CinémaScience-Fiction

L’Homme illustré – Jack Smight

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The Illustrated Man. 1969

Origine : Etats-Unis 
Genre : Science-fiction 
Réalisation : Jack Smight 
Avec : Rod Steiger, Claire Bloom, Robert Drivas, Don Dubbins…

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Comment adapter un recueil de nouvelles au cinéma ? Le film à sketch semble être la solution la plus indiquée. Mais même à partir de là, il y a deux alternatives possibles : ou celà se fait de façon grossière avec tous les récits (ou ceux séléctionnés pour le film) mis bout à bout, ou au contraire le metteur en scène et ses scénaristes décident de lier d’une façon ou d’une autre tous les sketchs. Dans le cas de L’Homme illustré, le réalisateur Jack Smight choisit la dernière solution, la plus ardue. Il faut dire que cette décision fut motivée par la construction même du recueil de nouvelles signé Ray Bradbury, une anthologie au titre identique à celui du film, qui relia habilement tous ses récits écrits à différentes époque par un “tronc commun” : Carl, le fameux homme illustré. Le corps de cet homme, joué par Rod Steiger dans le film, est couvert du cou aux pieds d’illustrations surnaturelles, qui forcent leurs observateurs à plonger dans des récits se déroulant dans l’avenir. A titre d’exemple, le dessin d’un lion prendra vie et plongera celui qui le regarde attentivement en pleine savane africaine. Le seul espace vierge de la peau de Carl, sur son dos, dévoilera à son spectateur sa propre mort. Ces illustrations furent “imprimées” sur Carl par Felicia (Claire Bloom, alors épouse de Steiger dans le civil), une mystérieuse femme, qu’il côtoya le temps d’un après midi et d’une nuit, et qui disparu subitement au petit matin, elle-même mais aussi sa maison, laissant Carl seul avec son nouveau “pouvoir”, qui tient en réalité davantage de la malédiction : les gens n’aiment pas l’avenir auquel ils assistent en regardant Carl. Celui-ci est donc haï, rejeté. Tentant de retrouver Felicia pour se venger, Carl rencontrera Willie (Robert Drivas), lui comptera son histoire et lui laissera témoigner par lui-même de la véracité de sa tragédie…

Cette rencontre initiale prendra bien plus de temps qu’un fil rouge classique. Elle n’en est d’ailleurs pas vraiment un et s’inscrit comme le temps présent d’une même histoire vue à trois points de vue temporels, avec le passé (les flashback montrant Carl se faire illustrer par Felicia) et le futur (les récits de l’avenir) de temps en temps incrustés dans la narration. Son cadre est champêtre, au bord d’un fleuve au milieu d’une paisible végétation. Cette partie, peut-être celle qui dure le plus longtemps de tout le film, est dépourvue de toute forme d’action. Il n’y a que les deux acteurs discutant ensemble durant là aussi une soirée et une nuit. Barbant ? Non, fort intriguant. Car leurs échanges ne sont absolument pas plats et monotones, et la relation qui naît entre les deux hommes est toujours plutôt tendue. Carl est un homme profondément agressif, qui supporte mal les questions et le regard des autres. Ses illustrations (et il insiste violemment sur ce point : ce sont des illustrations et non des tatouages) semblent également lui avoir conféré une certaine autorité, une puissance morale très initimidante, y compris pour les animaux. C’est un personnage ambigü : à la fois une victime et un oppresseur. Malgré son caractère bien trempé et son récit étrange, il ne semble pourtant pas être fou. C’est cela qui intriguera Willie et par la même le spectateur. Le retour vers le passé et la rencontre entre Felicia et Carl, loin de dévoiler quoi que ce soit, entiendra encore le mystère ambiant. Là aussi, nous sommes dans un milieu champêtre. Felicia vit seule et n’est pas la sorcière à laquelle nous pouvions nous attendre. C’est une femme gentille, mais étrange. Elle n’évoque pas son don d’illustratrice, pas plus que la conséquence de toutes les illustrations qu’elle s’apprête à dessiner sur Carl, se basant parfois sur les paroles de celui-ci, ce qui fera plus tard regretter au bonhomme de s’être entièrement livré. Il y a une certaine relation érotique latente entre les deux personnages et Felicia peut être vue comme une sirène d’un genre particulier. Ce passé, en apparence tout aussi inoffensif que le présent, aura pourtant comme incidence d’intriguer encore davantage Willie (auquel s’identifie toujours le spectateur), qui voudra en savoir plus, voulant à son tour tester le pouvoir des illustrations.

