CinémaWestern

Un shérif à abattre – Giorgio Ferroni

Wanted. 1967.

Origine : Italie
Genre : Chasse à l’homme
Réalisation : Giorgio Ferroni
Avec : Giuliano Gemma, German Cobos, Teresa Grimpera, Serge Marquand, Daniele Vargas, Gia Sandri, Nello Pazzafini.

Les célébrations se succèdent dans la petite bourgade de Greenfield. Fraîchement élu maire, l’éleveur de bétail Samuel Gold s’empresse de désigner l’un de ses hommes, Frank Lloyd, en qualité de shérif. Une nommination que l’éleveur Billy Baker voit d’un mauvais oeil. Devant une foule hostile, il n’hésite pas à accuser le nouveau représentant de la loi d’être un voleur. Il ne doit qu’à l’arrivée inopinée de Gary Ryan d’échapper au lynchage. Cet homme providentiel n’est autre que le shérif officiel, désigné comme la loi l’exige par le juge de la grande ville la plus proche. A charge pour lui de calmer les esprits et d’élucider cette affaire de bétail volé. Sauf que ses ennemis sont plus prompts à la détente. Il le piège comme un bleu pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Derrière les barreaux, le nouveau shérif ne doit qu’à l’aide providentielle de Billy Baker de pouvoir s’évader. Traqué, il n’a dès lors plus qu’une obsession, trouver la preuve que Samuel Gold ne doit son important cheptel qu’à de viles manigances. Retrouver son honneur est à ce prix.

Comme bon nombre de ses confrères d’un cinéma italien alors florissant, Giorgio Ferroni a construit sa carrière en suivant les modes. Il participe de la renaissance de l’horreur gothique avec Le Moulin des supplices, sorti la même année que Le Masque du démon de Mario Bava, avant de se consacrer exclusivement au péplum jusqu’à l’essoufflement du genre. En 1965, il signe Le Dollar troué, sa première incursion dans le western spaghetti pour lequel il trouve en Giuliano Gemma le héros idéal. Loin de la frénésie de violence et de cynisme généralement de mise dans les westerns transalpins, Giorgio Ferroni réalise un film de facture plus américaine qu’italienne. Giuliano Gemma incarne le bon gars plein de bonnes intentions dont le sentiment de vengeance qui le motive prend une ampleur plus philantropique. Il en va de même de Gary Ryan, héros de Un shérif à abattre. L’usage du même prénom assure la filiation entre deux personnages qui érigent la justice comme vertu cardinale. Avec ses airs de gendre idéal, Giuliano Gemma campe un personnage dépourvu de toute ambiguïté, homme providentiel d’une bourgade sous le joug d’un potentat local. Un shérif à abattre partage ainsi de nombreuses similitudes avec Le Dollar troué. Giorgio Ferroni y ajoute toutefois un élément fondamental, l’homme de loi pourchassé pour un crime qu’il n’a pas commis, un peu à la manière de la série Le Fugitif, succès de la télévision américaine qui s’étala sur quatre saisons. Une manière de rendre compte de l’extrême difficulté de faire régner l’ordre dans ces contrées reculées où souvent prime la loi du plus fort. Ou du plus puissant.

La première scène du film, sur laquelle se déroule le générique, nous met directement dans l’ambiance. Un cavalier, d’abord anonyme, se fait tirer dessus à la Winchester par un inconnu posté sur les hauteurs du canyon. Un acte totalement gratuit puisque le tireur embusqué s’enfuit une fois son forfait accompli, sans même chercher à s’assurer de sa réussite. Il aurait alors vu sa victime se relever sans une égratignure, peut-être sauvé d’une mort certaine par la présence opportune d’une pièce d’un dollar. Giorgio Ferroni n’explicite jamais la nature de cette scène, même si la révélation de l’identité du cavalier inconnu tendrait à avaliser la théorie du guet-apens. Seulement rien ne vient étayer cette hypothèse par la suite. Par cette absence, cette scène vient donc simplement illustrer la dangerosité de ces contrées sauvages où la frontière entre la vie et la mort paraît extrêmement ténue. Gary Ryan est donc un rescapé mais pas l’un de ces cavaliers revenus de l’enfer pour rendre sa justice comme Clint Eastwood les popularisera par la suite (L’Homme des hautes plaines, Pale Rider). Gary Ryan ne perd jamais de vue qu’il agit avant tout au nom de la loi et recouvrer son honneur passe au second plan après l’exercice de son devoir. Le hasard faisant bien les choses, les deux vont de pair dans cette intrigue. Perçu comme trop vertueux et incorruptible, il devient un empêcheur de trafiquer en rond, un caillou dans la chaussure de Samuel Gold et de sa petite entreprise délictueuse qu’il convient de mettre hors d’état de nuire. Comme Samuel Gold n’est pas n’importe qui, il privilégie la manigance à l’exécution sommaire. A l’image de la petite combine qu’il a montée pour s’emparer ni vu ni connu de têtes de bétail appartenant à d’autres éleveurs, il sait endormir la population pour mieux la contrôler. C’est un bandit en col blanc qui répugne à se salir les mains, déléguant les basses oeuvres à des subalternes. Il n’y aura donc pas de réelles confrontations entre Gary et lui, le shérif déchu préférant nourrir de l’animosité à l’encontre de Frank Lloyd, le violent porte flingue du maire qui joue plus dans sa catégorie. Gary Ryan est lui-même un subalterne, travaillant sous l’autorité du juge Anderson. Il se différencie néanmoins de Frank Lloyd par l’estime mutuelle qui le lie à son supérieur. Et si le juge ne peut s’opposer au faisceau de preuves qui incrimine son ami, il n’en reste pas moins ouvert à tout élément susceptible de l’innocenter. Il est lui aussi incorruptible, et d’ailleurs Samuel Gold ne se risquera pas plus à lui graisser la patte qu’avec Gary. En tant que maire, il ne cherche pas la confrontation. Il n’a que peu d’intérêt à ce qu’un juge vienne mettre son nez dans ses affaires et se plie donc de bonnes grâces, du moins en façade, à ses décisions. Plus vite le magistrat sera retourné dans sa grande ville, plus vite Samuel Gold pourra diriger Greenfield comme il l’entend. Les deux hommes de pouvoir restent néanmoins à la marge d’un récit qui se concentre sur la traque de Gary Ryan sans pour auttant atteindre des sommets d’intensité. Giorgio Ferroni se montre trop timoré dans son approche, ne transformant jamais l’existence de Gary au cauchemar auquel elle aurait pu ressembler.

