CinémaHorreurScience-Fiction

La Mouche noire – Kurt Neumann

The Fly. 1958

Origine : États-Unis
Genre : Diptère
Réalisation : Kurt Neumann
Avec : Patricia Owens, David Hedison, Vincent Price, Kathleen Freeman…

Stupeur pour François Delambre ! Sa belle-sœur Hélène vient de l’appeler pour l’informer qu’elle vient de tuer André, son scientifique d’époux. Elle l’a écrasé sous la presse hydraulique de l’usine de François, ce que le gardien de nuit confirme dans la foulée. Sur place, le frère du défunt accompagné de l’inspecteur Charas découvre le triste spectacle : la tête et l’un des bras d’André ont été réduits en miettes. Chez elle, Hélène assume son acte, mais refuse de parler de meurtre sans pour autant donner la moindre explication. Sachant qu’elle entre en crise dès qu’elle aperçoit une mouche, il y a tout lieu de penser qu’elle est folle à lier, ou au moins qu’elle simule la démence. A moins qu’il ne s’agisse d’autre chose, en lien avec les expérimentations top secrètes de son mari…

Pour quiconque s’intéresse un peu en profondeur à la littérature de science-fiction, la France et les auteurs de langue française ne déméritent pas. Bien sûr, Jules Verne excepté, aucun ne passe pour l’un des maîtres du genre comme peuvent l’être les H.G. Wells, les Philip K. Dick, les Isaac Asimov, les Arthur C. Clark ou autres anglo-saxons qui ont bénéficié autant de la qualité de leurs ouvrages que de la postérité que le cinéma leur a donnés. Or, si la science-fiction francophone à l’écrit est abondante et (parfois) qualitative, elle n’a guère pu compter sur l’appui de l’industrie cinématographique locale. Et quand bien même en aurait-elle bénéficié qu’il n’est pas sûr que cela aurait suffit à la faire rivaliser avec l’armada américaine… Alors lorsqu’un francophone parvient à s’imposer outre Atlantique à la fois en librairie et sur le grand écran, cela vaut le coup d’être souligné ! Rappelons donc à toutes fins utiles que l’auteur de “La Mouche” fut George Langelaan ! Certes, un britannique dont la nouvelle a été rédigée en anglais. Mais Langelaan, après avoir été espion durant la Seconde Guerre mondiale, vécut ensuite en France où il fut directeur de la collection “Agent secret” chez Robert Laffont, rédacteur pour les revues Planète, Plexus et Espionnage de Louis Pauwels et/ou Jacques Bergier, conseiller pour la revue de BD Pilote ou encore chercheur sur les phénomènes paranormaux ! Sa carrière d’écrivain de science-fiction ne fut pas aussi prolifique que celle d’un Jimmy Guieu, pour rester dans le monde francophone, mais on lui doit tout de même ce petit classique méconnu qu’est le recueil Nouvelles de l’Anti-Monde, paru en 1962. On y trouve notamment “La Mouche”, inédite en France mais publiée aux États-Unis en 1957 dans le magazine Playboy. C’est là qu’elle fut très tôt repérée par Kurt Neumann, réalisateur et producteur indépendant, qui réussit à la faire accepter à la 20th Century Fox. C’était donc parti pour le premier film dont le succès entraîna une trilogie, puis plus tard un remake (ou une nouvelle adaptation) lui aussi remarqué… Tellement que l’on a fini par oublier que tout cela est issu de la nouvelle originale de George Langelaan, lui-même largement méconnu.

