, il retrouve son statut de mâle dominant et tente de se réaffirmer au détriment de sa timide employée, une femme aussi seule que lui. Cette dernière, profondément catholique, réitère à son corps défendant la lutte entre le bien et le mal, entre le Christ et l’antéchrist. Un petit clin d’œil parmi d’autres d’un film qui ne rate jamais une occasion d’invoquer les figures obligées du genre auquel il se rattache malgré tout. Quant à Peter, il patauge dans une profonde confusion, encore bien plus grande que celle qui s’emparait de lui avant sa rencontre avec Rachel. Il est partagé entre l’envie de plaire à cette femme qui l’a choisi, et l’envie d’en finir une fois pour toute, souffrant trop de son statut supposé de vampire. Car Robert Bierman n’en fait pas mystère : Peter n’est pas un vampire, pas plus que Rachel. Peter est juste un homme psychologiquement fragile persuadé d’avoir été vampirisé, ce qui le conduit à se détruire à petit feu. Au-delà de son état de vampire, c’est son état d’homme seul qui l’insupporte et avec lequel il veut rompre. Il sombre dans un profond état de renoncement qui l’amène à avoir des pulsions suicidaires. A trop vouloir trouver le bonheur à tout prix, Peter n’aura finalement récolté que le malheur.

Souffrant de la réalisation passe-partout de Robert Bierman, Embrasse-moi vampire aurait sombré dans l’anonymat s’il ne bénéficiait pas de la performance ahurissante de son acteur principal, Nicolas Cage. Portant entièrement le film sur ses épaules, il ne s’interdit aucunes fantaisies, cabotinant comme un forcené et en allant très loin dans la démesure. A un tel degré, ça tient presque du génie, d’autant plus qu’il sait être émouvant quand il le faut. On peut voir en ce film une critique de l’individualisme forcené, qui pousse les individus a sombrer dans la folie lorsque les événements ne se déroulent pas comme ils le voudraient, faute de solides garde-fous. Ou alors le considérer simplement comme un sacré numéro d’acteur, ce qu’il est assurément.

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