Barbe noire le pirate – Raoul Walsh
Blackbeard the Pirate. 1952Origine : Etats-Unis
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En 1718, Sir Henry Morgan, ancien flibustier s’étant mis au service de la monarchie en place et aspirant à diriger l’île de la Jamaïque a un gros problème : Barbe noire, alias Edward Drummond de son vrai nom, qui après avoir officié pour la reine Anne pendant la guerre de la Succession d’Espagne jusqu’en 1713 sans obtenir aucun avancement, se mit ensuite à son compte, devenant pirate à plein temps dès 1716. Depuis ce dernier écume les mers des Caraïbes jusqu’à se les accaparer, terrorisant les navires marchant ayant le malheur de les traverser. Dans le même temps, Edward Maynard, un légaliste au service de sa majesté est dépêché sur les lieux afin d’enquêter sur les activités dudit pirate mais surtout de vérifier la loyauté de Morgan, suspecté d’agir pour lui-même. Pour se faire, il se fait faire volontairement prisonnier par le terrible barbe noir afin de mieux entrevoir où se trouvent les intérêts de chacun. Voici qu’il rencontre Edwina Mansfield, une proche de Morgan, fraîchement capturée par Barbe noire et dont il tombe amoureux, ce qui lui facilitera la tâche, celle-ci étant détentrice d’informations précieuses sur l’homme suspecté de traîtrise…
Barbe Noire le Pirate est une production RKO à moyen budget qui semble t-il laissa peu de libertés à son réalisateur. C’est en tout cas ce qui transparaît le plus souvent à l’écran.
Raoul Walsh est loin d’être un nouveau né lorsqu’il tourne le film et laisse déjà derrière lui pléthore de chef-d’œuvres, notamment dans le polar et le western, deux genres dans lesquels il excella et livra souvent ses meilleurs films mais pas seulement. On citera en vrac les immenses réussites que sont par exemple L’Enfer est à lui, High Sierra, La Fille du désert ou encore Les Aventures du capitaine Wyatt. On peut aisément rajouter son fantastique Gentleman Jim, l’un des plus beaux films sur la boxe ainsi que Aventures en Birmanie, somptueux film de guerre brutal et électrique.
Ne tournons donc pas autour du pot, il déçoit ici assez fortement, un peu comme il avait déçu l’année précédente avec Capitaine sans peur avec Gregory Peck et l’on peut même considérer que l’illustre et foisonnant metteur en scène n’est pas à son aise avec le genre en question. On a souvent mis ce problème sur le dos de son âge avancé au moment du tournage (65 ans), ce qui est bien sur une monumentale erreur vu les monuments qu’il tourna encore après en touche à tout génial, avec notamment le superbe L’Esclave libre en 1957 ou encore Des nus et des morts en 1958, et c’est plutôt vers les contraintes de budgets vers lesquelles on se tournera pour expliquer ici sa baisse de forme. A ce propos on notera qu’on se servit même, à cause de ce manque de moyens, de stock shots d’autres films du genre. Pourtant si Barbe noire le Pirate demeure un film trop statique dans son ensemble et souvent inégal, certains passages ne manquent pas de panache et en rachèteraient presque les faiblesses.
D’abord à son actif, une mise en scène par moments nerveuse, notamment vers la fin qui emmène le film vers une noirceur et un pessimisme extrême qu’on soupçonnait jusque là mais qui ne restait que trop enfoui dans l’ombre. Ensuite des dialogues plein de verve et de truculence et même souvent très crus qui parviennent à lui conférer un véritable cachet, une identité brute et brutale, marque de fabrique de ses plus grands films comme ceux cités plus haut. Ajoutons à cela un excellent Robert Newton dans le rôle titre, qui soit cabotine à souhait, mais prend toutefois le film à son compte lui conférant toutes les couleurs de la flibusterie ce qui n’est pas rien vous l’admettrez. Ailleurs aussi des scènes cruelles comme celle où il se fait enterré dans le sable avec juste la tête qui dépasse, ses ennemis attendant patiemment la montée de la marée afin qu’il goûte la peur avant de périr noyé. L’une des meilleures scènes soit dit en passant. Et puis aussi une bonne utilisation ou insertion desdits stock shots, marque d’un professionnel talentueux qui parvient malgré cela à donner souffle et vie et pour me répéter, panache aux scènes d’action qui ne font pas de cadeau aux protagonistes de toutes parts.
Hélas le gros défaut de Barbe noire est avant tout son manque de dynamisme ainsi qu’une inégalité dans les traitements infligés à ses acteurs/personnages. Si Robert Newton est bien servi et s’en sort tout en force, et que Torin Thatcher s’en sort parfaitement dans son rôle de traître faussement à la solde de la couronne, ce n’est pas le cas du très fade Keith Andes qui manque singulièrement de charisme et de présence pour la part importante qu’il prend au sein du film. Comédien peu connu, il fut la plupart du temps cantonné dans des seconds rôles (on se souvient du remarquable Le Démon s’éveille la nuit de Fritz Lang), et il assume ici piètrement un rôle phare se faisant aisément voler la vedette par les autres acteurs précités mais aussi par d’excellents seconds couteaux comme William Bendix ici pourtant dans un rôle de simple homme de main du pirate sans états d’âme.
On ne peut sans doute pas le reprocher au réalisateur, en revanche ce qu’on retiendra à juste titre contre Raoul Walsh c’est la très mauvaise utilisation de Linda Darnell, l’inoubliable interprète de La Poursuite infernale de John Ford ou encore de Ambre de Otto Preminger. Alors soit, le genre “flibusterie” est un film par essence masculin (quoique la très belle Flibustière des Antilles de Jacques Tourneur ne serait pas loin de faire mentir cela), mais vu l’importance qu’elle possède au sein d’un script où finalement elle peut être considérée comme centrale puisque détenant les secrets les plus importants et qui sont les buts même de la venue d’Edward Maynard, on peut franchement parler de sacrifice puisqu’elle n’est finalement utilisée que comme protagoniste d’une histoire d’amour annexe qui ralentit qui plus est largement le rythme tout en détournant le film de son cap. C’est bien dommage.
A nouveau dommage encore que Raoul Walsh fasse aussi peu preuve de dynamisme dans la liaison des scènes. Du coup le rythme en pâtit bien trop régulièrement et dès qu’on se redresse de son fauteuil on se surprend cinq minutes plus tard à s’y avachir à nouveau devant ce spectacle bien trop bavard dont heureusement quelques notes d’humour bienvenues viennent relever légèrement la sauce (cette vieille gouvernante murgée à la gnôle, ou les insultes sans fin de Barbe noire qui font souvent penser au Walter Matthau du futur et faible Pirates de Roman Polanski, ce qui ne doit pas être fortuit).
Capitaine sans peur recelait donc les mêmes faiblesses l’année d’avant et Gregory Peck pourtant interprète principal y semblait figé, faisant alors déjà assez pâle figure. Alors peut-être aurait-il fallu que Walsh en tourne un troisième pour se faire une idée plus juste de son aptitude à aborder ce genre justement cher à l’abordage, toujours est-il que la même année on se tournera sans problème vers l’un des chef-d’œuvre du genre et au rythme sans faille, le fameux Corsaire rouge de Robert Siodmak. En l’état, Barbe noire le pirate demeure un film moyen en même temps qu’un film pas déshonorant mais définitivement mineur dans la carrière du réalisateur.