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Coffy, la panthère noire de Harlem – Jack Hill

coffy

Coffy. 1973

Origine : États-Unis 
Genre : Action blaxploitée 
Réalisation : Jack Hill 
Avec : Pam Grier, Booker Bradshaw, Robert DoQui, Allan Arbus…

Sa soeur de 11 ans étant traitée pour toxicomanie et son ami d’enfance étant à l’hôpital suite aux représailles que lui a valu son zèle policier, l’infirmière Coffy (Pam Grier) décide de faire le ménage dans la ville et de débarrasser la société de ses dealers. Elle est prête à payer de sa personne pour y parvenir.

C’est un peu court comme scénario, jeune homme. Mais l’American International Pictures n’avait pas de temps à perdre en besogne : s’étant fait voler les droits de Cleopatra Jones par la Warner, la légendaire compagnie indépendante se devait de répliquer promptement. Pour cela, elle débaucha Jack Hill comme réalisateur / scénariste et Pam Grier comme tête d’affiche, tous deux venus de la New World de Roger Corman où ils venaient de s’illustrer dans le WIP The Big Doll House. Quant au scénario de Hill, qui s’en soucie ? L’important est qu’il s’engouffre dans le sous-genre créé par Cleopatra Jones, c’est à dire de la blaxploitation à base de vengeance féminine, rajoutant ainsi le côté sexy au côté funky. C’est bien ce que fit Hill, qui compléta ce mince point de départ avec les ingrédients traditionnels de la blaxploitation. Coupes afro, grosses voitures, fringues colorées, trafiquants affichant ostensiblement leur réussite, appartements à la pointe de la mode du luxe (pour les années 70), langage argotique, l’amateur de blaxploitation ne verra là que le minimum syndical. Par contre il remarquera l’effort fait au niveau de la bande originale, composée par Roy Ayers, une pointure du funk et de la soul qui occupe ici le seul poste de compositeur cinéma de sa carrière. Une fois ces bases assurées, il n’y a plus qu’à savourer l’énorme plus-value apportée par Jack Hill et Pam Grier.

Avec son scénario rudimentaire, Coffy ne cherche pas midi à quatorze heures. La mise en bouche des premières minutes annoncent ce qui va suivre, avec une Pam Grier langoureuse se transformant soudain en tigresse assassine pour défoncer le gros Sugarman dans ses dessous fluo. Par la suite, en infiltrant les organisations du maquereau King George ou du chef mafieux Arturo Vitroni, elle ne change jamais de tactique : d’abord elle aguiche puis elle agit. Pam Grier est excellente dans son rôle et façonne un personnage appelé à rester dans les mémoires. D’une nature sage et altruiste, sa Coffy devient une femme forte en gueule (en plus de l’être en poitrine) à l’agressivité sexuelle débordante lorsqu’elle s’infiltre dans les milieux troubles. La différence entre les deux personnalités est saisissante, et il n’y a pas besoin de réfléchir bien longtemps pour savoir laquelle des deux est la plus cinégénique. Après tout, nous sommes dans un film d’exploitation… Reconnaissant comme principal mérite à la blaxploitation d’avoir permis à des acteurs et actrices noirs de se distinguer dans une industrie cinématographique n’ayant pas évolué au gré des droits civiques, Jack Hill donne véritablement l’occasion à Pam Grier de faire parler d’elle. Ce qu’elle fait admirablement. Blaxploitation ou non, il n’y avait alors pas tellement d’actrices capables de s’imposer à l’écran comme Pam Grier le fait ici, dévorant littéralement ses collègues masculins avec la bénédiction de Jack Hill, qui démythifie les mafieux et les maquereaux sans pour autant piper les dés pour faciliter la tâche à sa vedette. Si le réalisateur fait de King George et de Vitroni des êtres quelconques, légèrement ridicules, c’est davantage dans un but humoristique (se moquer de leur style tape à l’œil) que dans une volonté de glorifier sa Coffy en la mettant à côté de personnages écrits pour lui être inférieurs. Elle n’a pas besoin de ça. Car c’est aussi elle qui est à l’origine du ridicule de ses ennemis : en les attirant au dessous de la ceinture, elle les met minables et les dirige à la braguette. Face à elle, les hommes sont faibles et les femmes sont jalouses, ce qui nous vaut une appréciable scène de bagarre féminine opposant Coffy aux prostituées de King George, jalouses (une scène qui démontre que Hill n’a pas tourné un WIP pour rien). Intelligente, elle est également capable de semer la discorde entre ses deux ennemis, qui règlent leur compte avec une grande violence (le sort réservé à King George) dont la seule conséquence est donc de satisfaire les velléités vengeresses de Coffy. Il n’y a en fait qu’un seul personnage pour résister à Coffy, et c’est celui de Sid Haig, vieux complice de Jack Hill qui incarne ici un homme de main de Vitroni sadique et rigolard. Dommage que le réalisateur ne le confronte pas davantage à Coffy, car cette éventuelle opposition aurait pu prendre des allures de duel au sommet. Mais bon, ne pinaillons pas : entre une héroïne portant l’image de la “femme fatale” à un niveau supérieur (la liberté des moeurs est passée par là), un scénario simple mais sans temps morts, des femmes sexy à foison et des méchants funky, il y a déjà de quoi faire, surtout que la mise en scène rehausse encore le niveau via quelques gags visuels assez kitschs (le plan à travers un aquarium !). Coffy est un film de blaxploitation tout à fait réussi, et certainement l’un des meilleurs.

