CinémaHorreur

Frankenstein et le monstre de l’enfer- Terence Fisher

Frankenstein and the Monster from Hell. 1973.

Origine : Royaume-Uni
Genre : Oraison funèbre
Réalisation : Terence Fisher
Avec : Peter Cushing, Shane Briant, Madeline Smith, David Prowse, John Stratton, Michael Ward, Bernard Lee.

Le jeune Simon Helder est chirurgien. Plutôt que d’exercer au sein d’une clinique, il travaille pour son propre compte, dans un laboratoire de fortune. Nourri aux écrits du baron Victor Frankenstein, il ambitionne de créer à son tour un homme de toutes pièces, usant des mêmes méthodes. Le manque de discrétion de l’individu qu’il paie pour lui rapporter des cadavres de premier choix attire l’attention de la maréchaussée sur ses activités. Arrêté puis jugé pour pratique d’une science contre nature, il doit effectuer une peine d’emprisonnement de 5 ans dans un asile d’aliénés mentaux. Sur place, il ne tarde pas à faire la connaissance du docteur Karl Victor qui s’avère n’être nul autre que le baron Frankenstein en personne. Ravi de cette aubaine, Simon s’intéresse de très près aux agissements de son modèle. Il ne tarde pas à découvrir que ce dernier poursuit toujours les mêmes desseins. Face aux manquements du baron, dus aux brûlures qui lui ont meurtri les mains, Simon se propose de l’assister dans son entreprise.

En ces funestes années 70 qui auront vu la Hammer tenter désespérément de garder la tête hors de l’eau alors qu’elle éprouvait les pires difficultés pour assurer la distribution de ses films, il est intéressant de s’arrêter un instant sur le traitement des deux figures phares de son catalogue, le comte Dracula et le baron Victor Frankenstein. Si Frankenstein s’est échappé et Le Cauchemar de Dracula participent tous deux à l’avènement de la Hammer et de son style flamboyant sur la base du trio magique Peter Cushing-Christopher Lee-Terence Fisher, leur développement respectif aura été bien différent. Le parcours du baron Victor Frankenstein ressemble à une promenade de santé alors que celui du comte Dracula s’apparente à un véritable parcours du combattant. A cela une raison simple, l’attitude dédaigneuse de Christopher Lee envers le rôle qui a fait sa gloire et dont il aurait aimé s’affranchir, sans jamais y parvenir. Car il a eu beau jeu de renâcler au fil des ans, il n’en pas moins accepté de reprendre le rôle à six reprises (seul La Légende des 7 vampires d’or, dans une tentative désespérée d’allier l’horreur gothique au film de karaté, se fera sans lui), non sans caprices au préalable et/ou insertion de son personnage au chausse-pied dans une intrigue pas écrite pour lui (Une messe pour Dracula). Au moins peut-on reconnaître aux Dracula d’avoir cherché à se renouveler, même si de manière ni très heureuse ni très subtile, là où les Frankenstein se sont contentés de creuser le même sillon jusqu’au bout. Le fait que Terence Fisher soit resté l’unique réalisateur de la série (par son côté remise à zéro, L’Empreinte de Frankenstein de Freddie Francis se place à part) peut en partie expliquer cette récurrence. En dépit de destins contraires, Dracula comme Frankenstein restent, si ce n’est des valeurs sûres, au moins des valeurs refuges pour un studio bien mal en point qui tente une sorte de baroud d’honneur. La tentative de rajeunissement du mythe n’ayant pas convaincu (Les Horreurs de Frankenstein), Terence Fisher revient aux affaires accompagné de l’inamovible Peter Cushing. Ne subsiste du film de Jimmy Sangster que David Prowse dans le rôle de la créature. A jamais rattaché à la figure tragico-maléfique de Dark Vador qu’il personnifie dans sa dimension physique, le comédien de l’ombre rompait là un lien de 3 films avec la créature mythique (il l’incarne une première fois le temps d’un gag dans Casino Royale). Pour lui aussi, Frankenstein et le monstre de l’enfer sonne comme de vibrants adieux.

Frankenstein et le monstre de l’enfer se distingue de ses prédécesseurs par sa dimension claustrophobique. Une fois le cas de Simon Helder réglé par la justice, le récit se déroule entièrement au sein de l’asile d’aliénés mentaux. Les liens avec l’extérieur demeurent de l’ordre du théorique (les sorties de Victor Frankenstein pour acquérir du matériel, le directeur qui ramène une femme pour agrémenter sa soirée), maintenant le personnel encadrant et les pensionnaires dans un même état d’enfermement et d’isolement. L’enfer du titre désigne cet asile dirigé par le libidineux Adolf Klauss, lequel ne rechigne pas à abuser sexuellement ses pensionnaires femmes – sa propre fille incluse, lieu d’où les aliénés – ou prétendus tels – ne peuvent espérer sortir que les pieds devant. Le Retour de Frankenstein tournait déjà autour de ce type d’institution l’espace de quelques scènes. Pour l’ultime film de la série, l’approche se veut plus radicale. Pour le baron, l’asile s’apparente à un monde idéal, le dernier endroit où il peut frayer avec des gens tout aussi ignobles que lui et donc s’adonner à ses sombres tâches en toute quiétude, même si toujours sous le sceau du secret. On est jamais trop prudent. Des êtres ignobles qui ne sont pas les internés mais plutôt ceux qui les encadrent, des brutes qui jouissent de leur position pour mieux se rengorger. Frankenstein ne vaut pas mieux que les autres. Il est même pire, se présentant aux internés sous son jour le plus affable pour mieux les utiliser lorsqu’il l’aura jugé nécessaire. Pour lui, rien ne presse. Ses multiples échecs lui ont appris la patience. Il se montre par ailleurs moins regardant sur la qualité de son travail, privilégiant avant tout le résultat. Ce qui ne change pas fondamentalement son comportement. Il demeure cet être suffisant et hautain s’estimant au-dessus de la mêlée contre vents et marées. Seul son aspect physique marque un changement avec cette nouvelle coiffure, petite coquetterie d’un homme qui n’accepterait pas les ravages du temps et qui fera dire à Peter Cushing que cette perruque le faisait ressembler à l’actrice Helen Hayes (L’Adieu aux armes, Vol de nuit, Airport). Pour décevante que puisse être l’absence d’évolution profonde du baron de film en film, au moins les auteurs l’assument-elle pleinement à l’image de cette fin ouverte teintée de nihilisme qui ne règle rien. Victor Frankenstein est une cause perdue. Un homme qui a perdu pied avec la réalité et dont la radicalité s’illustre dans son attitude envers ses contemporains. Il agit comme s’il leur imputait ses échecs à répétition dans un constant aveuglement quant à ses manquements qu’il perpétue ici avec désinvolture. Dans ce contexte, l’asile souligne ce que l’on savait déjà, non sans une certaine ironie. En évoquant le passif d’un interné, Victor Frankenstein prévient que celui-ci s’identifie à dieu, précisant qu’il n’est ni le premier, ni le dernier car beaucoup d’hommes ont cette opinion d’eux-mêmes. Le parallèle avec l’homme de science est évident. A sa manière, il est un patient parmi les autres, prisonnier de ses obsessions, à la différence que lui a choisi de vivre en reclus.

