CinémaPolar

Docteur Mabuse, le joueur – Fritz Lang

mabuse

Dr Mabuse, der Spieler – Ein Bild der Zeit. 1922

Origine : Allemagne 
Genre : Policier 
Réalisation : Fritz Lang 
Avec : Rudolf Klein-Rogge, Aud Egede Nissen, Bernhard Goetzke, Gertrude Welcker…

Dans les temps troublés de la République de Weimar, le mystérieux docteur Mabuse use de ses pouvoirs psychiques pour perpétrer des crimes audacieux dans le plus grand anonymat. Sur les traces de ce génie du mal, le procureur Von Wenck se lie d’amitié avec Gerhard Hull, jeune industriel fortuné. Ce dernier, qui a été la victime d’une étonnante arnaque au jeu, va l’introduire dans le milieu interlope du Berlin nocturne.

Fritz Lang a toujours refusé l’étiquette de maître de l’expressionnisme allemand, pourtant il la mérite amplement et Mabuse : le joueur est sans doute l’un des plus grand représentant de ce genre !
L’expressionnisme est né en 1920 avec le film Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, ce genre se développe dans l’Allemagne d’immédiate après guerre : le pays est dévasté et l’industrie du cinéma naissante ne peut rivaliser avec les grosses productions Hollywoodiennes de l’époque. Pour pallier le manque de moyen, les films expressionnistes utilisent le symbolisme, les effets de mise en scène et surtout un jeu très poussé avec les ombres et la lumière afin de donner une atmosphère bien particulière aux films. Ces éléments seront rapidement repris par le cinéma Hollywoodien avec l’émigration de nombreux réalisateurs allemands (dont Fritz Lang) en 1933 lors de l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne.
On retrouve donc toutes les caractéristiques de l’expressionnisme dans Mabuse : le joueur, la mise en scène soignée et regorgeant de symbolismes, et surtout ce noir et blanc très contrasté qui donne immédiatement une ambiance très sombre au film.
Lorsqu’il réalise son film, Fritz Lang n’est déjà plus un débutant, son talent de metteur en scène a été révélé par Les Trois lumières sorti en 1921, mais il atteindra son point d’orgue avec Mabuse : le joueur.

Le film est une adaptation du roman du Luxembourgeois Norbert Jacques par Thea Von Harbou, la femme de Fritz Lang, qui se chargera de tous les scénarii de ses films allemands (attachée au parti nazi, elle ne suivra pas son mari lorsqu’il partira pour les Etats unis en 33).
C’est la première fois que le personnage du docteur Mabuse apparaît à l’écran, Lang en réalisera deux suites (dont le célèbre Le Testament du docteur Mabuse qui sera son dernier film réalisé en Allemagne et l’un de ses premiers films parlants – contrairement à Mabuse : le joueur qui est muet) puis le personnage sera récupéré par d’autres réalisateurs et apparaîtra dans une dizaine de films. Sa dernière apparition au cinéma se déroule lors du très Z La Vengeance du docteur Mabuse de Jesus Franco. Quand le roman de Norbert Jacques sort en Allemagne, il connaît rapidement un vif succès, mais c’est bel et bien avec le film de Lang que le personnage du docteur Mabuse assoit sa célébrité et rentre dans l’imaginaire collectif en tant que héros criminel, au même titre que Fantômas ou Fu Manchu, apparus à la même période.
Le docteur Mabuse est un criminel charismatique et intelligent, il maîtrise l’hypnose et peux ainsi contrôler l’esprit de ses ennemis. Il commet très peu de méfaits de lui-même, et utilise le plus souvent l’organisation criminelle dont il est à la tête. Enfin il n’hésite pas à endosser différentes personnalités au moyen de masques et de déguisements (comme Fantômas) pour tromper ses victimes.