Pourtant, s’il en ira assez différemment pour celui de David Cronenberg, le film de Kurt Neumann demeure globalement fidèle au récit de l’écrivain anglo-français. Outre qu’il respecte le déroulement de son intrigue, il en retire également cette tonalité un peu grand-guignol misant sur le sensationnalisme de son monstre, et de l’histoire d’icelui. Avant même que le film ne démarre, ce n’est un secret pour personne : André Delambre s’est transformé en mouche ! Le titre le dit et l’affiche le confirme crûment. En un sens, le personnage de Delambre s’apparente à un monstre de foire que le spectateur vient découvrir, attiré moins par le frisson que par la volonté d’assister à quelque chose d’écœurant. Pourtant pas gore pour un sou (si ce n’est éventuellement pour le sang dégoulinant de la presse hydraulique dans l’introduction), le film mise sur ce côté repoussant non sans un certain savoir-faire : suivant en cela ce qu’avait écrit Langelaan, Neumann trouve l’enrobage nécessaire pour éviter de se limiter au seul climax, qui ne peut être que le moment où la tête de la créature est enfin et littéralement dévoilée. Ainsi, ce point d’orgue qui répond tout de même à ce que l’on attendait de lui -un vrai coup de théâtre où l’excès se retrouve aussi bien dans la mise en scène que dans le jeu des acteurs- est encadré par un récit bien délimité : il y a déjà l’entame où l’on constate que Hélène Delambre a assassiné son mari, puis il y a le long flash-back dévoilant pourquoi elle en est arrivée là, et enfin il y a l’épilogue qui introduit un nouveau rebondissement trouvant lui-même le moyen (ce qui est plus inattendu) de rivaliser avec le climax survenu peu auparavant. Une sorte de montagne russe dont le conducteur n’est autre que Vincent Price, probablement l’acteur phare de l’horreur second degré. Dans le rôle du frère Delambre et du confident de Hélène (dont il est secrètement amoureux -il fallait bien cela pour que son personnage ait envie de creuser cette histoire de mouche téléportée par inadvertance), il n’est pas forcément très impliqué dans la mésaventure de son frère. En revanche, il représente bien le spectateur, ni tout à fait extérieur au drame comme l’est l’inspecteur Charas ni tout à fait impliqué comme Hélène Delambre. Mais à vrai dire, la présence de Vincent Price n’est pas vraiment l’un des plus grands atouts du film, qui dans sa partie flash-back se débrouille très bien sans lui pour naviguer dans les eaux du second degré. L’enthousiasme enfantin de André Delambre sur sa découverte, sa frénésie d’expérimentations (un cendrier, un chat, un journal, du champagne) suivi subitement par sa fortuite déchéance puis ses vaines tentatives pour y remédier avec l’aide de sa femme suffisent à faire de La Mouche noire un digne représentant de l’âge du second degré. Il n’y a pourtant là aucune trace d’humour ostensible, et à la rigueur on pourrait considérer que le film amuse malgré lui. Pourtant, le savoir-faire du réalisateur est dans le cas présent indéniable : la manière dont son film est composé, monté et joué indique que Kurt Neumann ne cherche pas à se prendre au sérieux, et qu’il veut avant tout surfer sur la légèreté d’une époque où les évolutions politiques, sociales, scientifiques, culturelles et autres entraînent de nouvelles approches dans une forme de cinéma se voulant avant tout populaire et qui fait se rejoindre la science-fiction, l’horreur et l’humour noir (un peu à la manière de cette autre mode de l’époque qu’étaient les EC Comics).

