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Série noire 1-14 : Pour venger pépère – Joël Séria

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Série noire. Saison 1, épisode 14
Pour venger pépère. 1985

Origine : France 
Genre : Polar 
Réalisation : Joël Séria 
Avec : Fedor Atkine, Jeanne Goupil, Julien Guiomar, Gérard Zalcberg…

La Série noire est avant toute chose une institution de la littérature policière en France. Fondée en 1945 et publiée par Gallimard, toujours vivante de nos jours, elle a entre autre publié des auteurs tels que Raymond Chandler et Dashiell Hammett, deux légendes américaines du roman noir, ainsi que des gens comme Richard Matheson ou Robert Bloch, pour rester dans le domaine de la littérature américaine (encore que les écrivains français y aient été également bien représentés). En quête de renouveau dans les années 80, la Série noire devint également une série de téléfilms diffusés sur TF1 et tournés à l’initiative de Pierre Grimblat, certes créateur de séries comme Navarro ou L’Instit, mais ne lui en tenons pas rigueur. Cette série de téléfilms possède d’autres noms pouvant servir de caution, comme par exemple celui de Jean-Patrick Manchette, pilier du néo polar à la française adapté deux fois par la série et auteur du texte de présentation.

Quant à l’épisode qui nous intéresse ici, Pour venger pépère, il est l’adaptation du livre éponyme de A.D.G. (sur lequel Manchette ne tarit pas d’éloges), un auteur d’extrême-droite également journaliste pour des titres aussi puant que Minute et Rivarol. Le réalisateur de cette adaptation n’est autre que Joël Séria, réalisateur de l’inestimable Mais ne nous délivrez pas du mal qui commençait alors à voir sa carrière stagner dans le monde de la télévision. Si certains postulats sont typiquement étiquetés extrême-droite (entre la police corrompue et les délinquants ultra-violents, la population n’a d’autre choix que de se faire justice elle-même), Séria y va mollo sur ce sujet sensible, adoucissant la vengeance de son principal protagoniste, l’avocat Delacroix (Fedor Atkine), dont le grand-père fut assassiné au cours d’une partie de pêche par trois bandits sortant tout juste d’un casse. Comme lui fait remarquer son ami le journaliste Chailapine (Julien Guiomar), Delacroix n’a vraiment rien à avoir avec le Charles Bronson d’Un Justicier dans la ville. Ayant toujours un temps de retard sur les évènements, il se fait systématiquement doubler par Orlando (Gérard Zalcberg), l’assassin de son grand-père, un fou furieux qui assassine quiconque se met entravers de son chemin, y compris les alliés avec lesquels il a accompli le casse. Ceux-ci, à ce point effrayés par le comportement du psychopathe venu des Ardennes, se coincent eux-mêmes entre d’un côté leur ancien allié trop instable, et de l’autre la quête de justice de Delacroix. La personne la plus touchée par cette situation peu enviable est Moune (Jeanne Goupil, égérie de Joël Séria depuis son premier film), prostituée amie d’un des malfrats, vivant sous la terreur de Orlando, qu’elle héberge. Quant à Christiani, l’inspecteur corrompu chargé de l’affaire (Jean Reno), il se retrouve lui aussi coincé entre la pression imposée par Delacroix et la protection qu’il offre aux auteurs du casse et à leurs alliés (dont un pédophile) en échange notamment de nuits avec Moune. Sentant qu’Orlando tire beaucoup trop sur la ficelle et que Delacroix ne lâchera pas le morceau, il sent les évènements lui échapper, risquant de faire connaître sa corruption au grand jour.

Soyons honnêtes : du point de vu policier, ce scénario sent le téléfilm à plein nez. La piste suivie par Delacroix jusqu’à Orlando ne réserve aucune surprise, et l’intrigue progresse mollement de A à Z, à peine épicée par quelques instants sanglants. L’avocat vengeur campé par Fedor Atkine semble agir machinalement, tout comme son comparse et garde-fou Chailapine (qui avait pourtant droit à une personnalité très marquée dans le roman d’origine). Malgré l’emploi de chansons jazzy très “films noirs”, le téléfilm de Séria et surtout son personnage principal ne resteront pas dans les mémoires et annoncent la vague télévisuelle de policiers (officiels ou non) à la française.
S’il n’y a rien à signaler au strict niveau polar, Pour venger pépère reste malgré tout un film empreint de la vision de son réalisateur, qui durant les années 70 s’était distingué par sa vision ambiguë de la France d’en bas, peuplée de personnalités parfois attachantes (Charlie et ses deux nénettes), parfois d’une vulgarité sans bornes (… comme la lune), mais formant dans tous les cas un univers cohérent, celui de la France ouvrière trouvant refuge dans un anticonformisme fait de camaraderie, d’amitié, de sexe… Bref, de pulsions humaines. Par l’entremise de son scénario ou par réel pessimisme, le Séria de la Série Noire n’offre plus grand espoir à ses personnages. Réduits au banditisme pour survivre, les deux comparses d’Orlando dans le braquage de la banque ne peuvent prévenir le dérapage, tétanisés qu’ils sont par la violence de leur collègue. Ils sont tout simplement écrasés par lui, et leur mort apparaît comme la conséquence logique de la voie sans issue dans laquelle ils se sont plongés. Plus flagrante encore est la détresse de Moune, pute bas de gamme seulement respectée par un petit loubard traînant au troquet du coin, et devenue la clef de toute l’énigme. Comme à son habitude (et surtout lorsqu’il s’agit de Jeanne Goupil), Séria réussit à magnifier un personnage sur lequel s’acharne la destinée. Moune apparaît ainsi comme le seul personnage fascinant réellement le réalisateur, qui n’hésite pas à la faire violenter et abuser par tous les pourris qui l’entourent (Orlando et Christiani). Ne versant pas dans le misérabilisme sentimental, Séria se contente de la froideur de ces quartiers gris et mornes, peuplés de trognes impossibles (y compris celle de Jean Reno) résignés à vivre dans la misère ou le crime. La chaleur humaine n’a plus sa place dans cette France-là, et le meurtre du fameux pépère n’est après tout qu’un autre exemple de complicité brisée. Les bistros eux-mêmes, haut lieu du cinéma de Joël Séria, sont désormais des lieux dépourvus de vitalité. Il est loin le temps où Jean-Pierre Marielle y narrait ses rocambolesques péripéties amoureuses.

Pour venger pépère doit donc être vu comme l’évolution du propos social d’un cinéaste visiblement abattu. Malheureusement, le support utilisé, le polar, interfère beaucoup trop sur la vision du cinéaste pour que le film soit considéré comme une totale réussite. Rien n’aurait valu un long-métrage produit en dehors de toutes les considérations commerciales de la télévision. Pour le coup, Séria aurait livré un véritable film noir.

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