Maintenant, une question se pose tout de même : quid du côté politique ? Parce qu’entre la main-mise des dealers sur les ghettos, la corruption du pouvoir et la vengeance de Coffy, il y aurait de quoi faire un film polémique. Le scénario de Jack Hill repose sur une constatation qui, aux mains d’autres cinéastes (au hasard, Spike Lee) aurait pu tourner au pamphlet : la seule opportunité offerte aux afro-américains pour élever leur niveau de vie est celle du crime. Mais en choisissant cette voie et en décidant de favoriser la toxicomanie dans les populations pauvres, ces riches parvenus condamnent les leurs à encore plus de misère. Des hommes comme King George ont choisi l’égoïsme, s’alliant avec des mafieux italiens (Vitroni) eux-mêmes alliés aux flics pourris et aux politiciens corrompus. Homme politique ambitieux, le petit ami de Coffy est de cette dernière catégorie, bien qu’il parvienne à se cacher aux yeux de sa belle derrière son discours de lutte face aux inégalités. Et en plus, on apprendra qu’il est infidèle… Bref, du petit mac au futur député, du mafieux aux prostituées contentes de l’être, tout le monde est pourri. Blancs comme noirs. Et ceux qui ne le sont pas, comme la soeur de Coffy ou son ami d’enfance sont voués à finir en mauvaise posture. Dans un tel monde, la seule solution est encore de prendre les choses en main. Voilà un discours bien radical…

Sauf que cette radicalité ne se fait justement pas dans une optique de dénonciation très poussée qui aurait pu valoir au film de se faire accueillir aussi froidement qu’Un Justicier dans la ville l’année suivante, mais bien comme un tremplin de plus pour permettre au film de verser dans l’excès. Hill ne s’appesantit pas sur les tourments de la sœur de Coffy, que l’on ne fait qu’entre-apercevoir sur son lit d’hôpital, et il ne cherche même pas à nous faire partager la douleur de sa vedette. Il ne s’attarde pas non plus sur le manque de solutions qui s’offrent à elle ou sur les atermoiements judiciaires d’une police qui a les mains liées comme le feraient des films sécuritaires. Un seul politicien et un seul flic corrompus suffisent à généraliser. Tout cela n’a qu’un seul but : aller droit au but, et envoyer Coffy en mission auprès de bandits qui ne sont eux-mêmes pas très crédibles et qui à ce titre reflètent la dérision avec laquelle Hill conçoit son film. En somme, s’il sait parfaitement qu’il y a des inégalités dans le monde réel, et s’il s’appuie dessus pour construire son intrigue, il considère que Coffy n’est pas le support idéal pour aborder le sujet. Une simple amorce suffira. Cette conception du cinéma d’exploitation, mêlant un peu de politique contestataire à beaucoup de spectacle est tout droit héritée de la vision que se fait Roger Corman de son métier et qu’il s’est évertué à propager chez ses poulains. Officiellement, Coffy n’est pas un film “New World”, mais en tout cas il en a tous les aspects. Un gage de grande qualité.

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