Mais revenons plutôt au film de Fritz Lang. Mabuse : le joueur est une fresque qui se divise en deux actes, “Dr Mabuse, der Spieler – Ein Bild der Zeit” (“Le Dr Mabuse, le joueur : Tableau d’une époque”) et “Inferno – Menschen der Zei” (“Hommes d’une époque”) pour une durée totale d’environs 5 heures. Chaque acte est divisé en plusieures scènes, comme une pièce de théâtre. Il faut voir ici une manifestation de l’amour pour le théâtre qu’éprouve Fritz Lang. Ce goût pour le théâtre se manifeste aussi dans la dramaturgie très maîtrisée qui rythme le film et dicte les relations entre les personnages. Mais si ces aspects inscrivent le film dans une tradition classique, Mabuse : le joueur est également un des premiers films à lancer la mode du sérial, genre populaire par excellence. Ce genre, que Fritz Lang découvre lors d’un voyage à Paris alors qu’il assiste à la projection des Fantômas de Louis Feuillade, se caractérise par des histoires pleines de rebondissements et de suspense et développe des personnages de héros et de bandits hors normes, propres à fasciner à la fois l’imagination des classes populaires et des intellectuels. Aussi le film se voit doté d’un rythme très soutenu et d’un suspense omniprésent et sans cesse renouvelé. Dès la première scène on est plongé dans l’action, on voit le docteur Mabuse monter toute une opération criminelle visant à s’emparer d’un important contrat commercial, et à lancer une fausse rumeur boursière favorisant la spéculation pour ainsi escroquer les actionnaires. Tout ceci est accompagné d’une musique au rythme trépidant et filmé tel un ballet d’un genre nouveau par Fritz Lang. Et immédiatement l’ambiance est posée. On voit tout de suite Mabuse comme un criminel novateur, effectuant à distance un braquage de type nouveau. La suite de l’histoire verra le docteur Mabuse s’infiltrer dans des cercles de jeu clandestin pour y escroquer les joueurs grâce à son pouvoir d’hypnose. Mais face à lui se dressera le procureur von Wenk qui s’associe à Edgar Hull, que Mabuse a escroqué lors d’une partie de cartes, pour mettre fin aux exactions du criminel. La musique du film a été composée par Aljoscha Zimermann en 2001, les partitions originales ayant été perdues. Cependant le thème est très réussi et le caractère volontairement rétro des nouvelles partitions collent parfaitement au film.

Mabuse : le joueur se veut aussi un portrait de son époque, une description de cette période de troubles sociaux et de renversement de valeurs. Lang symbolise les classes de cette nouvelle société via ses personnages archétypaux : des aristocrates déchus et décadents qui dilapident leur fortune dans des jeux de hasards (en l’occurrence les cartes, Mabuse : le joueur se déroulant entièrement dans le monde des jeux clandestins), une nouvelle élite faite de planqué pendant la guerre et de profiteurs de la crise, et le reste, le peuple qui est à la fois dépendant (de la cocaïne ou du jeu) et écœuré par les excès de la nouvelle classe aisée. A ce titre les scènes où on voit la foule en furie sont l’écho évident du climat de violence sociale de la république de Weimar.
Le titre du film, Mabuse : le joueur fait référence au jeu à plusieurs niveaux. Comme le disent les personnages du film dans l’une des scènes clés :

– Comte Told : Que pensez-vous de l’expressionnisme ?
– Mabuse : L’expressionnisme est un jeu… Mais pourquoi pas ? Tout est jeu aujourd’hui.

Comme dit précédemment, le film se déroule dans le monde des tripots clandestins, qui animent toute la vie nocturne berlinoise. Mais le terme de jeu fait également référence à la bourse, où la spéculation est devenue un nouveau jeu, légal celui-ci, mais tout aussi dangereux et engageant des sommes encore supérieures.
Le docteur Mabuse est à un autre niveau, il joue avec les hommes (comme en témoigne cette scène du début, éminemment symbolique, où le criminel tient toute une série de portrait d’hommes en éventail, comme un jeu de carte), il manipule les destins et contrôle les esprits grâce à son talent d’hypnotiseur. Ses crimes ne sont pour lui qu’une grande partie d’échecs ou chaque policier et chaque truand n’est qu’un pion qu’il déplace à sa guise.
Enfin Fritz Lang lui-même est un joueur, son jeu c’est la mise en scène et la narration. Le réalisateur joue avec ses éclairages violents et ses ombres, il utilise la surimpression pour symboliser la puissance psychique de Mabuse, il recourt aux maquillages pour accentuer l’expression de ses comédiens etc.
Tout le film regorge d’éléments symboliques très forts qui en font sa richesse et son caractère révolutionnaire. Enfin la narration cinématographique est orchestrée de main de maître par un Fritz Lang qui calcule et soigne ses plans, alternant plans séquences et enchaînements rapides pour susciter au mieux l’émotion chez le spectateur.

Mabuse : le joueur marque assurément une date dans l’histoire du cinéma, tant par la nouveauté des symboles qu’il évoque que par le caractère proprement révolutionnaire de son montage et de sa mise en scène. Mais c’est aussi un film social dans sa description d’une société en pleine mutation après le cataclysme qu’a été la première guerre mondiale.
Enfin c’est aussi et surtout un excellent film policier, à l’intrigue tendue et pleine de suspense, qui voit l’affrontement de personnages typés et charismatiques.
A voir sans tarder !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.