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Les Dix derniers jours d’Hitler – Ennio De Concini

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Hitler : The Last Ten Days. 1973

Origine : Royaume-Uni / Italie 
Genre : Film historique 
Réalisation : Ennio De Concini 
Avec : Alec Guinness, Simon Ward, John Bennett, Doris Kunstmann…

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Longtemps avant La Chute d’Oliver Hirschbiegel, il y avait déjà Les Dix derniers jours d’Hitler, co-production britannico-italienne elle-même précédée de presque vingt ans par Le Dernier acte de l’autrichien Georg Wilhelm Pabst. Le film de Ennio de Concini, comme dit dans le générique de début, est cautionné au niveau historique par Hugh Trevor Roper, professeur d’histoire à l’université d’Oxford, et par Gerhardt Boldt, militaire allemand présent dans le bunker au moment de la “chute” et auteur du livre duquel le film est adapté. Il ne faudrait pourtant pas s’y tromper : Les Dix derniers jours d’Hitler ne brille pas tellement par sa véracité historique, du moins par celle qui est aujourd’hui reconnue. Déjà, le personnage d’un jeune officier nommée Hoffman semble être l’incarnation à l’écran de Boldt lui-même, et à ce titre on peut se demander si l’auteur n’est pas dédouané de sa fidelité à Hitler par son geste final, très solennel : déchirer le testament du Führer au milieu des ruines berlinoises. L’importance prise par le personnage, si elle n’est pas non plus primordiale, laisse tout de même libre court au doute : pourquoi Hitler se serait-il au milieu de sa destruction entiché d’un jeune officier qu’il ne connait pas ? Mais les erreurs historiques les plus évidentes résident surtout dans la vie au bunker. Ainsi, le film montre Hitler très proche de sa compagne Eva Braun, tandis que la réalité semble être toute autre. La vivacité du moustachu autrichien est elle aussi douteuse, puisque le leader nazi aurait plutôt passé ses derniers jours dans un état lamentable, drogué à outrance (ce que le film ne fait que suggérer à travers la prise fréquente de quelques pillules). L’absence d’Albert Speer, Heinrich Himmler et Hermann Göring est elle aussi injustifiée : tous trois, si ils ne demeurèrent effectivement pas dans le bunker, s’y rendirent tout de même à des moments présents dans le film (la fête d’anniversaire d’Hitler). Enfin, le suicide final tel qu’il est présenté tient purement et simplement de la fiction, chose qui s’explique par la volonté du film de montrer qu’Hitler fut trahi jusqu’à son ultime minute : après Göring décrétant unilatéralement prendre la place du Führer et Himmler négociant la paix avec les alliés, c’est enfin Eva Braun, devenue Eva Hitler, qui se suicide après s’être rendue compte de la vraie personnalité de son mari et le lui avoir reproché, donnant lieu à une engueulade certes mémorable, mais qui n’eut jamais lieu. Braun continua en réalité à rester fidèle à son homme, et d’ailleurs, comment quelqu’un aurait-il pu témoigner de cette altercation qui se serait déroulée en privé entre les deux seuls protagonistes ? Non, en réalité, Les Dix derniers jours d’Hitler, s’il se révèle tout de même parfois exact, ne se veut pas documentaire. Rien que le pré-générique et ses images d’archives résumant très sommairement l’ascension du nazisme et le déroulement de la guerre le démontre. Le contexte de ces dix derniers jours est bel est bien présent à travers encore une fois des images d’archives, mais celles-ci sont utilisées à des fins dénonciatrices. Lorsque par exemple Hitler se réjouit de ne pas être en panne de crème dessert dans son bunker, De Concini vient immédiatement placer une image d’archives montrant un gamin se nourrissant en gratant le fond d’un tonneau ayant probablement contenu de la nourriture. Ce procédé est répété systématiquement durant le film, mettant l’accent sur le surréalisme de ce bunker qui constitue un monde complètement déconnecté de la réalité, à l’image de son principal occupant, un égocentrique complètement fou. C’est ainsi que lorsque les soviétiques et les américains sont aux portes de Berlin, le Führer fait-il part de sa certitude de voir ses deux ennemis se détruire entre eux, avec le IIIème Reich comme arbitre. C’est ainsi qu’à l’annonce du manque d’hommes, de matériels et de courage, le Führer réplique-t-il par le mépris, allant même jusqu’à avancer que ses armées ne sont pas autorisées à se replier en cas d’encerclement. C’est ainsi qu’il nomme et désiste des officiers à tour de bras, les généraux passant au fil des défaites du statut d’hommes capables et intègres à celui de moins que rien. Tout ceci jusqu’à l’épuisement des armées et la désignation des jeunesses hitlériennes (des gamins d’une dizaine d’années) à la défense de Berlin. Hitler va jusqu’à faire venir à lui un officier de la Luftwaffe, qui traversera le pays de Munich à Berlin en perdant avec lui une quarantaine d’appareils de son escorte pour simplement avoir la joie de se voir nommé chef de la Luftwaffe par Hitler en personne, qui le renverra aussitôt à Munich… Les exemples comme ça ne manquent par et cernent bien un homme que la mégalomanie reprimée par l’échec a rendu complètement fou, sujet à des sautes d’humeur d’autant plus terribles qu’elles provoquent des colossales pertes humaines complètement inutiles (noyer le métro de Berlin reconverti en hôpital pour géner l’avancée soviétique). Le film se révèle d’ailleurs par certains côtés plutôt humoristique, tant l’homme est complètement détaché des réalités et se lance dans des discours consternants de mauvaise foi, contradictoires et hypocrites. Méprisant les anglais, et ayant toute sa vie durant (y compris dans le bunker) élevé au pinacle le peuple et la culture allemande, Hitler au seuil de la défaite ira pourtant jusqu’à regretter que la destinée ne l’ait pas placé à la tête du peuple anglais, tout aussi aryen mais qui n’est pas un peuple “de lâches”. Récupérant à sa propre gloire les quelques nouvelles positives, prétextant tout savoir depuis le début (il affirme ainsi avoir deviné la défaite dès la capitulation de Von Paulus à Stalingrad, nonobstant ses déclarations précédentes où il affirmait que rien n’était perdu) il rejette en bloc les défaites sur les autres, forcément des traîtres. Le surréalisme et l’ironie de la situation de ce bunker culminera lors du mariage d’Hitler avec Eva Braun, lorsqu’un timide conseiller municipal berlinois demandera avec hésitation au Führer, comme la procédure le demande, si il est bien d’origine purement aryenne, avant de lui “accorder la permission” d’un mariage écourté. Les scènes de fêtes et les tranches de vie quotidienne du bunker sont elles aussi symptomatiques de la folie ambiante : alternées avec les images d’archives de Berlin en ruines, elles illustreront la vie de cette communauté de nantis nazis généralement consternés par l’attitude de leur chef (tout du moins de son attitude au point de vue militaire), mais n’osant rien dire. Goebbels lui-même, pourtant le plus fidèle de tous, n’osera pas annoncer à Hitler la trahison de Himmler, déléguant la tâche à un pauvre serviteur amenant son repas au Führer. On retiendra également cette scène où les principaux occupants du bunker se réunissent autour d’un thé pour décider de quelle façon ils se donneront la mort.