A côté de bon nombre de personnages de westerns spaghettis, la cavale de Gary Ryan ressemble à une promenade de santé. Sa tête mise à prix, il suscite bien évidemment l’intérêt d’individus qui ne cracheraient pas contre le montant de la récompense. Hors la vindicte populaire se résume aux habitants d’un petit village, et encore se soumettent-ils bien vite à l’autorité du père Carmelo. L’enfer est plutôt réservé à ceux qui lui viennent en aide, Billy Baker et Jeremiah Prescott, deux bonnes âmes qui passeront l’arme à gauche au contact du fugitif. Une forme de malédiction pour quiconque approche le shérif sans étoile à laquelle échappe Martin Haywood, ce joueur de poker professionnel dont la vie se résume à un quitte ou double permanent. Celui-ci sait éviter les mauvais coups et ne cède à la violence que lorsque le rapport de force lui est favorable. Ainsi, il n’hésitera pas à secouer Cheryl, la propriétaire de l’hôtel de Greenfield coupable de faux témoignage, dans la quiétude d’une chambre à l’abri des regards indiscrets. Un homme de l’ombre qui par ses manières et sa mise élégante tendrait à se rapprocher des hommes de pouvoir. Dans le film, il reste un personnage satellite, soutien indéfectible de Gary Ryan qui apparaît à des moments clés de sa cavale (il lui fournit un cheval, intercède en sa faveur auprès du juge) mais sans prendre trop d’importance. Giorgio Ferroni se concentre sur son héros et ne profite guère de ce qu’il traverse pour élargir son propos. Pourtant, dans la foulée des scénarios de Franco Solinas (El Chuncho, Colorado, Le Mercenaire) s’est développée une branche importante du western spaghetti, pas tant par sa quantité que par sa qualité, le western politique de gauche à tendance révolutionnaire. Par l’entremise de son intrigue, Giorgio Ferroni avait matière à redonner toute sa place à la population en lui conférant dans son déroulement un réel poids. Or il la maintient dans son rôle de masse silencieuse et versatile. Dans ces bourgades reculées, l’Ouest sauvage semble l’inévitable jouet d’une poignée d’hommes puissants qui s’en disputent les richesses en édictant leurs propres règles. Dans ce contexte, Gary Ryan ne serait pas seulement le garant de l’ordre mais servirait aussi à veiller au maintien d’une plus grande justice sociale. Le plan final sonne comme un renoncement de sa part. Pour les beaux yeux d’une demoiselle plus du tout en détresse, il tourne le dos à son devoir, préférant l’aventure conjugal à la défense d’un idéal. Cela ne fait pas pour autant d’Un shérif à abattre un western désabusé. Cette conclusion vient plutôt récompenser l’attitude vertueuse d’un homme attaché au respect des lois et à la recherche de la vérité. Il a su mener un combat digne, ne sombrant dans la fange – au sens littéral – que pour mieux triompher de l’adversité. Cela mérite bien un moment de quiétude dans les bras d’une belle femme.

Comme à son habitude, Giorgio Ferroni accouche d’un western sans saveur qui délaisse toutes envolées baroques au profit d’un récit sans surprise peuplé de personnages univoques. La traque promise par le titre tourne court et rien ne vient éveiller l’intérêt. Tout demeure déspérément cadré et aseptisé jusque dans les coups de sang attendus de Frank Lloyd. Incarné par le français Serge Marquand, celui-ci semble constamment hésiter quant à l’attitude à avoir, jouer les salauds majuscules ou les petites frappes sans envergure. Pour notre plus grand malheur, il penche davantage vers la deuxième option, offrant une opposition de circonstance au héros sans failles incarné par Giuliano Gemma. Entre eux, pas d’étincelles, seulement des clapotis dans la boue pour ce western cafardeux et hivernal qui ne rime pas avec génial.

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