CinémaScience-Fiction

L’Invasion des femmes abeilles – Denis Sanders

invasionfemmesabeilles

Invasion of the Bee Girls. 1973

Origine : Etats-Unis 
Genre : Science-fiction 
Réalisation : Denis Sanders 
Avec : William Smith, Victoria Vetri, Anitra Ford, Cliff Osmond…

Un scientifique de l’obscur laboratoire Brandt est retrouvé mort, visiblement d’un problème cardiaque. Compte tenu de la nature particulière du laboratoire, qui a recours à la radioactivité, l’agent fédéral Agar (William Smith) est envoyé pour enquêter, ce qu’il fait en compagnie de Julie Zorn (Victoria Vetri), secrétaire de la victime, et de Jim Peters, shérif du patelin. Le légiste est formel : l’homme est mort des suites d’épuisement pendant l’acte sexuel. Il sera la première d’une longue série de victimes masculines, toutes terrassées par leurs ébats. Quelque chose ne tourne pas rond dans cette petite ville de Californie.

Et ce n’est pas bien compliqué de trouver quoi, puisque c’est dans le titre ! Fleurant bon la science-fiction à l’ancienne, celle des années 50, L’Invasion des femmes abeilles ne prétend nullement réserver le moindre suspense quant à son scénario archi convenu, déjà largement contenu dans le titre. L’argument radioactif, évoqué dès les premières minutes, n’a même pas besoin d’être développé, relevant désormais (en 1973) intégralement de l’alibi, par opposition au rôle d’actualité qu’il jouait en ces années 50 pleines d’interrogations sur cette nouvelle énergie aux potentialités dévastatrices. De même, les monstres créés par la radioactivité n’ont plus rien de réalistes ou de terrifiants, ils deviennent sujet à la pantalonnade signée Denis Sanders, réalisateur dont la carrière se partageait alors entre la fiction et les documentaires. Il s’agit donc de femmes abeilles, dont la reine est incarnée par la charismatique Anitra Ford, vue dans The Big Bird Cage, Messiah of Evil et Stacey, premier film du libidineux Andy Sidaris. Quant aux héros, ils sont désormais très loin de l’archétype du couple américain modèle. L’homme, Agar, porte bien son nom : il traverse le film en étant incapable de deviner de quoi il retourne, quand bien même il devine assez tôt que cette vague mortelle est liée aux abeilles. Notre fier agent fédéral est non seulement incapable de retrouver ces femmes sexuellement suractives à l’origine du génocide masculin, mais il est aussi infoutu de faire le lien entre ce qu’il a appris d’un documentaire animalier (sa principale pièce à conviction !) et le Dr. Harris incarnée par Anitra Ford, majestueuse responsable du laboratoire Brandt qu’un agent débutant du KGB aurait arrêté au bout de 5 minutes, tant ses lunettes noires, son manque de contacts sociaux et son isolement au laboratoire pour travailler à des expérimentations mystérieuses trahissent son statut de “reine”. Son adjointe improvisée, Julie Zorn, ne vaut guère mieux, surtout que son travail au laboratoire aurait également dû la mettre sur la piste. Ne parlons même pas des policiers ou des militaires, qui ne se distinguent que par le port de moustaches fournies venant nous rappeler que décidément, nous ne sommes pas dans les années 50 mais bien dans les années 70. La nullité de ces personnages n’est cependant pas un défaut à mettre sur le dos de Denis Sanders, lequel sait très bien ce qu’il fait, c’est à dire une série B remplie de second degré dans laquelle les personnages “gentils” ne doivent pas être trop sérieux, au risque de créer un décalage avec la nature franchement goguenarde de leurs ennemis (les fameuses femmes abeilles). C’est ainsi qu’il fait de leur stupidité une source d’humour, notamment lorsque les autorités de la ville proclament publiquement avec l’accord d’Agar et du gouvernement la mise en place d’un couvre-feu interdisant de faire l’amour. C’est que de l’aveu même de l’héroïne, il y a tellement peu de loisirs dans cette ville que la coucherie à droite et à gauche est devenue un sport municipal ! Bien sûr, les rednecks du coin sont furieux et comptent bien passer outre cette interdiction. Hélas, Sanders n’illustre pas vraiment cette singulière désobéissance civile, faute de disposer d’un quota suffisant de femmes “normales” sur lesquelles envoyer ces citadins frustrés. Il rate au passage l’opportunité de décrire un monde dans lequel les hommes sont à la fois les coupables d’une oppression bestiale (envers les femmes “normales”) et les victimes de leurs propres instincts (manipulés par les femmes abeilles). Dommage, cela aurait donné une toute autre ampleur au film. Tout de même, il envoie plusieurs ouvriers violer l’héroïne, et çà ce n’est quand même pas rien ! Cela témoigne d’un sens de l’humour irrévérencieux dirigé contre les bonnes convenances morales et cinématographiques.