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C’est là que commenceront donc les récits de science-fiction à proprement parler. Trois des dix-huits nouvelles de Bradbury seront utilisées : La Brousse, La Pluie et La Dernière nuit du monde. Toutes trois soulèvent comme thème majeur l’évolution scientifique et ses retombées pas forcément très réjouissantes, et sont jouées par les mêmes personnages : Carl, Felicia et Willie (Smight n’utilise d’ailleurs en tout et pour tout que sept acteurs dans son film). La Brousse se déroule dans un futur asseptisé et fait de Carl et de Felicia un mari et son épouse. Aucun des deux ne doit plus travailler, sa vie familiale est en plus régulée par le gouvernement, qui lui assigne un conseiller en santé mentale (Willie). Son cadre de vie, sa maison, est d’une blancheur immaculée, seulement ternie la nuit, avec des lumières chaudes artificielles. Smight, fidèle, à Bradbury, dénonce ici la mécanisation de la société, dans laquelle l’homme, à force d’avoir trop bien réussi à faire progresser la science, n’a plus sa place. Les seuls choses restant à faire sont boire, manger et faire l’amour. Il n’est plus question de sentiments, ici : la vie est mécanique. Alors les enfants de ce couple ont trouvé réfuge dans la seule alternative dont dispose la famille pour connaître autre chose : une salle de jeu permettant d’intégrer un monde virtuel. La savane est ainsi le lieu de prédilection des enfants. Mais ce lieu soit-disant inoffensif pourrait bien avoir des conséquences inattendues. Dans une vie de famille à ce point insipide, comment peuvent réagir des enfants face au choc que constitue leur découverte d’un monde totalement naturel, que leur parents vont vouloir à un moment censurer ? Et ces parents peuvent-ils réellement croire la science, lorsqu’elle leur dit que ce monde reconstitué est sans danger ? Bien évidemment non, et la nature prendra sa revanche sur cette société qui croyait en faire un simple divertissement puéril.

La Pluie, le second récit, sera tout aussi pessimiste. Il changera pourtant tout à fait de cadre, se déroulant sur une planète extra-terrestre en permanence sous des trombes d’eau. Au milieu d’une végatation triste et boueuse, quatre militaires (dont Carl et Willie) se sont perdus et recherchent le prochain dôme solaire leur permettant de revenir à la civilisation. Mais il ne le trouvent pas, et les relations vont se dégrader entre l’officier (Carl) et ses hommes. Cette “illustration”, plus courte que la première, est assez simple. Il s’agit encore une fois de la revanche d’une nature violée sur une science sûre d’elle-même, incarnée par ce militaire vaniteux. La qualité ici est essentiellement formelle : la pluie battante envahit tout, y compris les dialogues, les personnages finissant par ne plus se comprendre et sombrer petit à petit dans la folie. La végétation étrange y est également pour beaucoup : il s’agit presque d’une moissisure, se nourrissant de cadavres et proliférant dans tous les endroits accessibles, y compris le tant recherché dôme solaire.

Quant à la troisième illustration, elle aussi assez courte, elle se déroulera carrément pendant ce qui est censé être la dernière nuit de l’humanité avant la disparition du monde. Le gouvernement a donné l’ordre aux adultes d’empoisonner leurs enfants dans leur sommeil, pour leur éviter un trépas qui viendra on ne sait comment. Mais le couple de l’intrigue (Carl et Felicia) ne peut s’y résoudre. Ca parle ici beaucoup, et il faudra attendre le dénouement pour que là aussi l’idée de la nature reprennant ses droits sur la science, qui a même par triompher de l’humain, ne vienne s’immiscer dans l’intrigue. Mais on pardonnera aisément, grâce à un visuel extrêmement travaillé, dans une maison aux murs en draperie, illuminée par un subtil éclairage éthéré rose et jaune donnant presque à cette maison des allures mythologiques.

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A la fin de ces différentes visions du futur, à chaque fois entrecoupées par un retour dans le présent ou le passé,Willie, convaincu et mal à l’aise, finira donc par regarder dans la zone vierge du corps de Carl, celle qui lui révélera sa propre mort… Une surprise l’attendra.

L’Homme illustré, en raison de sa structure narrative particulière, n’est pas un film comme les autres. Le soin apporté à sa conception est digne d’éloges : Rod Steiger est brillant, la musique éléctronique de Jerry Goldsmith l’est tout autant, et les mouvements de caméra, souvent lents voire statiques, encadrent à merveille ces histoires fatalistes dont les thèmes certes assez classiques restent malgré tout encore assez pertinents de nos jours. On pourra repprocher à certaines des illustrations de l’avenir d’être assez inégales, mais en tout cas elles ne briseront pas l’atmosphère particulière d’un film qui se démarque de façon remarquable de tous ses contemporains du cinéma de science-fiction.

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