Les années 50 avaient pourtant leur lot d’interrogations et d’inquiétudes. La science en était une forte pourvoyeuse : autant elle améliorait à grande vitesse le quotidien des citoyens ordinaires, autant elle contribuait à les menacer à très court terme. Les séries B ont préféré dédramatiser en exagérant le drame potentiel. Ici, Neumann joue à plein la carte du progrès scientifique : André Delambre n’a d’autre ambition que d’apporter un monde où les déplacements de biens et des personnes ne coûteraient rien. Ce n’est pas un savant fou mégalomane et marginal : employé par le gouvernement, il cherche au contraire à se rendre utile à ses semblables en apportant l’abondance sur toute la planète. Ses bénéfices personnels ne comptent pas, et c’est probablement pourquoi il se prend lui-même pour cobaye. Bref, André Delambre a une foi aveugle en la science, et à l’occasion d’une scène il annonce à sa femme un avenir radieux pour l’humanité. Son malheur est donc tombé comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage. Là encore, Neumann orchestre cela de manière à restituer cette impression : c’est hors champ que la funeste expérimentation s’est produite, sans qu’il n’ait jamais été question qu’elle ait lieu. En venant chercher son mari pour dîner, Hélène se retrouva nez à nez avec un message disant qu’il y avait un problème… Le début d’une galère qui conduira André à la mort. Le fait que le grain de sable ait été une vulgaire mouche n’en est que plus ironique, et on ne peut faire autrement qu’opposer l’ampleur du drame se jouant dans cette famille soudée à l’absurdité du spectacle de Hélène, de son gamin et de la bonne armés d’épuisettes et s’évertuant à retrouver la mouche avec laquelle les atomes de André ont fusionné. Tout comme il a poussé jusqu’à l’outrance le message sur les dangers du progrès scientifique, Neumann s’essuie allégrement les pieds sur le sentiment d’empathie que pourrait faire naître la catastrophe qui frappe la famille Delambre. Il est toujours présent, mais réduit à l’état d’embryon et tourné en dérision par la volonté de réaliser une pure série B destinée à faire sensation dans les salles obscures. Des années plus tard, David Cronenberg fera l’inverse et se réappropriera l’intrigue pour en faire un drame métaphorique sur la maladie et la dégénérescence du corps. Avec sa créature mi-homme mi-mouche (alors que celle de Cronenberg se transformait progressivement en un chaos de chairs fusionnées), Neumann vise tout autre chose, ce qui se perçoit aussi dans le jeu des personnages autres que le principal concerné. Ainsi sa femme Hélène demeure en toute circonstance son épouse dévouée cherchant à préserver les apparences. N’eut été son lien avec François, personne n’aurait jamais rien su de la réalité et elle aurait gardé cela pour elle jusqu’à la potence ou jusqu’à l’asile. Ce secret honteux passé sous silence -ainsi elle ne dit rien à son fils ni à la bonne lorsqu’elle les envoie chasser la mouche- se retrouve également exprimé à l’écran par la propre demeure des Delambre : à la cave, André, son attirail scientifique et sa tête de mouche- et au-dessus un nid douillet bien propre et bien lumineux où vivent des gens respectables (le film bénéficie grandement des couleurs pastel des années 50). Derrière le spectacle fantasque, un certain sarcasme à visée sociale se fait jour et se combine harmonieusement avec la nature du scénario… Comme quoi, tout en jouant à fond la carte du grand-guignol, La Mouche noire n’est pas un film aussi idiot qu’il semble l’être.

Dans le Panic sur Florida Beach de Joe Dante, l’événement tant attendu des jeunes personnages et autour duquel se greffe toute l’intrigue est “Mant !”, une parodie des films de science-fiction des années 50 dans laquelle un homme se transforme en fourmi. Ce court-métrage (car Dante a réalisé un court-métrage entier, bien que tout n’ait pas été utilisé dans Panic sur Florida Beach) incorpore des éléments issus de plusieurs sous-genres de la science-fiction des années 50. A travers la similitude unissant le personnage principal de “Mant !” à celui de La Mouche noire, on devine aisément que le film de Kurt Neumann figure en bonne place dans les références aux films de mutations. Signe que Neumann a réussi son pari : plutôt que faire une grossière métaphore sur les dangers de la science moderne -qu’il ne nie pourtant pas-, plutôt que de se montrer alarmiste, il prend le parti d’en faire un spectacle à part entière et de reléguer le catastrophisme au second degré. Pour certains, cette conception du cinéma est racoleuse, opportuniste et ne fait qu’exploiter les thèmes et les peurs d’une époque. Dans l’absolu, ils n’ont pas tort : difficile de trouver que La Mouche noire vise à élever son réalisateur au rang de génie auquel on doit un classique intemporel. Pourtant, au-delà du plaisir qu’il offre, ce serait faire peu de cas de sa capacité à savoir comprendre son époque pour mieux s’en distancer et par conséquent inscrire son film dans la durée. En détournant les grands thèmes de son époque dans un esprit assez rock’n’roll, Neumann a en fait conduit son La Mouche noire à passer à la postérité. Ce premier volet de la trilogie n’est pas aussi influent que Des monstres attaquent la ville, pas aussi imaginatif que Planète interdite, pas aussi profond que Le Jour où la Terre s’arrêta, pas aussi spectaculaire que La Guerre des mondes mais il n’en demeure pas moins une référence pour tout ce qui relève du second degré. Et n’oublions pas de remercier George Langelaan !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.