Ne nous leurrons pas : derrière son intrigue de science-fiction et ses trop vagues pistes de satire sociale et politique, L’Invasion des femmes abeilles est en fait un film de sexploitation décomplexé dans laquelle la reine de cette ruche humaine transforme les respectables bourgeoises de la ville en nymphomanes insatiables. Le fait qu’il s’agisse d’abeilles n’est pas vraiment utile à l’intrigue, si ce n’est pour placer quelques visions subjectives kaléidoscopiques qui s’ajoutent à une bande originale très funk et à un style visuel fortement typé “années 70” (dont les fameuses grosses moustaches de la plupart des personnages masculins) pour créer une ambiance psychothropique qui n’aurait pas dépareillé dans un film de blaxploitation. Par contre, assimiler les nymphomanes à des abeilles permet au réalisateur de donner une certaine originalité sensuelle et / ou comique à ses scènes érotiques, par exemple lors de ce montage alterné entre les images d’un documentaire sur les abeilles et la langoureuse prestation d’Anitra Ford, au lit avec une prochaine victime. S’appuyant sur le style de mise en scène du documentaire, Sanders colle au plus près de son actrice et conserve cette lenteur bien connue des férus de reportages animaliers. Sauf qu’Anitra Ford étant bien une femme et non une abeille, la discrétion du reporter capturant l’intimité de nos amies les bêtes devient du voyeurisme caché sous la fallacieuse excuse de la femme abeille. La science fiction est bien une fausse excuse, et le réalisateur le sait très bien, puisqu’il la tourne sans cesse en ridicule, traduisant notamment la jouissance par un incongru bourdonnement qui pour le coup vient nous rappeler la débilité du scénario. Encore plus fort, les séquences de transformation orchestrées par le Dr. Harris / Anitra Ford pour convertir les femmes en abeilles humanoïdes. Dans son laboratoire de carton pâte, plein d’ustensiles rudimentaires, elle et ses “ouvrières” chichement vêtues badigeonnent leurs proies dénudées d’une substance visqueuse avant de les enfermer dans un appareil psychédélique. Seul ce cérémonial donnera naissance aux “surfemmes abeilles” (le film se termine d’ailleurs par le fameux air de Strauss, Ainsi parlait Zarathustra, que l’on associe directement aux théories de l’évolution dans le 2001 de Kubrick). Encore une fois, Sanders nous refait le coup de la science-fiction fantaisiste pour justifier ce qui n’est que les préliminaires (oui, car nous sommes dans l’érotisme, pas dans la pornographie) de partouzes lesbiennes bourrées d’humour.

Pour conclure, nous avons là un modèle de série B comme on n’en fait hélas plus : un scénario fantaisiste, un second degré salutaire, une pointe de satire, plein de jolies filles, le tout sans lourdeur aucune. Car à l’instar de ce que produisait Roger Corman à la même époque, L’Invasion des femmes abeilles se caractérise par son entrain naturel communicatif, loin de l’aspect poussif de certaines séries B qui (principalement à partir de la décennie suivante) se contenteront de singer ces ingrédients en espérant que la mayonnaise prendra d’elle-même. Un peu comme si en ces débuts de liberté cinématographique totale après moult années de frilosité (principalement imputables au code Hays) les réalisateurs goûtaient enfin le plaisir de faire ce qui leur passait par la tête et en retiraient un allant capable de surpasser les obstacles du manque de budget ou de scénario. Il était fatal que ces libertés deviennent au fil du temps machinales et peu motivantes, mais à l’époque elles étaient encore utilisées avec fraîcheur. C’était le bon temps de l’âge d’or du cinéma bis, ma bonne dame !

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