Avec son personnage principal qui demeure égal à lui-même et sa créature au pathétisme convenu et dont l’aspect primitif n’apporte pas de plus-value horrifique dans un cadre déjà anxiogène, Frankenstein et le monstre de l’enfer semble se complaire dans la reconduction à l’identique de l’imagerie développée depuis Frankenstein s’est échappé. De ces éléments constitutifs de la série émerge néanmoins l’idée neuve de la transmission. En s’ouvrant sur les activités d’un émule du baron, cet ultime épisode questionne l’éventuel héritage que le notable pourrait laisser tout en se gardant bien d’actualiser son propos. L’univers reste celui de l’Europe de l’est du 19e siècle et la mort évoquée de Victor Frankenstein un leurre que les lois du marketing avaient éventé depuis longtemps. Toujours central au récit, le personnage titre laisse cependant davantage de place à Simon Helder, énième assistant sur le papier mais qui dans les faits bénéficie de davantage d’attentions dans sa caractérisation. Il partage avec son mentor cette même suffisance à l’égard de ces réfractaires aux avancées de la science. Une morgue qu’il conserve jusque dans ses premières interactions avec Victor Frankenstein. Loin de lui manger dans la main ou de se comporter en groupie aveuglée, il se permet de l’asticoter, remettant notamment en doute ses qualités de chirurgien. Et si le conflit intergénérationnel n’a pas lieu, Frankenstein étant pleinement conscient de ce que le jeune homme peut lui apporter, les désaccords demeurent présents tout au long de leur association. Habitué à n’opérer que sur des cadavres, Simon finit par appréhender différemment la nature même des travaux du baron lorsqu’il prend conscience de ses méthodes. Là où son image se brouille, c’est qu’il ne s’oppose jamais ouvertement à son aîné. Fascination et dégoût s’entremêlent dans un esprit encore jeune que vient en outre troubler son éveil à la sexualité depuis sa rencontre avec Sarah. Unique personnage féminin notable, son traitement s’inscrit dans l’univers à dominante masculine des films de la Hammer. Une belle plante réduite à servir ces messieurs sans mots dire (elle souffre d’aphasie), rôle qu’elle a déjà tenu pour le studio (Une messe pour Dracula) ou chez la concurrence (Théâtre de sang, Vivre et laisser mourir). Cette vision de la femme participe de la violence de l’ensemble. Dans le monde qui nous est dépeint, la romance n’a plus sa place. L’homme ne prend plus la peine de conquérir les cœurs, il s’empare de celles qu’il convoite au mépris de tout consentement. Ce qui rejoint le comportement jusqu’au-boutiste de Frankenstein qui n’attend pas que les cadavres viennent à lui mais qui s’arrange pour les créer lui-même. Simon Helder se trouve à la croisée des chemins. Il doit faire un choix entre suivre aveuglément les agissements de son modèle ou emprunter sa propre voie. Ce second choix induisant de s’opposer plus franchement à celui qu’il admire, quitte à précipiter sa fin. Terence Fisher ne tranche pas. Il opte pour une conclusion en suspens, inconfortable par sa noirceur et son indécision.

Ainsi s’achève la série la plus extrême de la Hammer. Pas tant par ce qu’elle montre que dans sa manière de ne jamais vouloir condamner son odieux personnage principal. La logique commerciale (on ne tue pas la poule aux œufs d’or) ne suffit pas à expliquer cette persistance dans la noirceur et la transgression. Une série dont les quelques concessions (notamment le viol perpétré par le baron dans Le Retour de Frankenstein) ajoutent encore à l’inconfort qu’elle suscite. Tout n’a pas été parfait, loin de là, les auteurs n’évitant pas toujours la redite ou n’allant pas assez loin dans l’exploitation de leurs idées (Frankenstein créa la femme). Mais on note une vraie cohérence dans le ton qu’on doit notamment à la fidélité de Terence Fisher à la réalisation, lequel fit alors ses adieux au métier. Lui qui, en compagnie du scénariste Jimmy Sangster dont il ne faudrait pas minimiser l’importance, avait su poser les bases du style qui fit la gloire de la Hammer emporte avec lui les souvenirs de cet âge d’or après lequel le studio courait désespérément… mais plus pour très longtemps.

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