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S’il n’est pas un bon film historique, Les Dix derniers jours d’Hitler est en revanche une excellente étude d’un personnage historique (très bien incarné par Alec Guinness) qui ne supportait pas de voir l’écroulement de son funeste idéal, enraciné dans sa propre personne qu’il considérait comme géniale, un personnage rendu fou par sa vision personnelle et grandiloquente de l’histoire et de la culture (les penchants artistiques, l’architecture ou la musique -l’homme dit ainsi que l’opéra allemand atteindra sa perfection lorsque les acteurs joueront nus- sont également bien illustrés dans le film et ne sauraient être oubliés lorsque l’on évoque Hitler). Sa chute est bien entendu l’un des sujets les plus interessants qu’un film puisse aborder, puisqu’elle reste encore très proche de nous, et que l’étude de l’homme qu’Hitler fut à la fin de sa vie, un homme de plus en plus dépourvu de raison et laissant clairement transpirer sa haine maniaque, permet ainsi de comprendre tous les mécanismes du nazisme, ce régime d’un seul homme qui, sachant naguère transmettre sa folie par le biais d’un endoctrinement idéologique fait de paranoïa et de démagogie, s’est à la fin retrouvé n’être que les délires d’un pauvre fou irrascible. Le nazisme est ainsi mis à nu, et si il fallait trahir la véracité historique des détails de ces dix derniers jours pour arriver à ce prix, alors ça valait effectivement le coup.

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